| Maurice Mourier Ajoupa-Bouillon Samuel Tastet Editeur 2009 / 22 € - 144.1 ffr. / 358 pages ISBN : 978-9738346567 FORMAT : 12cm x 16cm
Quatre dessins de Maria Mikhaylova Imprimer
Apatride et sans âge, sans autres attaches que celles de lamour pour tout ce qui dans ce monde mérite dêtre aimé, sans autre répulsion que celle quinspire la bêtise humaine, Ajoupa nous enchante ! Comme il est bon de la suivre dans ses libres escapades à travers la campagne, de goûter avec elle la terre sèche dun été trop long, puis de danser dans des flaques deau, sous une pluie battante.
Ajoupa est le contre-exemple du mal, mais elle nest pas non plus lexemple du bien. Elle ne représente ni létat de nature, ni létat de société. Elle est tout simplement elle-même, se suffisant à elle-même. Ajoupa-Bouillon cest aussi lunion du Nord et du Sud, des îles des Antilles et de lIle de France, de Baudelaire et des Mascareignes
Cest un jardin fantasmé que se partagent un vieux chêne et un araucaria. Ajoupa cest encore les souvenirs mêlés dune fille et du narrateur, sans distinction de sexe. Dailleurs, si Ajoupa est fille, et combien jolie, cest avec naturel quelle affirme aussi des qualités quon dirait masculines, tout simplement parce quelle vit sa nature sans se soucier le moins du monde des obligations que la société lui impose. Ajoupa est garçonne en effet, mais elle naurait pas pu être purement garçon car les garçons, pour la plupart, ne savent pas encore aimer le monde pour ce quil est, dun amour entier et désintéressé. Or ce livre est une ode à lamour, lamour vrai et sans contrainte pour notre monde, de sa plus petite entité vivante à lespace infini des galaxies.
On en jouit et jouit encore, voluptueusement, jusquà la fin. Mais Ajoupa a beau nous entraîner dans son monde idéal où «il ne ferait jamais jour, il ne ferait jamais nuit. [Où] on serait fleur parmi les fleurs, sans avenir et sans passé, sans regret pour léternité», nous savons bien que ce nest quune construction de lesprit
Il y aura bien une fin puisquil ny a pas plus de paradis céleste que de Shangri-la et que le temps sécoule inexorablement : les miroirs (qui nous renvoient dailleurs au premier roman de lauteur - Le Miroir mité, Gallimard, 1973 -, tout aussi extraordinaire que celui-ci) «sécaillent et perdent leur tain», les photographies de lenfance reflètent une époque surannée où l'on ne se reconnaît plus soi-même. Et les arbres du jardin quon croise sans cesse depuis lenfance, ceux qui furent petits quand nous fûmes petits, mais qui ne le sont plus, et ceux dont les cernes se comptent par centaines et qui ont connu nos mères et les mères de nos mères, nous rappellent par leur simple présence que le temps passé avec Ajoupa, ce temps libre, heureux et léger, ce temps de la lecture et de la rêverie, nest quune minuscule fraction de la si courte durée de notre existence.
Et cest dans le heurt de ces états, réels et fantasmés, que tient en partie la force de ce livre dexception. Plus que cela encore, ce qui le distingue est la beauté du verbe. Ni roman, ni récit, un peu des deux à la fois, Ajoupa-Bouillon est un écrit éminemment poétique. Parce quil est nourri de poésies, dabord. Combien de fois s'est-on surpris à murmurer un vers que rappelait Ajoupa ? Avec alors la curieuse et néanmoins délicieuse impression de partager une bienheureuse solitude de lecteur avec dautres, disparus depuis fort longtemps. Enfin, parce quil se lit à voix haute : quelle langue, riche de sens et de mots, sans fioritures, simplement belle et forte !
Rachel Lauthelier ( Mis en ligne le 20/05/2009 ) Imprimer | | |