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Le dernier mot au lecteur
Entretien avec Joseph O'Neill - (Netherland, L'Olivier, Août 2009)


- Joseph O'Neill, Netherland, Le Seuil (Points), Août 2010 (L'Olivier, Août 2009), 335p., 7 €, ISBN : 978-2-7578-1942-5
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Parutions.com : Quel sens donnez-vous au titre du roman, Netherland ?

Joseph O’Neill : Cela peut en fait signifier plusieurs choses et c’est vraiment au lecteur de décider, mais je ne pense pas en dire trop en suggérant que cela fait avant tout référence à New York. New York s’appelait autrefois New Netherland [La Nouvelle Amsterdam], ce qui donne au livre une perspective historique. C’est également un écho à la nationalité de Hans, le narrateur, qui vient des Pays-Bas [Netherlands en anglais]. Et Ground Zero est en fait une sorte de netherlands, c’est à dire des terres basses, plus basses que le reste du territoire. Le terme renvoie enfin selon moi à l’état de faiblesse psychologique endurée par les États-Unis et New York depuis ces dernières années, des terres déprimées.

Parutions.com : Dans ce roman, votre style est très dense, sans aucune lourdeur. Est-ce que cela vous a demandé un travail particulier, pour un rendu différent de vos autres romans ?

Joseph O’Neill : C’était pour moi la première fois que j’avais suffisamment de confiance pour me risquer à sortir de ce ton plat et familier qui caractérise la plupart des romans de nos jours. Cela conduit à certaines impasses mais je me suis lancé dans ce type d’écriture d’une part parce que je le désirais et d’autre part parce que c’était pour moi un moyen intéressant d’écrire, et j’avais besoin de cet intérêt-là. Cette fois aussi, il n’était pas seulement question pour moi de confiance mais aussi de nécessité. Ce roman est fortement rétrospectif et demande de la part du lecteur un certain degré de concentration – et à l’auteur, d’organisation – ce qui, selon moi, amène naturellement à ce type d’écriture lyrique. La raison de ce lyrisme n’est pas que vous trouverez dans le roman de magnifiques couchers de soleil – bien qu’il y en ait ! – mais justement que l’écriture se veut précise, fidèle non seulement au sujet traité mais à l’humeur, à l’état d’esprit du personnage principal, ce caractère introspectif. Et pour rendre compte de cette âme profonde et complexe, le lyrisme dans l’écriture m’a semblé naturel et approprié, un style à la fois dense et fluide.

Parutions.com : La teinte mélancolique de votre plume aide sans doute aussi à rendre le caractère du narrateur…

Joseph O’Neill : Oui, le ton donne des indices sur qui il est et ce par quoi il est passé. Et il est seul, ce qui en soi est déjà assez mélancolique. Il passe de toute évidence par une période de mise à l’épreuve, dont on peut penser qu’elle ne se terminera jamais. C’est un challenge réel que d’essayer de donner un sens à sa vie.

Parutions.com : Est-ce que pour atteindre ce style si concentré, vous avez dû passer par beaucoup de réécriture ?

Joseph O’Neill : Chaque phrase a été réécrite… Je ne veux pas exagérer car on essaie tous d’écrire naturellement, mais en même temps vous vous efforcez d’atteindre le meilleur phrasé possible. Et pour atteindre une langue sans fioritures, sans éléments gratuits, vous devez couper, car vous ne voulez rien écrire de gratuit.

Parutions.com : Comment écrivez-vous ? Quelle est votre méthode ?

Joseph O’Neill : Vous savez, John Updike a dit une fois que l’on doit écrire comme si l’on était en transe, et c’est ce que j’ai essayé de faire avec ce roman. Mais le problème, c’est que c’est dur, c’est quelque chose de très difficile à accomplir. C’est aussi ce qui m’a donné le plus de plaisir et j’espère que le lecteur ressentira cela. Mais pour écrire de cette façon, vous passez beaucoup de temps à être juste là et attendre. C’est comme écrire un poème ; vous attendez que les mots et les phrases surgissent de nulle part.

Parutions.com : Les différentes séquences du roman – la vie à New York, la jeunesse aux Pays-Bas, la vie à Londres – sont entremêlées comme autant de flashbacks sans réel sens chronologique. Comment avez-vous fait pour construire votre récit ?

Joseph O’Neill : Je n’ai en fait rien planifié ou prémédité, en pensant que telle section devrait apparaître avant telle autre. Je n’ai pas organisé ces allers-retours ; je me suis juste laissé porter par le récit. Et ici, le cours de l’histoire ramène régulièrement Hans vers son enfance. Ce qui est logique car il essaie de mettre un terme à une longue période de désorientation dans sa vie ; il espère émerger de cette confusion. Ce sentiment d’abandon amène Hans à l’introspection et lui fait prendre du recul par rapport à des événements qu’il n’avait pas médités jusqu’alors. Ainsi, alors que le roman débute aux retrouvailles avec sa femme à Londres, il revient à son époque new-yorkaise et réfléchit au Hans qu’il était alors et comment il subissait des influences remontant à son enfance.

Parutions.com : C’est un élément très intéressant dans le roman : la pensée avance et se construit à travers cette façon qu’a Hans de mettre des mots sur des choses, des souvenirs, tous ces éléments nés de son introspection…

Joseph O’Neill : J’ai grandi en lisant Saul Bellow qui fait cela tout le temps. Et j’ai pensé que c’était ici la chose à faire. Mes romans précédents ne sont en fait pas aussi fluides que celui-ci. Cette manière qu’à Hans de réinvestir sa mémoire crée un rapport particulier entre le passé et le présent. Cela implique aussi un certain détachement par rapport au passé, et sa mystification avec le temps.

Parutions.com : Est-ce un sentiment qui vous est familier ? Cette impression qu’a Hans que son passé même ne le renvoie plus vraiment à lui, que ces alter ego du passé ne sont plus réellement pertinents par rapport à son être présent ?

Joseph O’Neill : Je crois oui. C’est bien vu. C’est drôle mais je me rappelle très bien devoir écrire une dissertation sur le temps alors que j’étais adolescent et que je venais de débuter Gatsby le magnifique. Le sujet exact de la rédaction était : «Discutez le concept de temps». Et je n’ai aucune idée de ce que j’ai pu écrire… J’ai bien répondu à la question mais je ne m’en souviens plus. Mais je crois que quand vous atteignez l’âge qu’a Hans, que les gens commencent à mourir autour de vous et que tout semble devenir plus difficile, vous atteignez alors un moment de réflexion dans votre vie. Le temps n’est alors plus du tout une abstraction mais quelque chose de bien réel. Vous êtes alors véritablement pris dans sa toile. Ce que je veux dire c’est qu’à 22 ans, vous avez un rapport immédiat avec qui vous étiez à 16 ans. Et vous avez encore presque un rapport intrinsèque avec votre enfance. Mais en vieillissant, ces souvenirs prennent des contours fictifs. C’est en tout cas ainsi que je vis les choses, bien que j’imagine que d’autres personnes ont des approches différentes.

Parutions.com : Comment dépassez-vous ce paradoxe de souvenirs devenus fiction, mais qui, pourtant, ressurgissent du passé et poursuivent leur influence sur le présent ?

Joseph O’Neill : C’est une question sur laquelle planchent activement les philosophes. Le processus de narration, ou comment vous incorporez à votre propre histoire des souvenirs, des façons d’être du passé, des épisodes de votre vie remémorés. Lors d’interviews, on me demande toujours de partir du début, de ma naissance en Irlande, puis de ce que j’ai fait, où je suis allé, l’université, mon mariage, comme si tout cela n’était qu’une simple histoire tenant d’un bout à l’autre. Mais je ne suis pas sûr que les choses fonctionnent ainsi. Ce n’est qu’une illusion de continuité. Comme si c’était un film cousu de photographies distinctes qui semblent aller ensemble et former un tout mais qui, en fait, sont différentes et séparées les unes des autres. Votre question est une bonne question, mais je ne suis pas sûr de pouvoir y répondre.

Parutions.com : Les critiques considèrent souvent votre roman comme un livre de l’après 11 Septembre. Quelle était votre intention ?

Joseph O’Neill : Ah ? Je n’étais pas au courant de cette étiquette ! Et il n’étais pas vraiment dans mon intention de traiter le 11 Septembre, ni de dire ce qu’était New York à cette époque. Cela m’est seulement venu comme un scénario évident, le monde dans lequel évoluent les personnages. Je n’avais pas d’autres ambitions.

Parutions.com : J’ai lu un entretien dans lequel vous réagissiez contre James Wood affirmant qu’il s’agit là d’un roman post-colonial à cause des thèmes de l’immigration et de l’identité qui l’irriguent. Considérez-vous ces thèmes comme des clés, comme des éléments essentiels du roman ?

Joseph O’Neill : Ce roman est comme une serrure qui ne fonctionne pas exactement comme une serrure, car vous pouvez l’ouvrir avec toutes sortes de clés. Si ce point de vue vous semble intéressant, c’est alors une façon comme une autre d’entrer dans le livre et de percevoir son histoire. C’est un point de vue comme un autre. Car en effet, l’histoire est peuplée presque exclusivement d’immigrés. Mais il y a plusieurs perspectives et plusieurs thèmes traités dans le roman, et mon intérêt ne va pas à l’un d’eux en particulier. C’est un peu difficile de dire les choses ainsi mais cela me semble important. Je ne pense pas que je doive donner de directions au lecteur parce qu’en tant que texte, le roman appartient à celui qui le lit. Le lecteur a matériellement acquis le livre, il l’a acheté ; et c’est à lui de décider ce qui, personnellement, lui semble important.

Parutions.com : Parlez-moi de votre inspiration. D’où vous est venue l’idée de départ ?

Joseph O’Neill : Tout est parti de mon expérience comme joueur de cricket à New York ! Je pratiquais ce sport depuis quelques saisons et il m’a semblé que cet univers pouvait avoir un intérêt d’un point de vue littéraire. Tout était donc là : je suis parti du cricket et le reste est venu ensuite.

Parutions.com : Que vouliez-vous montrer à travers les personnages du Chelsea Hotel, tels que l’ange et la vieille femme ?

Joseph O’Neill : En fait, je l’ignore. Ici encore, j’essaie de me tenir en retrait de toute intention littéraire et ce que je voulais avant tout n’était donc pas de dire quoi que ce soit sur le monde et comment il marche, mais tout simplement de trouver des éléments de dramatisation qui fonctionnent avec le récit, ce qui impliquait beaucoup de choses aléatoires, parce que la vie va ainsi. Le personnage de l’ange est un risque que j’ai pris, bien que j’ai connu quelqu’un qui lui ressemblait beaucoup. J’ai envisagé le danger que ce personnage soit écrasé par sa dimension symbolique, quelle qu’elle soit. Mais mon instinct me disait que le livre tiendrait avec ce personnage et je crois que c’est le cas, mais tout à fait par hasard.

Parutions.com : Est-ce que le personnage de Chuck, le self-made-man, est selon vous encore un topos du Rêve Américain ?

Joseph O’Neill : Et bien je crois qu’il a encore sa place et que donc, il existe. J’ai longtemps pensé que le Rêve Américain n’était qu’un concept littéraire, mais en fait, ça ne l’est pas. Si vous écoutez les hommes politiques durant les élections, ils ne cessent d’évoquer le droit de chacun de goûter au Rêve Américain, de restaurer le Rêve Américain dans des pans de la société qui en ont été écartés. C’est un mythe fondateur des États-Unis. Et mon intérêt pour ce mythe ne relève pas d’intentions seulement littéraires. En créant un personnage comme Chuck, vous ne pouvez pas éviter toutes ces idées que les derniers sont les premiers et que tout peut arriver dans ce pays, parce que c’est exactement ce qui l’anime. Il n’a rien d’autre ; il doit faire fructifier cette idée.

Parutions.com : Il y a un passage du roman qui reste obscur pour moi : quand Hans est en vacances en Inde, il voit ces files d’hommes émaciés aller au travail et se dit qu’à chaque fois qu’il pensera à eux, c’est Chuck qu’il verra.

Joseph O’Neill : Je crois que c’est à Hans et au lecteur d’élucider cela. Hans ne fait que se rappeler ses impressions, sans forcément les comprendre. Il y a de toute évidence une similitude physique entre Chuck et ces types, bien que Chuck soit plus trapu. Chuck, d’un point de vue ethnique, vient de cette région, ou du moins le paraît-il, même si l’on ignore de quel coin d’Inde il vient exactement. Mais je suppose qu’Hans entrevoit pendant un instant un élément de la réalité de Chuck, à savoir qu’il venait de la forêt et de la misère avant qu’il ne le connaisse à New York. Chuck lui-même raconte une histoire longue sur sa course à travers la jungle, quand il n’était qu’un garçon, pour échapper à des dealers de drogue, tout comme il fuyait le monde de la chance et du hasard pour celui, plus méritocratique, de l’Amérique. Mais je ne veux pas en dire plus à ce sujet.

Parutions.com : Chuck est un personnage plus vrai que nature, très présent dans le roman, bien que celui-ci se concentre surtout sur l’expérience de Hans. Selon vous Chuck représente-t-il quelque chose de plus important que ce qu’il est ?

Joseph O’Neill : Il peut représenter tout ce que vous voulez. Que représentez-vous ? Qu’est-ce que moi je représente ? Je ne veux pas brider ce personnage avec une théorie personnelle.

Parutions.com : Est-ce que Gatsby le Magnifique fut pour vous une référence importante pendant l’écriture du roman ?

Joseph O’Neill : Pas vraiment, non. Mais à la fin, je me suis rendu compte que ce que j’avais écrit avait en effet une dette énorme envers le roman de Fitzgerald. D’une certaine manière, les deux livres ont eu ce dialogue. J’ai adoré ce roman quand je l’ai lu il y a des années, et j’y suis retourné de temps à autre. Je ne l’ai pas lu alors que j’écrivais ce livre, mais ce fut de toute évidence l’un des points de départ. Les différents éléments de base de mon roman doivent leur existence de bien des façons à Gatsby le Magnifique.

Parutions.com : Comment vivez-vous le fait d’être un Européen à New York ? Cela fait 10 ans que vous y vivez à présent ; vous n’êtes donc plus vraiment un étranger…

Joseph O’Neill : 11 ans. Je suis très à l’aise là-bas et j’ai ressenti cela à la minute où j’y suis arrivé. C’est un univers difficile à bien des égards, mais votre droit à en faire partie n’est jamais remis en question. Et je crois que cette vérité ne souffre que très peu d’exceptions dans les spectres sociaux et raciaux. Il y a bien sûr des disparités sociales, raciales et de classe, mais très peu en termes d’identité new-yorkaise.

Parutions.com : Avez-vous ressenti cela ailleurs ?

Joseph O’Neill : Non, je n’ai jamais connu d’endroits comme New York. Même à Londres. Si vous, qui êtes américaine, viviez à Londres, vous seriez considérée comme une Américaine. Et ce serait ainsi pour le reste de votre vie. Vous demeureriez une Américaine. Alors que si vous allez à New York… En fait, les New-yorkais sont tellement ignorants des cultures étrangères, cela les intéresse tellement peu, qu’ils vous donnent d’emblée une frappe dans le dos et vous invitent à les rejoindre. Mais on ne voit ça qu’à New York. Ailleurs aux États-Unis, les gens me demandent d’où je viens et ce que je viens faire ici…


Entretien mené en Anglais par Lisa Jones le 30 juin 2009 (Traduction de Thomas Roman)
( Mis en ligne le 07/09/2009 )
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