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Littérature -> Classique |
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Maeterlinck, Prix Nobel(ge) 1911 | | | Maurice Maeterlinck Oeuvres - Coffret 4 volumes André Versaille 2010 / 139.90 € - 916.35 ffr. / 2565 pages ISBN : 978-2-87495-096-4 FORMAT : 16cm x 25,2cm
Textes commentés par Paul Gorceix.
Préface de Jacques Lacarrière.
L'auteur du compte rendu : Frédéric Saenen est est professeur de français langue étrangère à l'Université de Liège. Il a publié plusieurs recueils de poésie et des articles de critique dans diverses revues littéraires belges et françaises. Il est l'auteur d'un Dictionnaire du pamphlet (Infolio, 2010) Imprimer
Maeterlinck sera-t-il le seul Belge à sêtre vu décerner le Prix Nobel ? Cétait en 1911 et lévénement est à ce point notable que léditeur André Versaille a choisi den commémorer dignement le centenaire. Impressionnants par la taille (et le poids !), les quatre volumes quil propose dans un somptueux coffret quornent des motifs picturaux de Fernand Khnopff ne contiennent pas tout Maeterlinck ; ils reprennent néanmoins, en sus du théâtre complet, les pages essentielles du poète, du critique et du philosophe. Car cet homme curieux de tout fut un polygraphe fécond...
Se situant, par son exigence et sa sophistication, à la lisière de lhermétisme, sa poésie est fondatrice de son esthétique «de leffet» et a pour foyer central ces fameuses Serres chaudes, dont le premier tirage fut imprimé à 155 exemplaires ! Le happy few suffisait alors à asseoir une renommée. Les quelques pièces qui composent cette plaquette érigent lanalogie comme outil herméneutique suprême. Elles témoignent dune conviction que lauteur ne reniera jamais, à savoir que le sens de lunivers, si tant est quil soit pénétrable, est à rechercher du côté de lunité fondamentale entre esprit et nature. Maeterlinck ne sest jamais départi dune croyance en une transcendance, quil qualifiera alternativement de «divine», de «supérieure», d«inconnue» sans parvenir à se fixer dogmatiquement sur lune de ces appellations.
Ainsi Maeterlinck devient, avant les surréalistes et Magritte, un passionné du Mystère des choses. Sa quête unitaire lamènera à identifier comme néfastes les dualités introduites, principalement durant la Renaissance, par la modernité (corps/esprit, microcosme/macrocosme, moi/non-moi) et, en réaction, à magnifier un certain primitivisme, dans lacception que lon prête au mot pour la peinture flamande.
Paul Gorceix (exégète de cette somme anthologique, à qui le temps naura hélas pas accordé le bonheur de voir aboutir ce vaste projet) insiste sur le fait que Maeterlinck extrayait de son patrimoine intellectuel propre «ses images étranges chargées désotérisme et de réminiscences religieuses, ses thèmes privilégiés, lidée de mort et de transcendance dont il fait lidée force de sa dramaturgie, et, avant tout, une conception personnelle de lécriture, nourrie paradoxalement du silence, de linconnu en nous et autour de nous, et de lInexplicable».
Voilà pourquoi le théâtre statique inauguré en 1890 avec LIntruse, Les Aveugles ou Les Sept Princesses baigne tout entier dans un climat irréel, atemporel, troué de blancs et de vides à combler, filé de dialogues qui sont soit des réparties brèves ou balbutiées, voire des interjections, soit des suites de monologues plus amples qui accentuent la solitude quintessenciée de chaque figure. La discrétion des didascalies laisse au metteur en scène une entière liberté de spatialisation, ainsi que de jeu aux acteurs. Cest que ce théâtre ressemble plus à de la poésie pure, égrenée le temps dune tragédie. Dans le cap franchi avec Monna Vanna en 1902, Gorceix voit une bifurcation. «[Limagination du dramaturge] passe du Septentrion au Midi, de lindétermination du temps et du lieu à une époque et un pays bien définis [
], de limmobilité et du silence, à laction, au bruit et à la couleur». Les personnages sont davantage incarnés, leurs tourments nont plus rien déthérés, mais sont tiraillés par des positions dilemmatiques concrètes, entre individu et collectivité par exemple.
Il faut dire quentre-temps Maeterlinck a écrit un essai très différent mais qui modifie son appréhension des êtres et des sociétés
La Vie des abeilles est en effet le seuil dune trilogie qui jouira dun immense succès. On nest plus guère ici dans un «recueil pascalien», selon létiquette que la critique accolait souvent à ces écrits théoriques, mais que Maeterlinck récusera dailleurs fermement. Louvrage pose, selon Gorceix, «le problème de la Weltanschauung de Maeterlinck et, au-delà, celui de sa personnalité». Alors que Maeterlinck naura guère été un écrivain engagé, prompt à dénoncer telle conjoncture politique particulière ou telle situation de crise précise, il va repenser les collectivités, leur organisation et leur perpétuation en se penchant sur des règnes invisibles, souterrains, non humains ! Un regard avant-gardiste pour lépoque, beaucoup plus «sociétal» que social
Il serait réducteur de percevoir chez Maeterlinck une fascination malsaine envers les régimes autoritaires au vu de son intérêt croissant pour les ruches, les termitières et les fourmilières. Les choses sont un peu plus complexes car, comme lavoue Maeterlinck lui-même, si «petites, oiseuses, et presque enfantines» que peuvent apparaître ces observations, elles nous dévoilent «une face assez inquiétante de lAnima mundi».
En basculant dans une dimension parallèle et en lexplorant de lintérieur, Maeterlinck soffre loccasion de délivrer une belle leçon de relativisme, notamment sur la question de lintelligence humaine. Daprès lui, il ne faut pas juger stupide un être qui nobéirait quà son instinct profond, surtout pas en regard de notre propre condition : «Ne voyons-nous point parmi nous la conscience et lintelligence vivre longtemps au milieu des erreurs et des fautes, sans les apercevoir, plus longtemps encore sans y porter remède ?»
Alors que le dernier volet, La Vie des Fourmis (1930), est moins convaincant, en cela quil repose en grande part sur des citations de références plutôt que sur des constats in vivo, le volume le plus captivant de la série reste celui dédié aux termites, en 1926. On sent que la guerre et la montée des régimes forts sont passées par là, laminant lidéalisme qui planait au-dessus des laborieux hyménoptères. Les isoptères, eux, retranchés dans leur sombre et inexpugnable forteresse, sont autrement effrayants et hantent un authentique enfer, au regard des charmants rayons mellifères de la ruche. Chez ces Nibelungen à six pattes, tout est régi par un communisme impitoyable, qui verse dans le cannibalisme pur et simple. La description de lhabitat, sorte de dôme obscur où les larves sont étagées suivant leur degré de développement, fait froid dans le dos. Les portraits des différentes types de castes (les ouvriers, les soldats) culminent en horreur au moment où lon arrive au «couple royal» avec le roi, «sorte de prince consort, [
] minable, petit, chétif, timide, furtif» et la reine, «un gigantesque ventre gonflé dufs à en crever, absolument comparable à un boudin blanc doù émergent à peine une tête et un corselet minuscule, pareils à un bout dépingle noire fiché dans un saucisson de mie de pain».
Cet ouvrage est peut-être le plus fataliste de Maeterlinck, il suinte dune angoisse quant à ce que pourrait devenir lhumanité si elle sombrait dans le collectivisme décérébrant. Aussi lauteur reporte-t-il ses espérances résiduelles sur «la faculté à laide de laquelle nous comprenons finalement que tout est incompréhensible ; et regardons les choses au fond de lillusion humaine» : lintelligence.
Sans nul doute, il y a encore de quoi largement puiser dans les pages toutes tissées dombre et de lumière de ce Belge dont Artaud soutenait quil avait «introduit dans la littérature la richesse multiple de la subconscience» et que Jean Cassou mettait à pied dégalité avec Mallarmé. Encore faut-il oser cette confrontation avec lÉnigme à laquelle il semble nous convier sans fin : «Il suffit de gratter la surface de nimporte quel mot, de nimporte quel fait, de nimporte quelle pensée, pour trouver le mystère».
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 14/01/2011 ) Imprimer | | |
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