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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Moi, Enaiatollah Akbari, de Nava, ''Je dis dix ans comme ça…'' | | | Fabio Geda Dans la mer il y a des crocodiles - L'histoire vraie d'Enaiatollah Akbari Liana Levi 2011 / 15 € - 98.25 ffr. / 173 pages ISBN : 978-2-86746-558-1 FORMAT : 14,4cm x 20,9cm
Traduction de Samuel Sfez Imprimer
A laube qui se lève sur Quetta au Pakistan, Enaiat se réveille, seul, abasourdi de labsence maternelle. Hier encore il samusait à se cacher sous la burqa de sa mère. Effaré de lagitation qui règne dans la rue, il cherche un coin dans la salle de lhôtel, pour sasseoir et «penser quil devait réfléchir».
Enaiatollah Akbari comprend ce quà 10 ans un enfant peut saisir du danger : il sait que son père a été assassiné et il a vu les talibans fusiller son maître décole, froidement, devant tous les élèves réunis pour la circonstance dans la cour. Déjà, instinctivement, il sait pourquoi cette mère aimante a décidé quil «valait mieux [le] savoir en danger loin delle mais en route vers un futur différent que [le] savoir en danger près delle, dans la boue et dans la peur pour toujours». Lespoir dune vie meilleure pour son fils est plus fort que tout : face aux menaces de morts qui pèsent sur leur famille hazara, ethnie haïe des Pachtounes et des Talibans, sa mère lui fait promettre de ne jamais prendre de la drogue, dutiliser des armes et de voler. Par amour, pour lui permettre de vivre, elle renonce à garder son enfant plutôt que de le voir sacrifié. Salomon, dans son jugement, aurait su reconnaître en elle la vraie Mère
Désormais lenfance la abandonné mais il retourne souvent près dune lécole pour écouter les rires dans la cour de récréation, pour les regarder - discrètement - jouer, et se souvient ainsi de ses jeux à lui, du bruit de son ballon, de ses copains, de son village, de cette vie-là. Dans ses souvenirs, il puise aussi sa force.
Commence alors pour ce petit bonhomme, «haut comme une chèvre» mais doté dun instinct de survie hors du commun, un parcours inouï qui va le mener du Pakistan en Italie au terme de quatre années derrance, raquetté par la police ou les passeurs. Mais Einaiat le dit lui-même : «ce qui mintéresse moi cest ce qui se passe». Bons ou méchants, les gens sont «nimporte qui qui se comporte comme ça».
Le récit authentique de la fuite, fidèle à la réalité du terrain, est subtilement retracé par Fabio Geda, qui rencontra bien des années plus tard Enaiatollah Akbari au Centre Interculturel de Turin. Lhistoire ne sombre jamais dans le mélodrame. Bien au contraire, elle colle au plus près de la naïveté et de lhonnêteté tout enfantine de sa vie quotidienne. «Quand on est petit quest-ce quon connaît du monde ? Écouter et croire cétait la même chose. Je croyais tout ce quon me racontait». Fabio Geda sait recueillir la parole de lenfant, toute simple. Ainsi quand il raconte son premier emploi : «Je rapportais toujours tout largent et même un peu plus [
]. Je navais jamais eu affaire à largent avant, alors dans le doute, je donnais aussi mes pourboires». Sans argent, pas de montre : pour savoir lheure, il mesure son ombre en pas.
Très vite, lénergie que demande cette survie est telle quelle va engloutir les souvenirs. Le présent, linstant, la faim, rester en vie sont les seuls objectifs. «Je nai jamais peur. Et jai toujours peur. Je ne sais plus faire la différence», lui dit un ami. Cette parole résume sa nouvelle vie et, face aux dangers, les mécanismes de survie se mettent en place. Avec toujours un maître mot : devenir invisible. Échapper aux contrôles. Sil y a quelques gestes de bonté, le parcours est cruel, parfois barbare mais il faut échapper à la tentation du retour. Il faut continuer à fuir, il y a peut-être un lieu pour vivre quelque part, un endroit pour rester.
Comment fait-on pour changer de vie comme ça ? Fabio Geda demande. «On le fait, cest tout. Lespoir dune vie meilleure est plus fort que tout autre sentiment. Un jour jai lu que le choix démigrer nait du besoin de respirer». En lui disant adieu, sa mère lui a soufflé : «Il faut toujours avoir un désir devant soi [
], parce que cest en essayant de satisfaire ses désirs quon trouve la force de se relever, il faut toujours avoir un rêve au-dessus de sa tête, quel quil soit, alors la vie vaudra la peine dêtre vécue».
Joëlle Piriou ( Mis en ligne le 18/03/2011 ) Imprimer | | |
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