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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Diego Vecchio Microbes L'Arbre vengeur 2010 / 15 € - 98.25 ffr. / 203 pages ISBN : 978-2-916141-48-0 FORMAT : 11,5cm x 16,7cm
Traduction de Denis Amutio Imprimer
Alors que, depuis Cent ans de solitude, de nombreux auteurs sud-américains se sont illustrés dans la veine du réalisme magique, lArgentin Diego Vecchio marque peut-être, avec son recueil de nouvelles Microbes, un renouveau scriptural dont le nom reste à trouver, et que lon pourrait, à défaut de mieux, qualifier de «fantaisie pathologique».
En exergue de son recueil, lauteur signale par deux longues citations le double patronage sous lequel il place son imaginaire : dune part Auguste Tissot, docteur de lâge des Lumières à qui lon doit, outre ses Considérations sur la santé des gens de lettres (1768), un très dissuasif traité sur les méfaits de lonanisme ; dautre part, Francis Picabia, avec un passage évoquant lexcursion quil tenterait dans lorganisme dun ami, sil venait à être réduit à la taille dun micron
Les prémices de lhygiénisme conjuguées à un surréalisme à dimension moléculaire, voilà bien les ingrédients de base du bouillon de culture délicieusement viral qui nous est injecté ici, droit dans la carotide, direction lencéphale.
Les individus dépeints dans ces pages sont atteints de maux, de troubles ou de bizarreries aberrants. À eux neuf, ils composent une galerie de cas dautant plus rarissimes quils sont pure invention. Et pourtant
De par la précision scientifique quil déploie à exposer les symptômes et les processus évolutifs des affections dévorant ses patients de papier, Vecchio nous installe dans une dimension textuelle dont il existe peu déquivalents. Ainsi, le destin de certains personnages peut verser de la tragédie crédible à lonirisme débridé sans que le lecteur soit choqué par ce basculement. Pour catégoriser cette prose imprévisible, comme évoluant à coups de flagelles vers un but inconnu, certains souligneront sans doute sa poéticité. Cependant, un grand avantage distingue notre nouvelliste dun poète : lui ne se paie pas de mots quand il sagit duser du vocable latin désignant telle enzyme, tel instrument chirurgical, telle opération, bref pour dire le corps dans sa situation la moins dicible, la souffrance.
Son travail se situe à la convergence de diverses traditions littéraires : il joue en virtuose avec le langage (un coup de chapeau au passage au traducteur Denis Amutio qui a parfaitement rendu en français ce style mi-bistouri mi-éther que lon devine complexe), déploie une érudition à la Borgès, forcément fallacieuse mais si revigorante, et se plaît à retorsader les codes génériques là où dautres sévertueraient à les dérouler.
Et qua-t-il à nous raconter, ce fringant interne ? Détranges destinées, comme celles des «dames aux peaux de phoques», les surs siamoises Pirogov, soudées par le bassin. Irina, la brillante chimiste, et Marina, la dramaturge réprouvée par le régime, partageront, en indissociable biface, les distinctions académiques reçues par la première et les rigueurs de la déportation causées par les uvres subversives de la seconde. Elles engendreront un petit Nikita, atteint quant à lui dune plus étrange conformation encore que «ses» mamans
Il y a aussi le Néo-zélandais Roderick Glover, affligé de terribles céphalées et qui deviendra mais à quel prix ! le traducteur émérite du traité quHippocrate consacra jadis aux hémorroïdes. Anasztasia Pécsely, ci-devant «dame aux fleurs», narrivera jamais à persuader sa Hongrie natale, lEmpereur ni même le Bon Dieu, du danger que représente pour lhumanité le complot ourdi par le règne végétal, dont elle seule est capable dentendre les dialogues. La pauvre Kathy Ishiyama, atteinte dune forme danorexie radicale, mourra de chagrin face à lusurpation de son talent daphoriste ; elle ne pesait plus que «le poids dun camélia multiplié par cent». Il y a surtout lhistoire extraordinaire de Kresel, cet homme ordinaire, qui commence dévoré du dedans, jusquà la prostate, par un vilain ténia, et finit par nourrir le désir fou décrire le dernier livre.
Faut-il chercher à tout crin les allégories et les symboles qui se dissimuleraient derrière les narrations élaborées par Vecchio ? Il semble préférable de se laisser porter par ces nosographies atypiques, qui engendrent delles-mêmes le remède le plus efficace, le rire, et qui nous rappellent que la vraie littérature na jamais le goût dun placebo.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 25/06/2010 ) Imprimer | | |
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