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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Olivier Cadiot Un mage en été P.O.L 2010 / 19,5 € - 127.73 ffr. / 160 pages ISBN : 978-2818004784
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Étienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain. Imprimer
Le lecteur ne peut pas avoir le moindre doute : le style dOlivier Cadiot se reconnaît dès les premières lignes. Des phrases courtes, à la première personne du singulier, faisant la part belle aux onomatopées («ff-lllllllll», «klonk !») et à une certaine forme doralité, le tout sur un rythme extrêmement rapide et syncopé, volontiers dynamique. Si lon devait sarrêter là, Un mage en été ne serait quun texte supplémentaire de lauteur, se déroulant en terrain stylistique connu. La nouveauté vient ici du point de départ de lécriture : le narrateur contemple la photographie dune femme se tenant à mi-corps dans le cours dune rivière, en plein été. Contrairement aux uvres précédentes, qui jouaient plus directement avec le récit et le déroulement dactions, ce texte sappuie donc sur un document iconique.
Néanmoins, Olivier Cadiot ne se contente pas de décrire la photographie, de procéder à une simple ekphrasis. Il sagit de faire résonner limage, de la faire quasi littéralement parler, de lanimer et de la développer par les pouvoirs de limagination. Lécrivain se métamorphose alors en «mage», celui qui décuple ses moyens intellectuels et sensoriels. Le narrateur (Robinson, le personnage fétiche de Cadiot depuis son premier texte) «rentre» dans limage ; sa capacité «imaginante» lui permet déprouver une sorte dhyperesthésie ; il est partout, véritable clinamen humain : «À force de me projeter, je me diffracte. Je suis dans les herbes» (p.13). Le texte devient alors une rêverie autobiographique et métamorphique, un soliloque halluciné, une expérience magique qui explore les frontières de la représentation.
Lopération propre au mage réside en cela : partir dune représentation imagée pour créer et produire du texte, partir dun langage descriptif et neutre pour aboutir à une langue transmuée, volontiers drôle et parodique. Le mage, nouvel alchimiste, récupère tout dans son creuset : textes, objets, souvenirs, traces, arts, images (le livre présente de nombreuses photographies, cartes, reproductions de documents iconiques
), et les transforme en une expérience scripturale inédite : «On refoule, on accumule, on tresse, on se noue. Comme ça. Ressort la parole quon veut. Et cest irrésistible» (p.140). Nous ne sommes pas très loin dune conception surréaliste de la littérature, à la différence notable que le narrateur-mage conserve sans cesse à son propre égard une ironie et un humour qui «contrôlent» et mettent à distance ce quil pourrait y avoir dexcessivement (et de ridiculement) lyrique ou visionnaire on nest plus mage aujourdhui comme on pouvait lêtre (ou croire lêtre) au début du XXe siècle ; la mélancolie nest dailleurs jamais loin dans cette recollection folle.
Le livre fonctionne par strates, passages, glissements de sens et de niveaux de réalité : plonger dans limage de la rivière, cest aussi fantasmatiquement plonger dans la rivière elle-même, et plonger dans du texte. Corps, langage et imagination coïncident dans lexpérience du mage. Lécrivain selon Cadiot est doit être en perpétuel devenir, tantôt homme, tantôt molécule, tantôt animal («poisson» ici, bien sûr), cela pour décupler ses modes de perception. Ce qui compte, cest la vitesse du changement, non les stases auxquelles on peut aboutir chacune est faite pour être dépassée, bouleversée : «Deviens ce que tu es, je comprends maintenant ce que ça voulait dire, ça part dans les deux sens en même temps, cest en provoquant une chose quelle sactualise. Un drakkar au milieu dune rivière. Un cheval traverse un lac glacé» (p.115). Un mage en été se lit comme une expérience étonnante et passionnante, une exaltation tour à tour énergique et douloureuse des pouvoirs de la littérature, une machine qui construit un théâtre un cinéma mental pour que lon se sente exister.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 08/09/2010 ) Imprimer | | |
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