| Philippe Bordas Chant furieux Gallimard - Blanche 2014 / 22,90 € - 150 ffr. / 496 pages ISBN : 978-2-07-014555-3 FORMAT : 14,2 cm × 20,5 cm Imprimer
La quatrième de couverture promet un livre sur Zinédine Zidane, son histoire racontée par un journaliste photographe, Mémos, qui a été mandaté par un publicitaire pour suivre le champion pendant trois mois et faire des clichés inédits, en tant que «spécialiste de lobscur». Il est bien sûr question de ce sportif, mais le sujet est surtout prétexte à disserter sur les banlieues, entre autres...
Mémos est un métis, il commente son épopée de trois mois à un ami aveugle, noir, Wakami, englobant dans son récit leurs autres amis communs, Finioule, Mouss et Sidibé, dorigine étrangère également, issus comme eux des «quartiers défavorisés». Le quart du livre concerne le football et le reste est une immense dérive verbale à la gloire de ces jeunes, marginalisés, décalés, à leur vie «davant» ; à lépoque où largot des rues, le verlan, régnait en maître ; à lépoque du «possible» de leur futur ; à lépoque où le foot était pour eux. Il faut du temps pour comprendre que le fond du sujet est celui-là ; en est-ce bien le fond dailleurs, et y-a-t-il bien un fond ?
Car la forme noie le tout dans une logorrhée impressionnante. Les sujets choisis ont pour point commun un rejet de la vie actuelle, un dégoût de la mondialisation, de largent et du «business», un décalage par rapport à lévolution de la société, un désespoir du langage vrai, réunis dans le presquoxymore du titre. Tout est âcreté, noirceur, anathème, incompréhension de ce quest devenue leur vie, lensemble étant soutenu par un style atypique, mélangeant le verlan, lancien français façon Villon, les envolées insolites à la Frédéric Dard, le galimatias historico-français, et surtout un alignement, un gargarisme de mots rares, voire inusités, ainsi que de tournures de phrases alambiquées à la limite de la syntaxe autorisée : «La cité des sports nabrite que portiques cliniques et nuls vestibules qui suçonnent les visiteurs comme alevins de pièces vides plus-que-vides en quadrilatères de récente peinture enchâssés de cubes médians ouverts de cubes seconds et tiers impossibles à compter ; qui nous attirent de buses en huis par le travers de vantaux à oculus et de pertuis de verre agis de vigiles ; qui nous étirent des zones lacunaires de fraîche laque vers les portes monumentales et les infimes trouées policées de colosses et là nous liquéfient, en ces bassins de nuit, là nous fluidifient par blagues et rires, et sommes fretin au barrage, retenus à ces porches initiatiques sans autels ni encens, contenus à lécluse et libérés selon le gré machinal des badges, lorphique frottis»
Aussi, lorsquarrivent les descriptions du dernier match de Zidane, en présence de ses parents et de sa famille, on est stupéfait de lire des phrases normales, amicales, pleines de respect pour ces parents si dignes et pleines dempathie pour ce «fils kabyle (qui) avait redonné couronne à une nation morte un pays privé de victoire depuis le retour des hallucinés dArgonne et de Verdun»
Dany Venayre ( Mis en ligne le 29/08/2014 ) Imprimer | | |