| Jean-Yves Loude Pépites brésiliennes Actes Sud 2013 / 23 € - 150.65 ffr. / 208 pages ISBN : 978-2-330-01764-4 FORMAT : 14,4 cm × 24,0 cm Imprimer
Faire cinq-mille kilomètres pour une femme
morte depuis onze-mille ans : cest laventure qui attend un couple dethnologues, spécialistes de lAfrique et de la culture lusophone ; appelons les Leuk et Monsieur Lion. Ce dernier reçoit un jour par mail le portrait dune femme, nommée Luzia (pour loccasion et en référence à une Lucy devenue célèbre), aux traits manifestement négroïdes, un portrait élaboré à partir de ses ossements découverts récemment au Brésil. Rien dextraordinaire en soi, sauf que la-dite Luzia est morte il y a onze-mille ans, tandis que la vulgate scientifique considère que lhomme noir nest arrivé en Amérique quavec la traite négrière, au XVIe siècle.
Il nen faut pas plus pour attirer lattention de Mr. Lion, auteur dun ouvrage, (Le Roi d'Afrique et la Reine Mer, chez Actes Sud), qui évoquait justement lépopée dun roi africain ayant tenté, au XVe siècle, de traverser locéan atlantique. Lenjeu de la découverte nest pas anodin : avec Luzia, cest toute lidentité noire du Brésil qui est à redécouvrir, une identité forgée dans lesclavage, le combat pour labolition, la reconnaissance des droits, lexistence même, la préservation, envers et contre tout, de la culture traditionnelle, des religions africaines mâtinées de christianisme pour les camoufler, des rituels, dune histoire même celle du roi du Congo, couronné au Brésil que la traite et lesclavage, puis le racisme, avaient tenté de nier.
Une entreprise formidable, qui suppose toutefois de se lancer dans un immense tour du Brésil, à la rencontre de son âme noire, et ce dans les grandes villes et leurs bas fonds comme dans les communautés plus isolées, ces quilombo fondés par des esclaves en fuite. Il faut pour cela dépouiller le Brésil de ses oripeaux branchés, de son «métissage» de carte postale pour touriste pressé. Car cette âme noire ne se laisse pas facilement surprendre : il faut des introducteurs, des cicérones ; ce sont autant de personnages historiques et actuels esclaves rebelles, artistes et poètes, militants et activistes, ou simples guides touristiques amoureux de leur contrée qui serviront de passeurs, déversant, dans le sac à souvenir des auteurs autant de beaux récits de vie, des «pépites brésiliennes» qui donnent leur titre à cet ouvrage.
Évoquant une histoire âpre, qui débute avec la traite et larrivée des navires négriers, lesclavage et les tentatives pour y échapper physiquement et mentalement puis se poursuit avec labolition (1884-1898) et ses limites, et les questions désormais complexes de communauté, de propriété et de mémoires, lauteur, un peu à la manière du regretté Howard Zinn, raconte une autre histoire du Brésil, celle des humbles, des esclaves et de leurs descendants. Une histoire faite de souffrances et dinjustices, mais qui, retranscrites ici, apporte beaucoup despérance et de joie.
Il pleut, il fait froid, cest normal, on est en juillet
Il est donc temps de prendre un billet pour lAilleurs, et pourquoi pas le Brésil. Avec ces Pépites brésiliennes, le lecteur, aux trousses de Leuk, de Monsieur Lion et de Luzia, en aura pour son argent, en exotisme, rencontres, soleil et autres plaisirs de lecture. Entre essai, récit et journal de voyage, cet ouvrage ne se lâche pas facilement, tant la narration, imbriquant ces éléments, est prenante. La plume elle-même est légère, comme trempée dans ce réalisme magique qui est lune des autres pépites de cette Amérique du Sud. Louvrage aurait pu être une simple collection de portraits, rédigée dune plume docte et formatée, mais en se mettant en scène, en racontant cest-à-dire en faisant de chaque histoire un petit conte, avec ses prémices, sa magie, son suspens, sa morale , lauteur parvient à faire de son texte au demeurant instructif une version brésilienne des contes de Perrault, avec ses princes et ses princesses, ses monstres, ses génies et ses ogres.
Avec Jean-Yves Loude, on voyage, on est même porté par le voyage, qui semble si facile, avec des heures de trajets gommées par les découvertes. Le long dun immense trajet, de Rio de Janeiro à São Luis do Maranhão, on découvre le Brésil et ses paysages, luxuriants ou brûlés par le soleil, on voit émerger les histoires brésiliennes, lofficielle et lauthentique - plus en retrait -, on saisit certaines réalités sociales, en particulier la question des sans-terre ou les manuvres des grands propriétaires, ces ''fazendeiros'' qui rappellent les latifundiaires de lAncien régime. On simmisce dans les maisons comme cette demeure dartiste à Bahia, qui fait rêver dans les musées perdus, les greniers déglise et les cercles communautaires. Enfin, on voit sortir, comme Vénus émergeant de londe, un Brésil métissé, non pas celui des cartes postales (Copacabana, ses plages, ses strings et ses bodybuilders), mais un Brésil réel, avec ses joies et ses blessures à ciel ouvert.
Dans la grande tradition des récits de voyages avec ce charme supplémentaire dune écriture un peu magique, un peu empathique et qui ne laisse pas indifférent, voilà un grand et beau livre, une invitation au voyage et à lAutre dans toute sa richesse.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 08/07/2013 ) Imprimer | | |