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Parole et image
avec Benoît Jacquot, Marguerite Duras
Editions Montparnasse 2009 /  30  € - 196.5 ffr.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : France, 1996 à 2009
Sortie DVD : 17 Novembre 2009

Version : 1 DVD 5 - 2 CD
Format vidéo : PAL
Format image : Couleurs
Format audio : Français mono
Sous-titres : Aucun


Bonus :
- 2 CD : La Mort du jeune aviateur anglais - Roma - Écrire. Lecture par Fanny Ardant des textes de Marguerite Duras

L'auteur du compte rendu: Ancien élève de l’École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à l’Université de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur l’imaginaire cinématographique dans le roman français contemporain.

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En 1993, Benoît Jacquot décide de filmer à deux reprises celle dont il avait été l’assistant réalisateur en 1972 et 1975 (respectivement pour Nathalie Granger et India Song), Marguerite Duras. Il s’agit d’abord de la filmer racontant une histoire vraie qui l’a bouleversée : celle de la mort d’un jeune aviateur anglais de vingt ans dans un village de Normandie à la fin de la Seconde Guerre mondiale, jeune homme qui a été ensuite enterré près de l’église du même village. Jacquot fait alterner les plans fixes sur Duras, qui narre cette histoire, avec des plans tournés «sur place», montrant la tombe du soldat, l’église, les arbres et la lumière du lieu. Ensuite, le cinéaste interroge l’écrivain, dans sa résidence de Neauphle le Château, sur sa propre définition de l’«écrire» : là encore, Duras parle, filmée en plans fixes entrecoupés par des noirs et de discrets panoramiques qui parcourent la maison de l’auteur.

Écrire et La Mort du jeune aviateur anglais sont bien sûr, stricto sensu, deux films de Benoît Jacquot, dont il faut saluer l’intelligence et la sobriété de la mise en scène, la volonté de dépouiller l’image de tout effet facile et d’accéder à une nudité nécessaire au propos. Mais on ne peut pas ne pas y voir, également, deux films de Marguerite Duras elle-même, et ceci pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, ces deux films n’existent que par (et pour) la parole de Duras, sa voix si particulière, ses mots incroyablement choisis, qui naissent à l’image, qui font en eux-mêmes l’image, qui lui donnent son sens et son épaisseur. De plus, dans La Mort du jeune aviateur anglais, le film qui «quitte» le plus souvent l’écrivain pour des plans en extérieur sur le lieu où se situe son récit, c’est Duras en personne, en off, qui guide la caméra de Jacquot, qui lui indique ce qu’elle doit filmer : tel mur, tel arbre, tel nom gravé sur une tombe. Enfin, Duras affirme à plusieurs reprises que ce récit du jeune aviateur «ne peut être écrit» mais seulement «tourné» : si cela sera démenti par la suite (Écrire paraîtra en 1993 chez Gallimard, initié par ce double film, en le reprenant et développant), c’est néanmoins ce qui vient, in fine, justifier l’existence même de ces images. En cela, et conformément à l’indistinction essentielle prônée dès India Song – sous-titré «texte, théâtre, film» – les deux films de Jacquot sont tout autant deux œuvres cinématographiques de Duras que deux de ses livres.

La parole de Duras, donc, qui émerge, vient à la surface, à la fois évidente et opaque. On retrouve, au fil de ses mots, certains des thèmes ou des traits significatifs de toute son œuvre : l’amour (défini magnifiquement comme un «communisme du sang»), la mort, la solitude, la guerre, mais aussi l’archaïque, le mythe, la légende, l’interrogation sur la raison et la possibilité même du récit, et bien sûr cette volonté d’accéder à un niveau pré-logique, en deçà de l’intelligence, c’est-à-dire à une émotion essentielle. Contre les «livres de jour, de passe-temps, de voyage», elle cherche le véritable livre, ce «livre de nuit», «sauvage». La voix envoûte, passionne. Bien sûr, les sempiternels ricaneurs ne manqueront pas de se gausser sur telle ou telle formulation éminemment «durassienne», sans voir qu’au-delà de sa phraséologie marquée, elle ouvre des voies et des gouffres («c’est la mort de n’importe qui, car n’importe qui c’est la mort exactement»).

La Mort du jeune aviateur anglais est sans doute encore plus précieux qu’Écrire, car Duras y livre sa pensée et une partie de sa «poétique» à travers un récit, et non par le biais d’une parole directement «réflexive». Tout y est incarné, dans les corps racontés et narrés, mais aussi dans les images absolument concrètes de cette tombe, de cette église qui la borde, des arbres et de l’eau qui l’entoure, de la lumière qui la baigne. A nouveau dans Écrire, c’est justement lorsqu’elle raconte la simple mort d’une mouche, à laquelle elle a assisté, qu’elle nous touche le plus, et surtout qu’elle en dit le plus. La mort d’une mouche comme celle d’un «enfant» de vingt ans : c’est une même chose, le même scandale opaque, la même force de néant qui s’abat violemment, sans compréhension possible, mais qu’il faut néanmoins persister à dire. Les deux films de Benoît Jacquot sont bien plus que des documents ou des entretiens : grâce à une parole et une émotion saisies dans leur épiphanie, ils se présentent immédiatement comme deux nouveaux «textes» de Duras.

Les deux films sont accompagnés par deux CD dans lesquels Fanny Ardant redonne voix à Écrire, le livre, que Duras écrira après ce double tournage.


Fabien Gris
( Mis en ligne le 27/11/2009 )
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