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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Un conte de fées dans la Russie post-soviétique | | | Alexandre Ikonnikov Lizka et ses hommes L'Olivier 2004 / 20 € - 131 ffr. / 214 pages ISBN : 2879294517 FORMAT : 15 x 21 cm
Traduit du russe par Antoine Volodine Imprimer
Après les très remarquées Dernières nouvelles du bourbier, Alexandre Ikonnikov livre un roman assez convenu et très différent de par son ton et sa façon de brosser les situations et de camper les personnages. Si lhumour est à nouveau au rendez-vous, cest de manière un peu plus fade et un peu moins acide. Lensemble est moins efficace et laisse le lecteur sur sa faim, désappointé par tant de simplicité.
Le roman, composé de huit chapitres, présente huit années de la vie dune jeune femme, Lizka, de ses dix-sept à ses vingt-quatre ans. Et sintéresse notamment à sa vie amoureuse et aux cinq importantes liaisons quelle vivra. Lizka a quitté sa ville natale quelle supportait mal et trouvait trop étriquée, pour la ville de G., plus grande et qui possède entre autres une école dinfirmières quelle envisage dintégrer. Mais, même si la jeune femme se fait quelques amies, surtout des compagnes de chambrée, la vie nest pas plus simple à G., les gens se montrent mesquins, violents, cruels et menteurs, surtout les hommes. Et Lizka de devoir abandonner ses études, de côtoyer des prétendants peu recommandables, mais peut-être passerelles vers le bonheur. Le premier, un charmant chanteur, savère être une crapule intrigante. Le second, pourtant très généreux, est un politicien rusé et arriviste qui conçoit les relations conjugales dune façon froide, distante, et comme un moyen de trouver réussite et stabilité. Le troisième, quelle épouse, la trompe bientôt. Le quatrième est un violent estropié
Le narrateur de ce roman nest pas bien identifié. Le plus souvent, le point de vue semble être celui de Lizka elle-même. On la suit et on ne la lâche pas. Sauf à deux reprises. Le récit du chanteur escroc qui occupe tout un chapitre est un étonnant morceau qui, écrit à peu près sur le même ton que le reste, laisserait penser quil y a manipulation générale de la part de lauteur qui finalement semble samuser avec des marionnettes auxquelles il prêterait telles ou telles aventures. Ce que vient corroborer le récit final de Kostia, un jeune poète. Ces intrusions dun discours à la première personne viennent dérouter le lecteur et créer une distance dans la façon dont lhistoire de Lizka est racontée. En effet, il est assez drôle de relever toutes les critiques dont les hommes sont sujets, lauteur en étant un lui-même. Les hommes, dans ce roman, en prennent pour leur grade. Sils sont traités avec tendresse et que lon place plein despoir en eux, ils sont rarement fréquentables et semblent en fin de compte assez dangereux : «À la suite de cette fort déplaisante rencontre, Lizka réfléchit aux hommes. Des espèces de grands enfants, qui faisaient si volontiers la sourde oreille quand ça les arrangeait
».
Mais si la vie de Lizka semble difficile, si dautres auraient déjà renoncé, lauteur en fait un personnage robuste, joyeux et assez peu sujet à la déprime. Jamais il névoque son désarroi, ni sa peine. Elle oublie rapidement son divorce et se remet du fait de ne pas pouvoir continuer ses études en un rien de temps. Un saut en parachute, un flocon de neige suffit ! Tous les personnages saccommodent de la vie, font face avec sang-froid mais sans résignation à ses difficultés, ses embûches. Ikonnikov a peut-être cherché, en installant une héroïne très solide, à montrer quil faut du courage pour supporter les conditions de vie créées par la société post-soviétique.
Lintérêt du livre ne réside en effet pas dans les aventures amoureuses de la jeune femme, mais plutôt dans larrière-plan historique sur lequel elles se déroulent. Huit ans qui correspondent à la fin de lère soviétique, à la perestroïka et à louverture à lOuest. Lauteur évoque chacune de ces étapes avec humour, dérision, et y montre bien le cynisme, lhypocrisie et latmosphère dentraide qui y régnaient cependant. Il excelle dans la description du climat et dans lévocation des lieux et des ambiances. Relevons, par exemple, la description du foyer de travailleurs qui fait bien entendre les bruits, les rires et les chants, et sentir les odeurs durine et doignons. Notons aussi, celle de limmense appartement du politicien au regard «cynique et animal» qui a rassemblé des logements standards de lépoque de Khrouchtchev et leur a donné des allures de palaces. Ces descriptions, qui contrastent fortement les unes avec les autres, font voyager le lecteur dans différents milieux sociaux, le faisant passer des milieux ouvriers à celui des membres du Parti.
Même sil noffre rien de très original, ni de très remarquable, même si, sous sa simplicité se cachent bien des critiques, Lizka et ses hommes est finalement un joli conte agréable à lire. Espérons toutefois que le prochain ouvrage dAlexandre Ikonnikov, qui a tout juste trente ans, retrouve un peu de la cruauté et de la force de Dernières nouvelles du bourbier.
Nathalie Meyer ( Mis en ligne le 10/11/2004 ) Imprimer | | |
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