| Thierry Beinstingel Faux nègres Le Livre de Poche 2016 / 7,30 € - 47.82 ffr. / 384 pages ISBN : 978-2-253-06928-7 FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm
Première publication en août 2014 (Fayard) Imprimer
Un roman étrange avec en épigraphe une phrase de Rimbaud : «Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre, magistrat tu es nègre ; général tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison tu es nègre : tu as bu dune liqueur non taxée, de la fabrique de Satan» (Une saison en enfer).
Un roman de la médiocrité absolue, assumée, qui se passe au milieu de nulle part, dans un de ces villages français bouleversés par la prospérité des Trente Glorieuses. Un village de nulle part, ici plutôt dans lEst de la France. De ces villages où les citadins proches sont venus sinstaller dans de jolis lotissements des années 1970, lorsque le pays tout entier rêve daccession à la propriété. Pour ces «rurbains» pleins despoirs, trente ans plus tard sonne plutôt lheure des désillusions, et cest dans cet espace que sinsinue la fracture
Le héros du roman, Pierre, lui même issu de ces lieux, après avoir passé vingt ans au Moyen Orient, revient en France à la suite de la mort par balles du reporter quil guidait. Promu journaliste, il est envoyé dans cet obscur village entre les deux tours de lélection présidentielle car les habitants viennent de voter massivement pour lextrême droite. Une seule consigne du rédacteur en chef : «Ne poser quune question à la fois et ne jamais lâcher tant quon na pas la réponse». La question : pourquoi un tel vote ? Faux nègres, le titre, peut aussi se lire par ses deux initiales
celle du parti de la femme venue tenir un meeting dans le village...
Thierry Beinstingel construit un récit en 130 courts chapitres de deux pages, dont les voix alternent, sans que le lecteur les identifie. Un récit qui peu à peu fait vivre quelques personnages, tous perdus à un degré ou à un autre : Jean le vieil agriculteur, Emma la citadine qui a suivi lhomme quelle aimait qui, à son tour, est parti, Frédéric le preneur de son aveugle, Petit Jean ladolescent qui rêve de réparer sa vieille mobylette pour emmener en croupe lOphélie dont il est amoureux au lycée pro. Quelques moment privilégiés, un récit qui zigzague, revient aux souvenirs de Pierre, se perd dans les histoires possibles, dans la réalité glauque, comme les habitants éludent la question de Pierre et préfèrent évoquer la pierre préhistorique sur laquelle serait construite léglise du village.
Au bout du récit : la mort et la vie
ce quannonce le premier paragraphe du livre : «Faux espoirs, rien ne subsiste de nous : ni traces, ni repos. Ni lattente, ni le temps, ni la manière : rien. Du vide : tout sest évanoui dans la pesée des jours, les aubes laiteuses et les couchers flamboyants. Quémerge une flaque de verdure, une prairie étale et immuable depuis que le déluge laisse senfoncer son eau dans le sol, que soient modelés au hasard des pas sur sa terre meuble : voici les orteils, lempreinte du talon, reconnaissables de notre grande race».
Pierre ne résoudra pas lénigme, le lecteur naura pas de réponse... Simplement, une description de la vie ordinaire d'hommes ordinaires
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 26/09/2016 ) Imprimer
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