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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Le greffier du mois de Mai (et de nos petites renonciations) | | | Frédéric Vitoux Les Désengagés Fayard 2015 / 20 € - 131 ffr. / 320 pages ISBN : 978-2-213-68242-6 FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm Imprimer
Frédéric Vitoux nous a bien eus. On lit la quatrième de couverture : tout est là pour nous faire croire à lhistoire des amours entre un post adolescent et une quadra qui, elle, sait comment se passe les choses. Bref, quand on remplace la fermeté des chairs par cette pudique sentence : avoir de lexpérience
On lit louverture : le jeune homme, prometteur écrivain-vif comme on est écorché, rencontre sa future directrice littéraire chez un disquaire, un jour dOctobre 1967. Le Summer of Love est advenu. On sattend évidemment à des échanges autour de grands crus musicaux de cette année : Jimi Hendrix (Have you ever been experienced ?), Rolling Stones (Between the buttons), Jefferson Airplane (Surrealistic pilow)
Las. Nos futurs amants devisent autour du Chevalier à la rose, dHugo Von Hofmannsthal, transposé par Richard Strauss, et du Mariage de Figaro de Mozart. Pis, on se demande quel choix a pu conduire à prénommer ainsi nos deux oiseaux (un jeune geai et la palombe de crépuscule) : Octave et Marie-Thérèse. Par une sorte donomastique des évidences, on est amené à interpréter le premier comme la référence à leur berceau : lunivers musical ; le second, comme une liaison vers lordre du religieux, du sacrifice, du renoncement. Et voici le piège refermé sur nous.
En fait deau de lavande, Vitoux trempe sa plume dans leau-forte de ses souvenirs, de ses croyances. De ses blessures peut-être. Et ici, la charge est à la fois belle et violente. Sur le récit des amours entre Octave et Marie-Thérèse se superposent les portraits dautorités morales, politiques, intellectuelles établies en cette fameuse année 1968 ; la photographie de cette France qui sennuyait, comme lécrivait alors Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde, en cette période qui nous semble irréelle et quon appelle ''Les Trente glorieuses'' ; le milieu littéraire et la comédie des marais éditoriaux enfin, «sans pitié» et «dune bassesse pire que son conformisme». Sur la guerre dAlgérie, sur les événements de Mai, comme on disait alors, et pour lesquels les héros de ce curieux printemps sont lacérés avec méticulosité.
On songe également à la manière dont est dépeinte la marchandisation des événements politiques par lédition, de lHistoire immédiate comme on dit et la «capitalisation» des slogans anti-bourgeois du Quartier latin. Daccord ou pas, on est saisi par lécho renvoyé vers nos années, où le conformisme na pas changé de nature. Seulement de visage. Cest que lauteur du Dictionnaire amoureux des chats aime les griffes. Au détour dune page, bercé par les basses fréquences du ronron, le coup de patte est là, assumé. Il ferme les yeux, mais il vous observe, vous jauge, vous juge. Cest parfois gratuit, mais de cela, un greffier nen a cure. Il note. Il exerce parfois sa sentence. Ainsi de lanalyste politique, «toujours mieux à laise pour prévoir le passé que pour prédire lavenir», mais qui continue de jouer au barde dans ce village des années 60 quon appelle Paris.
Et quand on aime les chats on aime Paris. Linverse est vrai. Par ce chiasme assumé de comptoir, on peut aisément jouer avec lauteur, son animal-totem et son bout du monde : lîle Saint-Louis. Mais attention, Paris ne se livre pas ainsi : les personnages du roman qui sy succèdent sont tous frappés par lamour-vache qui caractérise cette ville. Elle exerce une force centrifuge pour tous ceux qui, layant quittée ne serait-ce quune fois, souhaitent y revenir. Paris vous remercie, en somme. Malheur à qui sen éloigne !
Dans ce brouhaha, dont on perçoit bien sûr la maîtrise et la rouerie, Vitoux fait aussi de son roman un mini manifeste, en prenant le contre-pied de certains de ses pairs : celui du refus de l«intellectualisation» de la littérature. Et Marie-Thérèse daffirmer «quil ne faut pas être trop intelligent pour écrire un roman, je veux dire de cette intelligence qui paralyse, qui analyse, qui ratiocine, qui ricane». Cette intelligence-là, dont il ne supporte pas quelle ait pris le pouvoir moral sur limagination, et dont «tous les prestidigitateurs, les acrobates, les laborieux de la revue Tel Quel, qui ne cessent dergoter sur la textualité ou sur rien nécriront jamais un roman comme
Giono a écrit Le Hussard sur le toit ou Aragon La Semaine sainte».
Aragon ou Céline, lun pathétique et lautre abject quand ils ont tenté de raisonner, mais les deux sublimes quand ils ont fait de la littérature, quand ils se sont désengagés. Voici la seule revendication du roman et la raison décrire de son auteur.
La seule vraiment ? Avec un matou doublé dun insulaire, allez savoir !
Stanislas Bosch-Chomont ( Mis en ligne le 14/01/2015 ) Imprimer | | |
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