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Littérature -> Poches |
| Rachid Boudjedra Hôtel Saint-Georges Le Livre de Poche 2013 / 6.60 € - 43.23 ffr. / 253 pages ISBN : 978-2-253-16305-3 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en février 2011 (Grasset) Imprimer
Combien dannées encore faudra-t-il pour que le vent de la mémoire cesse dattiser les braises sur lesquelles ont couvé la guerre dAlgérie et lhorreur terroriste ? Depuis la fin proclamée de cent-trente-deux ans de colonisation, il se sera passé bientôt un demi siècle et presque une décade depuis la dissolution du FIS. Et pourtant, Rachid Boudjedra, qui a déjà consacré de nombreux ouvrages et scénarios de films (dont Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, palme dor à Cannes en 1975) à cet ingérable passé proche, ne peut clore le chapitre, la douleur ne peut se taire même si, comme il le confie à Laure Adler (Tropismes, 26 mars 2011) et Sylvain Attal (France 24, 13 avril 2011), dans l«espace de liberté» nouvellement conquis, le temps est venu de la compassion et du pardon.
Bien que le ton rebelle de lauteur se soit apaisé depuis ses précédents romans où de nombreux éléments autobiographiques alimentaient une violente diatribe contre les archaïsmes de la société algérienne, Hôtel Saint-Georges (avec Les Figuiers de Barbarie, 2010) continue à pointer les contradictions et les pesanteurs dun pays mal réconcilié où amis et ennemis ne sont pas toujours ceux que lon croit, où les ex égorgeurs enrichis côtoient en toute sérénité leurs victimes survivantes contraintes au silence dun vivre ensemble, nécessaire et insupportable. Beaucoup sont corrompus. Chacun a en soi une plaie ou un couteau qui sommeille. Tous sont témoins. LHistoire doit reprendre son cours.
Ce sont ces témoins, ou tout au moins leurs portraits, en partie véridiques ou romancés, peu importe, qui défilent maintenant «au Saint-Georges», un des plus emblématiques établissements de loccupation française, que les Algérois continuent à appeler ainsi en dépit de son nom arabisé El Djazaïr, comme la ville dont il surplombe la baie en majesté. Chacun des protagonistes du récit détient sa vérité, sans réelle rencontre avec celle de lautre, dans un contexte toxique à bas bruit où les violences intrafamiliales reflètent les crimes dÉtat, où les motivations politiques entrecroisent les crapuleries ordinaires. Avec son débit haché habituel inspiré de L.F. Céline, alternant avec des compositions complexes ou poétiques, lauteur choisit dillustrer ces évitements entre lHistoire passée et actuelle, privée et publique, par la discontinuité des articulations entre les courts chapitres. Il manque de ce fait à leur succession un maillage plus convaincant mais cest en même temps ce qui permet den poursuivre la lecture sans trop de haut-le-cur et dapprécier le poids des non-dits.
Car certains personnages en effet forcent le dégoût. Contre toute attente, ils suscitent aussi une grande mansuétude, comme Kader, ce harki tortionnaire, manipulé et pathétique qui a tout perdu jusquà lidentité quil na jamais eue. Pardonnez leur, ils ne savent pas ce quils font. Plus dur est le regard porté sur les bourreaux patentés, les collaborateurs notoires ou potentiels et les nantis de la bourgeoisie intellectuelle compromis dans des arrangements peu avouables. À ces derniers sopposent des figures valeureuses sinon sacrificielles, dont celles danciens appelés du contingent : Jean, par exemple, ébéniste dart, connaisseur des plus nobles essences, contraint de fabriquer en série de misérables cercueils aux innombrables résistants assassinés ; Jeanne, sa fille porteuse dun message de fraternité et de transmission. Dautres portraits nous touchent, campés autour de Rac, alter ego idéalisé du narrateur, pacificateur angoissé de la mémoire dont il est dépositaire, complice sans réserve des compagnons de lutte, hommes et femmes, qui dune manière ou dune autre ont payé cher et sans regret leur engagement.
Hôtel Saint Georges a dabord été publié chez Dar El Gharb après quatre années de silence littéraire de lauteur, et présenté à la presse en mars 2007 à lhôtel même où se déroule le récit, un des plus beaux de la ville. Touristes et Algérois y partagent aujourdhui le privilège de découvrir les évènements de lactualité mondaine ou viennent tout simplement boire un verre sous les cascades de bougainvillées, de magnolias et de chèvrefeuille, à lombre bruissante des secrets dautrefois. Non loin de là, depuis le 11 décembre 2010, devant la Grande Poste, sont exposées une guillotine, des photographies de militants exécutés par «Monsieur dAlger» (Fernand Meyssonnier, cf. son livre Paroles de bourreau (
) et larticle de Catherine Simon, ''Le bourreau dAlger'', Le Monde du 17. 09. 2002) et en gros plan celle du ministre qui en avait autorisé lordre.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 04/03/2013 ) Imprimer | | |
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