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Un formidable bordel
avec Emir Kusturica, Ljubica Adzovic, Davor Dujmovic, Bora Todorovic
Carlotta Films 2007 /  24.99  € - 163.68 ffr.
Durée film 142 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : 1989, Yougoslavie
Sortie DVD : 6 juin 2007
Titre original : Dom za vesanje

Version : 2 DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL, format 1.85
Format image : Couleurs, 16/9 compatible 4/3
Format audio : Version originale, mono et Dolby Surround 2.0, Français mono
Sous-titres : Français

DVD Edition Collector

DVD 1
- Film chapitré
- Bande annonce

DVD 2 : compléments
- Autour du Temps des Gitans (15 min.)
- Le rêve gitan (21 mn.)
- La musique comme art de vivre (20 min.)
- L'errance et le rêve (14 min.)
- Témoignage d'amitié (15 min.)
- Kusturica tourne Le Temps des Gitans (6 min.)
- Kustuland (5 min.)
- Fin alternative (3 min.)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1989

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Le public connaît plutôt bien l'univers d'Emir Kusturica, metteur en scène-orchestre d'un univers débridé, l'anti-thèse d'un monde logique, rationnel, ordonné. En somme, c'est le foutoir. Un bordel incommensurable. L'intelligence et la sensibilité de Kusturica consistent à ne pas décrire un monde parfait, lisse et sans aspérités. Symptôme existentiel sans doute d'être né en 1954, à Sarajevo, alors en République fédérale socialiste de Yougoslavie (actuelle Bosnie-Herzégovine). Si son dernier film, La Vie est un miracle, provoqua une nette déception, la sortie du Temps des gitans dans un double DVD aux riches suppléments (dont une interview de vingt minutes de Kusturica) permet de reconsidérer la place d’un tel film dans la filmographie du cinéaste. Et pour ce qui est du bordel, ce film se pose un peu là !

Partant d'un fait divers, transposé dans une fiction délirante, l'histoire est celle de Perhan (Davor Dujmovic), jeune homme singulier. Fils naturel d'un soldat et d'une tzigane, il est élevé avec sa sœur handicapée par sa grand-mère (Ljubica Adzovic) dans un bidonville de Skopje en Macédoine. La vie de famille s'organise autour d'un accordéon, d'un dindon et d'un oncle déluré. Perhan tombe amoureux de la fille de la voisine, Azra (Sinolicka Trpkova) mais comme sa mère refuse de la marier, il décide de gagner beaucoup d'argent pour obtenir le droit de l'épouser. Il rentre alors dans le clan d'Ahmed (Bora Todorovic) et mène une existence faite de magouilles, du trafic d'enfants pour tout dire. Perhan est désormais prisonnier d'un monde dont il ne veut pas.

Si l'on peut reprocher au film quelques facilités (on y pleure notamment beaucoup et facilement), Emir Kusturica brosse son épopée avec beaucoup de brio, réussissant à entremêler réalisme social et réalisme magique, collant ainsi de très près à la culture gitane. Il met en scène avec un sens remarquable du concret les croyances et les traditions locales : le syncrétisme religieux, le goût de la fête, l'importance du mariage, la dimension mythique des animaux (le dindon, un animal totem pour ainsi dire), la magie, la superstition, traits qui se retrouvent dans une scène particulière du film, la fête quasi païenne de la saint Georges qui célèbre le début du printemps et où l'on brûle un mannequin de paille représentant l'hiver.

Le film fut l'un des premiers presque entièrement tournés en romani, la langue des tziganes. Les gitans seront aussi le thème central de Chat noir, chat blanc et si Emir Kusturica n'a pas de racines familiales gitanes, il les a fréquentés depuis sa plus tendre enfance. C'est dire si Le Temps des gitans est foisonnant, bigarré, décoiffant, outrancier, une marque de fabrique qu’Emir Kusturica utilise avec une certaine complaisance mais souvent avec pertinence. Certes, on a beaucoup parlé à son propos d'une inspiration des romans sud-américains comme ceux de Carlos Fuentes (Terra Nostra) et Gabriel Garcia Marquez (Cent ans de solitude). On est en effet assez proche d'un tel univers qui tient à cerner la réalité dans toute sa complexité sans faire proprement du réalisme. Comme le dit Ernesto Sabato, "le réalisme peut être un déguisement mensonger de la réalité vraie". Notons que le titre original Dom za vesanje peut se traduirait par «Une maison pour se pendre» !

Le Temps des gitans est aussi le voyage initiatique et erratique d'un jeune homme, voyage à l'itinéraire cependant très rigoureux. Perhan traverse toute la République fédérale socialiste de Yougoslavie : parti de Skopje, il traverse la Macédoine, puis c'est au Kosovo qu'Ahmed achète Irfan (le père d'Irfan porte le chapeau albanais). Ils passent ensuite en Serbie, puis en Bosnie-Herzégovine (le chauffeur de taxi est de Brčko, au nord de la Bosnie). Ils rejoignent alors la Croatie par la célèbre Autoroute de la Fraternité et de l'Unité (Belgrade-Zagreb), construite par Tito après la Seconde Guerre mondiale, et où l'on voit l'apparition du voile de la mère. Enfin ils arrivent à l'hôpital de Ljubljana en Slovénie.

Venant de l'Europe centrale, le cinéaste ne tombe jamais dans un réalisme à la Zola, qui, malgré certaines qualités évidentes, est trop prompt à nous coller le nez sur un pathos social, nous engluant ainsi dans des récriminations interminables. Emir Kusturica compense son approche réaliste soit par un humour dévastateur, soit par un irréalisme qui permet ainsi un recul sur la situation. La scène où l'oncle fait soulever la maison de Perhan et de sa grand mère, celle où le même Perhan s'amuse à faire bouger cuillers et bouteilles, celle où Azra accouche en lévitant (!) ou encore celle où Perhan tente d'hypnotiser son dindon (qui finira par bouillir en ragoût dans une casserole !) ont l'immense avantage de mobiliser abdominaux et maxillaires tant on se tord de rire.

Rappelons aussi que le cinéaste fit ses études à l'académie du cinéma de Prague, la FAMU, où il réalisa deux courts-métrages : Une Partie de la Vérité et Automne. Dans ses interviews, Emir Kusturica rend souvent hommage à son professeur de mise en scène, le tchèque Otakar Vavra, auteur hélas peu connu du remarquable Le Marteau des sorcières (1968). Pendant ces années à Prague, Emir Kusturica va absorber tous les grands classiques du cinéma, films qui marqueront son style tout au long de sa carrière. Il y gagnera aussi l'humour et l'ironie si caractéristiques de cette Europe centrale (rappelons-nous les romans de Jaroslav Hasek, Milan Kundera et Bohumil Hrabal) ; les praguois ne changèrent-ils pas les plaques des rues afin de perdre les chars soviétiques qui venaient d'envahir la capitale ? ! Croire que les films de Kusturica ne sont que des divertissements serait évidemment une colossale erreur.

Le réalisateur ne tente pas seulement d'orchestrer le portrait sans complaisance d'un monde dans toute sa complexité et toute sa démesure mais il s'inscrit dans un projet esthétique et cinématographique précis, agrémenté par petites touches sous forme de plans hommages directs ou indirects aux plus grands films du cinéma. Dans Le Temps des Gitans, de nombreuses scènes font allusion à Amarcord de Fellini (repas de famille, mariages, banquets dans la nature, séquence de film dans le film où le narrateur séduit sa voisine) même si le maestro italien jouait beaucoup plus de l’artifice en tant que tel (faux décors ou décors de studio filmés comme tels). La scène d'hypnose du dindon renvoie évidemment à celle de E la nave va (1983) avec une poule qui elle aussi reste immobile, hypnotisée par son propriétaire. On pourrait voir des hommages à Francis Ford Coppola (Le Parrain 2) mais aussi à Andreï Tarkovski, Charles Chaplin et Jean Vigo d'une façon étonnante dans le thème musical du lapin en peluche ! On sent bien dans ce film que le cinéaste utilise toutes les ressources de la mise en scène pour cerner son sujet. Les travellings circulaires, les plans séquences, les plans en caméra à l'épaule, la mobilité de la caméra, etc., investissent tout l'écran pour décrire l'invraisemblable monde, monde réel, concret et déroutant, qui se déroule sous nos yeux (télékinésie, lévitation…) afin que celui-ci ne puisse être résorbé en un cliché réducteur.

L’amour inonde aussi ce maelström, amour entre Perhan et sa grand-mère, entre Perhan et Azra ou entre Perhan et sa petite sœur infirme. Le reste est peu honorable, tragique, cruel et immonde, et la mort sera au bout du chemin. Même le fils de Perhan (il doit avoir 4-5 ans) n'hésitera pas à voler subrepticement à la fin du film les pièces d'or posées sur les yeux de son père qui, ne l'oublions pas, est mort allongé dans son cercueil ! Le tout donne une "démesure réaliste" très rabelaisienne. Emir Kusturica nous le dit en filigrane, le monde dans lequel nous vivons n'a rien d'un paradis mais il est parfois agréable et sublime, souvent tragique aussi. Il faut le prendre tel qu'il est et rien n'y est jamais simple. Rappelons que l'acteur qui incarne Perhan, Davor Dujmovic, s'est suicidé le 31 mai 1999... Et bien sûr, un film n'allait pas à cette époque sans la collaboration de Goran Bregović.

A déguster…


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 01/06/2007 )
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