| Michel Le Bris Rêveur de confins André Versaille - Chemin faisant 2011 / 19,90 € - 130.35 ffr. / 304 pages ISBN : 978-2-87495-154-1 FORMAT : 12,3cm x 21,4cm
Voir aussi, dans la même collection :
Gilles Lapouge, Le Flâneur de l'autre rive, 17,90
Alain Mabanckou, Écrivain et oiseau migrateur, 17,90 Imprimer
La naissance dune collection chez un éditeur est toujours un pari risqué et intéressant. André Versaille le tient en fondant une nouvelle collection sur une idée originale : «dans les livres de la collection Chemin faisant, des créateurs égrènent leurs souvenirs.(
) En se livrant chacun à leur manière, ils nous ouvrent les portes de leur royaume intérieur». Chemin faisant avait été naguère le titre dun beau livre de Jacques Lacarrière qui racontait sa traversée à pied de la France du Nord au Sud ; il sagit ici pour les auteurs de raconter par à coups, au rythme des souvenirs, la traversée de leur propre vie.
La maquette est élégante, blanche et dun beau rouge profond, avec sur la page de titre, dans un étroit rectangle, la photographie des yeux de lauteur, yeux ou plus exactement regard qui sadresse au lecteur. Le choix du récit est celui de labécédaire et chaque auteur égrène de A à Z des souvenirs qui lui tiennent à cur ou qui remontent du fond de la mémoire. La liste en est donnée en table des matières, en fin de livre. On découvre une personnalité et son parcours dans une lecture qui peut au choix être ou linéaire ou en zigzags. Trois premiers titres ont paru : Écrivain et oiseau migrateur dAlain Mabanckou, congolais, Le Flâneur de lautre rive de Gilles Lapouge, et Rêveur de confins de Michel Le Bris. Tous les trois ont en commun le goût des vastes horizons, des rencontres et de lécriture ; trois itinéraires personnels qui - chacun à sa façon - renvoie à luniversel.
Excellent connaisseur du Brésil où il a vécu plusieurs années, Gilles Lapouge, né en 1923, annonce la couleur dès les premières phrases : «Je nai pas beaucoup dautorité sur mes souvenirs. Ils nen font quà leur tête. Je suis voué à les suivre. Parfois ils se moquent carrément de moi». (
) «On me dit que jai lallure dun flâneur. Je laisse dire, même si je ne flâne jamais». (
) «Si je flâne cependant, cest sur lautre rive de moi-même, dans ces terrains vagues où se déploient lentement, et sans mon consentement, les souvenirs de celui que je fus». Ces souvenirs commencent par une rencontre manquée : celle de lauteur avec un richissime entrepreneur agricole brésilien des années 1980, Olacyr de Moraes, et en attendant de rencontrer Olacyr qui ne vint jamais, Lapouge et sa femme errent, désuvrés, dans un immense hôtel vide qui appartient à leur hôte absent et qui fait penser aux films dOrson Welles, souvenir qui est à lui seul une courte nouvelle.
Gilles Lapouge, écrivain et journaliste, a un vrai talent de narrateur, incisif, évocateur, et on le suit avec un immense plaisir dans sa quête des ''Bouts du monde'', quête qui le hante dès sa plus tendre enfance. A chaque âge son «bout du monde», de la porte de la cuisine à lAmazonie
Mission impossible que de les identifier tous dautant que la «carte absolue» qui pourrait y conduire le voyageur nexiste pas ou est introuvable. Et Gilles Lapouge entraîne son lecteur au fil de ses pensées, le fait voyager, chaque rubrique est une courte nouvelle riche dassociations, de rebondissements, qui se lit pour elle-même, mais au terme de cette flânerie littéraire, bien écrite, on a limpression davoir voyagé et surtout davoir rencontré un homme ; les fragments éclatés de souvenirs, de moments, trouvent leur unité, avec un ton entre tendre ironie et humour.
Rêveur de confins : Michel Le Bris pourrait être le fils de Gilles Lapouge, il est né en 1944. Son approche est assez différente, davantage littéraire demblée, avec, dès la première entrée, Andersen. Il prend du moins est ce limpression du lecteur - lexercice davantage au sérieux que Gilles Lapouge ; il sensuit un texte fort différent, ce qui sexplique par des vies, des personnalités très différentes aussi, mais fondamentalement par un regard autre sur ce jeu de la mémoire convoquée. Michel Le Bris explique, développe, instruit son lecteur, lui présente ses auteurs : Edouard Glissant, Xavier Grall, Pierre Jakez Hélias, Lévinas, Nerval ou encore Lacarrière
liste non exhaustive ! Même des rubriques plus personnelles sont marquées par ce souci pédagogique : telle ''la recette du cul de veau à langevine'', ou ''les saveurs délicieuses du péché'', et cette rêverie se clôt logiquement en quelque sorte sur une ultime rubrique intitulée ''Voyager : le plus court chemin de soi à soi''. Cependant des pratiques voyageuses, il en est de toute sorte, et pour ce grand lecteur : «Le Nord de Jack London et de Curwood, les mers du Sud de Melville et de Stevenson, la liste est longue : avant dêtre un espace ouvert, le monde est dabord une bibliothèque». La dernière phrase du livre résume les idées de lauteur : «Lexpérience tout à la fois de lunicité de lhumaine condition et de la prodigieuse, de la merveilleuse, de linépuisable diversité des cultures est le secret des voyages réussis : nous nous augmentons toujours des autres».
Plus jeune, Alain Mabanckou, congolais, est né en 1966. Il a obtenu en 2006 le prix Renaudot pour son roman Mémoires de porc-épic et en 2010 le prix Georges Brassens pour Demain jaurai vingt ans ; il enseigne les littératures francophones à luniversité de Californie à Los Angeles (UCLA), et des trois auteurs il est celui qui qui entre le plus directement dans le jeu de lautobiographie à travers ses 50 rubriques. Le seul aussi dont les rubriques aillent de A comme Algérie (Souvenirs de) à Z comme Zembla, le héros de son enfance. Il se définit comme «écrivain et oiseau migrateur». On le suit entre Congo et France, entre souvenirs joyeux et émotions lorsquil évoque sa mère qui lui laisse une ''dernière parole'' : «Lâge adulte rend lhomme aveugle et notre destin est de courir après nos songes denfance». Il refuse résolument les clichés : «Tous les vieillards nont pas forcément quelque chose à transmettre et, dans une certaine mesure, ils apprendraient beaucoup des jeunes. En Afrique, un jeune qui meurt pourrait aussi bien être une bibliothèque qui brûle». Le livre est drôle aussi, quil sagisse de la correspondance entretenue à loccasion de son blog avec des Congolais ou de la définition de son origine quil donne lors dun salon décrivains du Maghreb : «Je viens de lAlgérie noire». Il sinterroge sur la langue, la littérature française, la littérature francophone, Diop (Boubacar Boris) et la défense des cultures africaines, la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes), les racines africaines, et le fait de façon à la fois pertinente et légère, teintée dhumour.
Trois auteurs, trois générations, trois regards, mais une même «couleur» dans ces trois livres si proches et si différents : le goût de la rencontre, la curiosité de lautre, lamour de la littérature, la qualité de lécriture. Trois voyages à entreprendre de A à Z
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 25/01/2012 ) Imprimer | | |