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Réalisé, filmé, monté par Denis Gheerbrant
avec Denis Gheerbrant
Editions Montparnasse - Le geste cinématographique 2010 /  34.99  € - 229.18 ffr.
Durée DVD 360 mn.
Classification : Tous publics

Année de production, Pays : France, 2009
Sortie DVD : 6 Avril 2010

Version : 2 DVD-9, Zone 2
Format vidéo : PAL, Format 1.77
Format image : Couleurs, 16/9 compatible 4/3
Format audio : Français mono et Dolby Digital 2.0
Sous-titres : Aucun

DVD 1 :
- La Totalité du monde (14 min.)
- Les Quais (46 min.)
- De l’harmonie (53 min.)
- Les Femmes de la cité Saint-Louis (53 min.)

DVD 2 :
- Le Centre des Rosiers (64 min.)
- Marseille dans ses replis (45 min.)
- La République (85 min.)

Bonus :
- Livret : Une suite cinématographique par Denis Gheerbrant (20 p.)

L’auteur du compte rendu : Benoît Pupier, est réalisateur de documentaires.
Marcel Poulet, un peintre d’ocre en son paysest son dernier film.
http://marcelpoulet.free.fr/

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Denis Gheebrant, l'arpenteur est le titre d'un précédent coffret rassemblant cinq films de ce cinéaste voyageur. Il a glissé sa caméra dans un sac à dos, il est parti à Marseille. Ou plutôt, il y est revenu. Il y avait travaillé avec d'autres cinéastes (Allio, Bergala), il y avait tourné un passage de Et la vie (1991). Mongi lui parlait du passage des palombes et racontait l’accident de son père maçon reparti en Tunisie.

Denis Gheebrant a choisi son camps et filme un monde en souffrance, en replis, en résistance. Il donne la parole aux gens de peu. Il n'a pas croisé le tournage sans accent de Plus belle la vie, ni même filmé quelques soirs d'euphorie après une victoire de l'OM. A peine aperçoit-on quelques maillots du club phocéen, portés par quelques jeunes. Après un repérage de six mois, il a tourné du printemps 2006 à mi-juillet 2007. Chaque film est construit autour d'un personnage principal, qui est un guide pour le cinéaste et le spectateur. Denis Gheerbrant tourne seul, en empathie. Il est là, témoin solidaire, il interroge parfois avec de simples questions, les mêmes souvent, «Comment vous appelez-vous ?», «D'où venez-vous ?», «Depuis combien de temps vivez-vous ici ?». Il se tait aussi, laisse venir une confidence. Chaque film se construit autour d'une unité de lieu : le port de l'Estaque ; l'Harmonie, lieu de quartier ; la cité Saint-Louis ; le Centre des Rosiers ; la rue de la République. Chaque lieu est un monde à lui tout seul, ouvert sur la Méditerranée, l'Histoire, les utopies et combats d'autrefois, la perte et la nostalgie du collectif.

La Totalité du monde

Un homme parle dans un bar. Il est peintre. Il a été ouvrier, docker. Le temps a passé.

Les Quais

Rolf a le corps cassé par son travail de docker. Après un grave accident de travail, il reprend. Docker, c'est sa fierté. C'est un métier héroïque. Il dit les luttes légendaires et les combats collectifs. Alors que l'activité portuaire décline, il rêve du plein emploi. Il hurle contre le grillage installé le long du port, qui empêche les jeunes de plonger dans l'eau, qui rend impossible un moment de détente sur les rochers en famille. Une protection pour permettre aux plaisanciers de naviguer tranquillement sans heurter les nageurs.

L'Harmonie

A l'Estaque, un groupe d'anciens communistes anime un lieu de quartier. A vrai dire, ils n'ont plus la carte, mais sont toujours fidèles à l'esprit de groupe, de résistance. Loin des histoires d'appareil, ils commentent le lent glissement du parti au fil des élections : 81, Marchais, la désindustrialisation, le choc pétrolier... Ici, c'était un bastion communiste, autour de Lafarge, des tuileries, du port. «On sera toujours communiste, avec qui on ne sait pas !». On s'inquiète. En cette campagne législative de 2007, la circonscription pourrait basculer à droite. Ici, l'endroit a été un lieu de résistance contre Tapie, quand il a voulu se présenter aux municipales à Marseille. «La lutte ouvrière est comme un jeu d'échec», dit l'un d'eux. Un autre parle dialectique, de Marx et de Lénine. Le petit groupe tente de structurer la gauche antilibérale locale, d'imaginer la refondation de la gauche. Le candidat PC sera-t-il au second tour ? Un militant, qui a dû voter communiste bien des fois, s'adresse au cinéaste : «Le seul capable d'apporter quelque chose, c'est Sarkozy !»

Les Femmes de la Cité Saint-Louis

«On va s'engager pour sa mémoire. Il faut continuer». A l'usine, quand il y avait encore des usines, Gracieuse, une syndicaliste, a mené le combat des droits des femmes, des droits des ouvriers. Elle a été la présidente de l'association de la Cité Saint-Louis. Aujourd'hui, c'est un combat pour l'habitat social. «La vente, ça va couper ce qu'on a d'avant comme si c'était notre sang». La vente dont il est question c'est la vente des logements après le départ des locataires. A la réunion, la question divise. Certains ont peur d'une fracture sociale entre locataires et propriétaires. Un regret du temps d'avant affleure souvent au long des rencontres du cinéaste. «C'est mon histoire à moi que je raconte, l'histoire de la cité depuis 46». «La suite je voudrais pas la voir. Qu'est-ce que tu en penses ?». Denis, le cinéaste, est un ami, un frère. On le tutoie, on l'appelle par son prénom. On imagine qu'on le retient à manger. Il n'est pas débarqué le jour du tournage, n'est pas venu prendre quelques images pour illustrer un commentaire. Il a fait des repérages, il a tissé des liens, il a expliqué sa démarche. Les femmes se confient, montrent des photos, se souviennent d'une chanson d'usine, disent l'histoire familiale. Elles racontent les «frotadous», cet endroit un peu caché où les couples se retrouvaient, elles décrivent la petite colline où elles allaient chercher des genêts. Les maris ou les pères travaillaient au port. A l'usine, il y avait du bonheur à travailler, à rire ensemble.

Le Centre des Rosiers

Un facteur arrive. C'est comme un double du cinéaste, celui qui arrive de l'extérieur de la cité. Ici, c'est un ghetto. Le Centre des Rosiers, centre social, tente de construire du lien social. Le directeur, «un gaulois», explique que son pouvoir a des limites, il doit composer avec des résistances, composer avec les habitants, les pouvoirs publics. C'est lui qui sert de guide au cinéaste, raconte les identités exacerbées, le chômage. Simple, sobre et digne, c'est un cinéma de la parole. Un père raconte l'absence. Son dernier fils a été poignardé par un dealer. Une femme africaine chante devant une porte verte, les yeux fermés : «c'est une chanson triste, une maman dit à son fils d'arrêter de pleurer». «Les enfants qui ont grandi là-bas, au moins, ils ont le respect des adultes, ici ce n'est pas comme ça». Denis Gheerbrant sait laisser un silence, un jeu de lumière, un aperçu lointain d'un autre bout de ville, une durée du plan. Un jeune montre au cinéaste une lettre de l'armée, le convoquant pour «un test de Français psychotechnique pour voir si je suis fou, mais je ne suis pas fou !». Une Espagnole raconte l'exil en France. Elle sort du placard un portrait de Lénine. A l'atelier d'alphabétisation, c'est un exercice à partir d'un témoignage sur la guerre d'Algérie. L'exil, l'immigration fondent l'identité de Marseille.

Marseille dans ses replis

Les invisibles. C'est une maison pourrie, un logement insalubre. Il y a de la moisissure au plafond. Une femme témoigne, le cinéaste a mis sa main devant la caméra. Elle ne veut pas laisser voir son visage pour ne pas stigmatiser ses enfants. L'un d'eux souffre d'asthme. Le propriétaire a dit : «Vous n'avez qu'à vivre dans la rue». Un homme a connu la prison, la drogue, beaucoup de proches sont morts, sida, overdose. Il s'occupe de sa mère, malade d'Alzheimer. Ses parents sont venus d'Algérie. Comment filmer cette misère ? Le cinéaste laisse la parole s'installer, sans artifices, sans pathos, juste la réalité nue. Le film se construit par juxtaposition de témoignages. Au boxing club de Saint-Louis, un homme parle en s'entraînant. Depuis qu'il a repris la boxe, il se bagarre beaucoup moins. Parfois c'est de la légitime défense !

Les différents films tissent des correspondances : ici, l'homme raconte la mort du «minot» aux Rosiers, poignardé pour avoir dérangé des dealers. Deux ouvriers travaillent ensemble dans une relation de confiance. Le cinéaste filme l'usinage d'une pièce. Cette machine, ils la connaissent par cœur. Des adolescentes sourient, minaudent, dansent, acceptent de répondre aux questions. C'est en bord de mer, sur les rochers. «Vous êtes nées à Marseille ? Vous passez vos vacances à quoi ? Vous êtes à quel collège ? C'est bien comme collège ? Les garçons, ils sont sauvages ?». Denis Gheerbrant ne se cache pas. Il affirme un regard.

La République

«Située entre le Vieux Port de Marseille et le quartier d’affaires Euroméditerranée, la Rue de la République vit aujourd’hui sa métamorphose. Les magnifiques façades de cette artère haussmannienne, entièrement rénovées, offrent désormais au regard une parfaite perspective et un cachet unique aussi rares que prestigieux. (…) Pour les investisseurs, nous vous conseillerons sur les différents types de  défiscalisation (Robien, Borloo et Scellier) et vous aiderons à choisir le bien immobilier qui correspond le mieux à votre investissement dans notre patrimoine immobilier Marseillais». Voici ce qu'on lit sur www.ruedelarepublique-marseille.com, site de ventes immobilières. Denis Gheebrant a choisi son camps. Un carton l'indique d'ailleurs. Ce film militant a été fait avec les habitants de la rue de la République. Enfin, les anciens, ceux d'avant le vaste chantier de rénovation urbaine. Ceux qui y vivaient dans des conditions modestes. Au moment du tournage, il y a trois, quatre ans, ils se débattent avec des histoires de bail, de loi 1948. Cette loi protège les locataires à faible revenu de toute expulsion. Ils luttent contre le délogement, les pressions des promoteurs immobiliers. Une association s'est montée pour lister les différents cas, faire preuve de solidarités, coller des affiches, contester des charges subitement élevées, engager des poursuites éventuelles au tribunal. Au milieu de ce combat au quotidien, alors que la rue est en travaux pour le futur tramway, le cinéaste capte les conversations, dessine l'histoire du quartier à travers des histoires singulières : le couscous tunisien avec la recette d'une mère, les souvenirs d'une odeur du quartier, le passé de petit caïd, le père combattant de la guerre d'Espagne et ancien membre des FFI, la solidarité des travailleurs avant les licenciements... Certains ont peur, se taisent, s'en vont. Mme Ben Mohamed raconte. Walid et Karim, ses enfants, étaient seuls dans l'appartement. Un huissier, accompagné de policiers, a forcé l'ouverture de la porte, a accusé la famille de squatter, et demandé des preuves du contraires aux enfants. Les enfants ont été traumatisés. Un voisin est descendu. Avec l'aide de l'association, elle a porté plainte et gagné son procès. On est loin des discours politiques de promesses de mixité sociale et de logements sociaux. «Maintenant, on est devenu plus proche avec l'association». Ironie de l'histoire, ces habitants qui autrefois ne faisaient que se saluer, sont aujourd'hui des amis. L'espoir ? Ces enfants qui ont inventé des cabanes dans les recoins d'immeubles tout neufs ?

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Réalisé, filmé, monté par Denis Gheerbrant. C'est la signature de chaque film. Il n'y a pas d'équipe de tournage. Le cinéaste filme seul et créé un rapport de confiance directe. D'où en permanence une grande spontanéité. Il a une volonté forte de capter la dureté d'être, de saisir la singularité d'une histoire personnelle qui prend sens dans des combats collectifs. Il filme l'usure des résistances. Parler, c'est un échange, c'est un lien social encore possible. Filmer et donner la parole à ceux qui ne l'ont pas ou peu. C'est ce geste engagé qui lie protagonistes et spectateurs.


Benoît Pupier
( Mis en ligne le 07/05/2010 )
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