| Yves Pourcher Votez tous pour moi ! - Les campagnes électorales de Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon (1986-2004) Presses de Sciences Po - Académique 2004 / 20 € - 131 ffr. / 212 pages ISBN : 2-7246-0952-2 FORMAT : 14x21 cm Imprimer
Votez tous pour moi ! est un de ces livres dans lesquels, à linstar de certaines soirées, on entre à reculons, en traînant les pieds, en se disant que «peut-être ce sera bien», plus pour sen persuader que par réelle conviction, avant quau fil des pages, le charme nopère et la lecture ne devienne un plaisir dautant plus grand quaux qualités intrinsèques du livre sajoute la plus-value dune heureuse surprise.
Doù vient cette réticence initiale ? Du sujet peut-être : pendant 18 ans, entre janvier 1986 et août 2004, lauteur, Yves Pourcher, dabord jeune ethnologue puis professeur danthropologie à lUniversité de Toulouse le Mirail, a suivi toutes les campagnes électorales du candidat Jacques Blanc, dans sa Région du Languedoc-Roussillon. Or, il faut lavouer, lidée de passer 200 pages en compagnie de Jacques Blanc, un homme connu du grand public depuis 1998 pour navoir conservé la Présidence de sa Région quau prix de tractations avec le Front National, nétait pas immédiatement séduisante.
Mais ce livre nest pas le portrait dun homme ; cest celui, plus passionnant sans doute, dune course de fond au terme de laquelle naîtra, peut-être, un mandat. Et quelle course ! Car, sil est probable que le lecteur a déjà suivi un certain nombre de campagnes électorales, il est douteux quil lait fait dans ces conditions. En effet, alors que la mode est à la cyber-démocratie, il est salutaire de rappeler que les campagnes électorales ne se gagnent pas (uniquement) à la télévision mais aussi, et peut être surtout, dans les réunions tenues dans des salles des fêtes de communes rurales.
Cest donc en ethnographe que lauteur a suivi Jacques Blanc, à travers les routes enneigées et les villages dépeuplés de la Lozère. On aurait pu craindre que cette présentation clinique naffaiblisse le propos, mais il nen est rien. Au contraire, il se dégage de cette présentation purement factuelle et chronologique certaines images tellement fortes et belles quon les croirait sorties dune nouvelle de Roald Dahl ou dun passage du Palais Bourbon de T. Herzl. Comment ne pas sourire, en effet, à lévocation de ces quelques politiciens arrivant dans un village désespérément vide, qui entrent, guillerets, dans un café et entament bruyamment leur auto promotion avant de réaliser, confus, que les rares consommateurs reviennent dun enterrement. Où à limage de ce vieil homme auquel un candidat parle en vain avant de sentendre dire : «Jentends pas, je suis sourd, mais je suis venu quand même, ça fait passer un moment».
Pourtant, le ton général de cet ouvrage nest pas au rire et le tableau quil dresse de nos campagnes (dans les deux sens du terme, dailleurs) est plutôt sombre. On y voit apparaître, au fil des pages, le portrait de ce que M. Raffarin appellerait sans doute la France den bas, ces paysans dont les villages se vident et qui, réduits à vivre de subventions, pestent contre des quotas laitiers quils ne comprennent pas et se rattachent, sans trop y croire, aux promesses électorales dun candidat dont lessentiel de la campagne consiste à promettre des subventions et à offrir à boire aux électeurs.
On y voit aussi la prégnance dun racisme ordinaire qui, pour résulter de la peur et de lignorance, nen est pas moins terrifiant : «Monsieur Blanc, il faudra faire quelque chose pour enlever quelques étrangers» (p.30), sécrie, parmi des dizaines dautres exemples, un des participants à un meeting. Ou, plus loin : «On ne peut pas voter pour Le Pen. Nous ne sommes pas des extrémistes» (p.55), dit Jacques Blanc. «Si, si», lui répond une voix dans la salle. Et cela semble vrai. J. Blanc nest pas un extrémiste. Il est plus que probable que sa condamnation du racisme soit sincère. Dailleurs, le portrait qui apparaît peu à peu nest pas celui dun idéologue mais celui dun homme qui ne vit que par et pour le pouvoir. Au point de supporter sans faiblir ce rythme effréné et ces journées de 19 heures au long desquelles il répète inlassablement les mêmes discours, harcèle les états-majors parisiens pour faire retirer les listes concurrentes et va trinquer, ad nauseum, avec ses électeurs. Au point aussi daccepter de pactiser avec Le Pen pour conserver ce pouvoir
Curieusement, les chapitres que Pourcher consacre à ces fameuses élections régionales de 1998 ne sont pas les plus intéressants du livre. En effet, si le sujet a changé et sest «habitué au pouvoir», il semble que lauteur ait changé lui aussi. Devenu professeur, il prend de la distance par rapport à son récit quil tente danalyser tout en ayant conscience quune partie de linformation lui échappe, sans doute parce que «la dissimulation est inhérente à la vie politique» (p.129). Dès lors, le livre perd un peu de sa force de témoignage.
Pourtant, au-delà de ces réserves, il importe de conseiller cet ouvrage qui dresse un portrait triste et lucide de la démocratie locale et qui permet de comprendre un peu mieux cette France profonde et rurale dont le poids électoral est sans doute sous-estimé aujourdhui.
Olivier Agnus ( Mis en ligne le 13/12/2004 ) Imprimer
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