|
Littérature -> |
| Isabelle Sobelman Vivante Melville 2003 / 14.00 € - 91.7 ffr. / 102 pages ISBN : 2915341036 FORMAT : 14 x 21 cm Imprimer
Edith Piaf meurt en 1963 et, comme il se doit en notre époque commémorative, le quarantième anniversaire de sa disparition est un événement qui ne passera pas inaperçu en cette fin dannée. Livres, spectacles, télévisions, radios. De la répétition des images célèbres aux shows de variétés, de la biographie fouillée aux souvenirs plus ou moins captivants, que restera t-il ? On peut craindre la lassitude devant la mythification vaguement populiste que lhistoire officielle nous impose.
Ainsi la légende dune chanteuse est à reconsidérer. Sur le personnage Piaf, Isabelle Sobelman publie Vivante, un récit bref et percutant qui vient étoffer le catalogue des jeunes éditions Melville. En 1989, paraissait son premier roman Jalouse, qui décrivait les tourments dune femme possessive. Lauteur reconnaît aujourdhui laspect inabouti de ce livre. Depuis quinze ans, nul texte, si ce nest quelques productions liées à la Galerie Beaubourg.
Entre Piaf et lauteur, une longue traversée, une aventure amoureuse, une admiration, une lutte aussi pour achever ces pages. Par un rythme ternaire, lancinant, souple, Vivante rend possible le mimétisme entre la forme dune chanson et celle, plus longue, dun livre. Pour cela, deux dates rapprochées : 19 décembre 1915, 10 octobre 1963. Cest-à-dire la vie et luvre de la «Môme». Des débuts pauvres jusquau vrai lancement de sa carrière par Louis Leplée (patron dun cabaret-restaurant parisien), nous sommes face à un parcours romanesque, presque insaisissable à force de fulgurances. Le parcours de Piaf décrit une fuite en avant au plus près des hommes, un versant de lamour aussi lumineux que démesuré. Tous Raymond Asso, Paul Meurisse, Henri Contet, Yves Montand, Jean Cocteau, Marcel Cerdan, Eddie Constantine
ont aimé la même comédienne et la même voix. Et jusquà Marlène Dietrich, incarnation de la femme inaccessible, quune photographie nous montre dans un geste inattendu. La scène se tient à New York, en septembre 1952 : «Marlène, qui lhabille, la coiffe, lui offre une croix pour son cou enveloppée dun mot : il faut trouver Dieu. Marlène, à genoux, qui fait des trous dans la sandale de Piaf, lui remonte sa fermeture éclair, laisse subtilement dépasser son escarpin de daim aux découpes échancrées
»
Piaf est la première vedette française à faire son entrée au Carnegie Hall et devient ce quil est convenu dappeler une star. Le premier disque enregistré en 1935 semble loin. Les concerts senchaînent, les orchestres comptent parfois quarante musiciens. Elle est convoitée par le cinéma ; le public lacclame. Cest la période de LHomme à la moto et de Milord. Nous suivons une femme qui se consume parce quelle est incapable de mener une autre vie. Disposition singulière et libre du chant. «Ici le temps tourne autrement, se compte en trajets dair par les poumons, vibrations des rayons. Elle va prouver linflexion, une tout autre opération que ces calculs bornés, bilans de santé, vie chiffrée. Il ny a quà voir, entendre, humer ; cest vérifiable à chaque tournant, dans lélan, le suspens, ce goût de descendre et monter, dadditionner, soustraire, rattraper, retenir, multiplier. La santé est ailleurs
»
Vivante se concentre sur lincantation et la vérité de la musique. Sans prétendre à un traité de musicologie, lécriture met en évidence la force dinterprétation de Piaf. On situe la volonté de Sobelman en ce quelle repousse toute mauvaise sociologie. Il serait pourtant facile de dresser le tableau dune gamine de la rue de Belleville qui réussit grâce à son incroyable énergie. Elle deviendrait un modèle pour la jeunesse perdue. Une nuance de taille : sa voix. Après Rimbaud et la prémonition dUne saison en enfer, Piaf devient «un opéra fabuleux» alors quelle avait toutes les cartes en main pour échouer. Comment est-il possible quune chanteuse, vouée dès le commencement au malheur, parvienne à le transformer ? Invoquer comme explication la place du mystère serait un peu juste. Isabelle Sobelman reprend à son compte une phrase dEzra Pound qui souligne peut-être le fond de l'histoire. À savoir que «jamais un homme pourvu dune ouïe susceptible na négligé le problème de la durée relative des syllabes». Ce qui nest pas à comprendre comme une remarque technique, mais bien comme une expérience vitale. Gageons que le sort réservé à Vivante soit celui dune ouïe plus que susceptible.
Jean-Philippe Rossignol ( Mis en ligne le 26/09/2003 ) Imprimer | | |
|
|
|
|