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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Roger-Henri Guerrand Les Lieux - Histoire des commodités La Découverte - Poche 2009 / 9,50 € - 62.23 ffr. / 206 pages ISBN : 978-2-7071-5788-1 FORMAT : 12,5cm x 19cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart, et, plus récemment, une biographie de Robert d'Arbrissel. Imprimer
Vie quotidienne ? Habitat ? Société ? Comportements ? Mentalités ? Ouvrage atypique, cette Histoire des commodités tient de tous ces domaines à la fois. Maintes fois réédité, le livre de R.-H. Guerrand, paru en 1985, trouve ici sa publication en «poche», quintroduit lhommage rendu par son éditeur, Thierry Paquot, au chercheur récemment disparu. Les préoccupations de cet historien de lurbanisme vont bien au-delà de la description formelle des éléments matériels. Spécialistes de lorganisation urbaine, publicistes, mémorialistes et autres concepteurs racontent aussi la pratique quotidienne, voire la psychologie des gens.
Sa curiosité pour laménagement des espaces de vie conduit ici lhistorien à enquêter sur la façon dont lhomme a satisfait, au cours des temps, ses besoins les plus naturels et universels. Le livre, conçu en récit chronologique, invite à une lecture à plusieurs niveaux. Même sil sintéresse peu à lAntiquité, il signale les recommandations de la Loi de Moise : consignes et habitudes de vie au demeurant bien plus proches du comportement actuel que celles de nos ancêtres des XVIe ou XVIIe siècles ! Lauteur explore, à travers la façon dont il raconte lhistoire, a priori purement matérielle, des objets et des aménagements, une évolution des agissements. Le sentiment de la bienséance, de la pudeur, la conception de lhygiène, quils soient instigateurs ou issus des progrès techniques, sont éminemment évolutifs. Lappréhension de la sexualité leur est naturellement liée.
On suit avec curiosité lhistoire des réceptacles pour excréments, des endroits où on les utilise, du devenir des déjections, en parcourant laire du privé et celle du public. R.-H. Guerrand suit cette évolution en sappuyant, pour les siècles anciens, sur les témoignages littéraires, témoins du vécu. Les rédacteurs de lettres ou de mémoires, mis à part les tenants de la scatologie ou du burlesque, sattardent peu sur une question comme celle des odeurs. On y a pourtant trouvé des réponses ; à une époque réputée policée, où la meilleure éducation ne voit aucune inconvenance, même pour la majesté royale, à se soulager en public, la chaise percée se remise dans une «garde-robe», tandis que les «privés», lorsquils existent, sont relégués pour longtemps au plus haut des habitations et au plus loin des pièces à vivre. Cest aussi le temps où les récipients en métal sont remplacés par les pots en faïence, ces derniers imperméables à lodeur. Époque dailleurs heureuse pour les femmes, quaucune discrimination ne considère comme nayant pas de besoins à satisfaire ; deux siècles plus tard la moitié de lhumanité, à quelques exceptions près, sera ignorée des aménagements publics. On notera lexistence durable dusages strictement français : celui (malgré leur qualificatif) des WC «à la turque», ou encore la présentation du papier toilette sous forme de feuilles intercalées.
La couverture du livre propose la photo provocatrice et fort concrète dun vécé dont les deux places jumelles sont munies de leur couvercle en planches. À travers lhistoire matérielle, lauteur décrypte celle des comportements quelle traduit. Méthode récurrente chez R.-H. Guerrand, quil reprendra dans son histoire du «Confident [alias le bidet] des dames» (La Découverte 1997). Ici il ne manque pas de dénoncer lhypocrisie bourgeoise dun XIXe siècle taillé large, lépoque où tout ce qui est au-dessous de la ceinture est suspect voire sans existence avouée, où règne la méfiance envers les lieux daisance comme faciles abris déventuelles pratiques sexuelles blâmables, où l'on traque la masturbation, réputée mal absolu, et où lon concilie le respect de la pudeur et la nécessaire surveillance de la bonne moralité par la mise en place de toilettes aux portes ménageant un vide en haut et en bas. Et louvrage sélargit aux dimensions de laménagement public et privé, aux débats sur le devenir économique et social des excréments. On dispute sur le bon et le mauvais usage de lépandage, sur les tâches déconsidérées des vidangeurs, sur les avantages et inconvénients du tout-à-légout. Il faudra tout réglementer. Indispensables dans les espaces privés et publics mais honteux, tels sont les «lieux» jusque dans les années 1960, quand se sera généralisée la présence de toilettes privatives dans les appartements et quon disposera de «sanisettes» unisexes sur les trottoirs.
Sans doute lenquête porte-t-elle uniquement sur la France et la nature des sources utilisées la limite-t-elle en fait au cadre parisien. Lauteur ne peut que signaler à loccasion de leur adoption les progrès techniques réalisés ailleurs : ainsi le water-closet, à la désignation significative, existe en Angleterre dès le XVIIIe siècle. On saluera en tous cas sans restriction cette pertinente leçon dhistoire, menée avec conviction et non sans humour. Mais quon y prenne garde : si la satisfaction des besoins humains semble avoir trouvé aujourdhui des solutions satisfaisantes, une autre histoire ne fait que commencer : celle des déjections canines
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 22/09/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Confident des dames - Le bidet du XVIIIe au XXe siècle de Julia Csergo , Roger-Henri Guerrand | | |
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