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| Pascal Ory Nizan - Destin d'un révolté Complexe - Destins 2005 / 19.90 € - 130.35 ffr. / 282 pages ISBN : 2-8048-0029-6 Imprimer
Certes, 2005 sera lannée Sartre, avec le cortège dhommages, de rééditions, de colloques, dexpositions que cet anniversaire suppose. Mais il ne faudra pas oublier de saluer également la mémoire dun exact contemporain de lauteur des Mots : son condisciple de khâgne et ami Paul Nizan
Avec les rééditions dAntoine Bloyé (« Cahiers rouges », Grasset) et du Cheval de Troie (Imaginaire Gallimard), celle de la biographie de Pascal Ory nous rappelle à quel point Nizan mériterait lui aussi létiquette de «contemporain capital». Essayiste, romancier, polémiste, critique, philosophe, militant communiste jusquen 1939 : voici le parcours exemplaire, par sa profonde intégrité et son questionnement incessant, dun homme fauché par la guerre en pleine maturité intellectuelle.
Le texte de Pascal Ory, initialement paru en 1980, a plutôt bien vieilli. Bien que certains péchés de jeunesse y soient encore bien visibles et si, depuis 25 ans, de nombreux témoins ont disparu, on peut se fier au sérieux de lhistorien pour reconstituer leffervescence dune époque : celle de cette génération protéiforme du début du XXe siècle, qui verra éclore les talents de Raymond Aron, Malraux, Sartre, Simone de Beauvoir, Maurice de Gandillac
De ses premières activités de revuiste à 20 ans jusquà cette pénétrante approche du discours journalistique que constituent les Chroniques de septembre (à une époque où on ne parlait pas encore de «médiologie»), Nizan va déployer durant quinze ans une activité littéraire considérable, dune remarquable qualité.
Inutile dévoquer ici Aden Arabie (1931), lessai qui consommera définitivement la rupture avec le monde bourgeois et dénoncera les mirages de lexotisme ; Antoine Bloyé (1933), drame solitaire et «méticuleux dun homme mutilé, stérilisé, réifié par le travail» ; La Conspiration, roman du désenchantement de la jeunesse, de ses éphémères révoltes et de ses impossibles révolutions
Pascal Ory livre à propos de ces textes, et de bien dautres, des analyses dune grande justesse, qui donneront à plus dun lenvie de se plonger dans cette uvre si dense, si riche.
Le parcours intellectuel de Nizan est lui aussi parfaitement retracé, et lon comprend mieux les choix de cet esprit exigeant et combatif, brièvement attiré par les faisceaux de Valois, puis rallié aux idéaux du communisme. Nizan plonge alors dans laction militante, fait le pèlerinage à Moscou et, plutôt que de devenir un bolchevik mondain, préfère côtoyer la base en organisant des comités rouges en province, ce qui nira pas sans perturber sa carrière denseignant
Cest peut-être quand il sagit de vouloir nous convaincre à tout prix de la valeur humaine de Nizan quOry échoue. Non pas quil maquille la réalité des faits, mais il emploie alors un style par trop lyrique et des effets de manche rhétoriques (questions oratoires, abus des tournures déictiques comme «voici» ou «contemplez»
) pour mettre en scène «lhomme Nizan». Ecce lintellectuel au combat, ecce lamant fidèle
Et un roulement de tambour menaçant semble gronder en continu au fil des pages comme pour préparer le lecteur à lidée du destin tragique qui se noue sous ses yeux
Le biographe sencombre là dun pathos et dune grandiloquence dont il aurait pu faire amplement léconomie et se débarrasser au moment de la relecture de son travail. Ce sera pour une troisième édition
Quoi quil en soit, on ne pourra pas reprocher à Ory de faire preuve de faiblesse dans la défense de son sujet. Car la reconnaissance posthume de Nizan na guère été facile. Dans lavant dernier chapitre de louvrage, Ory a par exemple très clairement mis en évidence le rôle joué par Aragon dans la campagne de dénigrement contre Nizan. Présenté dans la première édition du roman Les Communistes comme un traître au Parti, à la moralité plus que douteuse (quand on sait quel parangon de vertu était Aragon !), Nizan ne sortira véritablement de son purgatoire quaprès avoir été exhumé, dans les années 70, par quelques journalistes bien informés et des éditeurs aussi courageux que Maspero. Sartre ne lui fera quant à lui jamais défaut : sa préface à la réédition dAden Arabie reste un classique du genre, et jusquau bout, il sattachera à défendre limage injustement ternie de celui avec qui il avait arpenté si souvent les rues de Paris
Toute luvre de Nizan est désormais disponible, à part le manuscrit de ce qui devait être son dernier roman, La Soirée à Somosierra, enterré par lun de ses camarades de combat quelque part dans le sud de la Belgique
Il existe même une société détudes nizaniennes. Rien de tel que de forger un adjectif sur le nom dun écrivain pour le faire rentrer dans un cénotaphe bien propre, bien lisse
On se plaît malgré tout à essayer dimaginer ce quaurait été le parcours de ce bourreau de travail, si le 23 mai 1940, la trajectoire de certaine balle explosive avait dévié de quelques centimètres. Seuls demeurent limage dun jeune homme anxieux, qui se rongeait perpétuellement les ongles et louchait dans lautre sens que son ami Jean-Paul ; et enfin, et surtout, une quinzaine de livres, qui nous donnent, aujourdhui plus que jamais, une grande leçon de lucidité.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 09/03/2005 ) Imprimer | | |
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