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Beaux arts / Beaux livres -> Peinture & Sculpture |
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Un grand sculpteur cubiste | | | Emmanuel Bréon Collectif Lipchitz - Les années françaises de 1910 à 1940 Somogy 2005 / 32 € - 209.6 ffr. / 126 pages ISBN : 2-85056-915-1 FORMAT : 25,5x28 cm
Catalogue dune exposition tenue au Musée des années trente, Boulogne-Billancourt, du 12 octobre au 30 décembre 2005.
L'auteur du compte rendu : Béatrice Brengues a une formation d'historienne de l'art, elle s'intéresse aux arts décoratifs du XXe siècle et poursuit des recherches sur le sculpteur Joachim Costa. Elle travaille parallèlement à Drouot chez un commissaire priseur. Imprimer
Boulogne-Billancourt a stigmatisé en 2005 la situation incertaine de lart contemporain en France par labandon du projet de la Fondation Pinault. Pourtant, cette ville a été en dautres temps exemplaire en matière daccueil des élites intellectuelles et artistiques. Dans les années 20-30, par une politique doffre demplacements aux artistes et inventeurs, la ville attire la fine fleur de la création pour former tout près de Paris un nouveau creuset artistique où les avant-gardes sépanouissent avec force. Le sculpteur Lipchitz était de laventure.
Boulogne, à travers son Musée des Années 30, a rendu hommage cet hiver à cet illustre citoyen. Un hommage légitime quand on sait la place de Lipchitz dans lhistoire de lart et limportance de sa présence à Boulogne par lanimation et la fréquentation des cercles artistiques, sa création fructueuse et latelier quil fit construire par Le Corbusier. Jusqualors peu représenté dans la collection du Musée, latelier, uvre darchitecture significative des années 20, restait la trace la plus marquante de Lipchitz à Boulogne. Une donation de sept uvres par la Fondation Lipchitz des Etats Unis vient enrichir le fond du Musée et met son uvre au premier plan. Lexposition et ce catalogue sont donc lécho immédiat à cette donation.
On dénombre trois périodes dans la vie du sculpteur et autant de pays : la Lituanie (1891-1909), la France (1910-1940) et les Etats-Unis (1941-1973). Le livre se focalise sur «Les années françaises» dabord parce quelles concernent la donation mais aussi parce quelles sont les plus fertiles. Jacques Lipchitz ne débute sa carrière quà son arrivée en France. Il se forme dans un premier temps à lécole des Beaux-arts. En 1913, il amorce la voie dune sculpture cubiste (voir Ecuyère à léventail en couverture). Géométrisation, primitivisme sinstallent dans ces formes denses et stables. Fort dune émulation au contact des peintres comme son grand ami Juan Gris ou Picasso et des intellectuels que sont Leiris ou Reverdy, Lipchitz évolue sans cesse, mais reste fidèle à son ambition première «Faire de la vraie et belle sculpture». Il expérimente labstraction aux accents constructivistes mais la plupart de ses créations gardent une approche figurative où la figure humaine est toujours saisissable.
En 1924, il sinstalle dans la maison-atelier imaginée par Le Corbusier. Larchitecte trouve là loccasion de mettre en pratique ses théories sur les constructions en série des Maisons Citrohan. En effet, il fallait aussi construire dans une grande économie de moyens latelier voisin pour le sculpteur Metchaninoff, ce qui fut fait dans un style puriste : plan libre, toit terrasse, grandes ouvertures, blancheur
Visiblement sous lemprise de ce nouveau lieu, Lipchitz soriente vers la notion despace en sculpture. Il développe ses Transparents, en sollicitant le vide à linverse de la masse, effaçant la structure pour dessiner des jours. Le sculpteur, qui affirme tout au long de sa vie être resté cubiste, se démarque à ce moment là par un art plus personnel, moins doctrinaire. Revenant au travail de la terre et du plâtre, enseigné aux Beaux-arts, ses créations prennent une tonalité expressionniste par la matière modelée qui garde le geste cru et sensuel de lartiste. Toutefois, ces recherches ne sont pas purement formelles, car Lipchitz, convaincu de la fonction sociale de la sculpture, la charge de connotations politiques. Juif et communiste, il sengage très tôt contre la menace nazie. Cet engagement devient une uvre majeure qui clôt sa période française avec Prométhée étranglant le vautour dont les étapes de création sont magnifiquement retranscrites dans le livre par un reportage photographique de Marc Vaux.
Cest dailleurs une des seules fois dans louvrage où lon voit la sculpture dans son environnement. Les autres uvres photographiées sont systématiquement détourées, flottant dans la page sans rapport avec leur espace. Ce détail est à limage de tout le graphisme du livre un peu maladroit et sans finesse, qui gène la perception de luvre. Mais ne nous trompons pas, le Musée des années 30 a bien réussi là une très belle exposition avec une sélection de pièces cohérente. Comme léditeur Somogy qui a déjà publié sur Belmondo, Janniot, Landowski, Sarrabezolles, ce musée présente souvent des sculpteurs délaissés par lhistoire de lart pour leur modernité mal comprise de nos jours. Avec Lipchitz, cest le cubisme qui est mis à lhonneur, et plus particulièrement le cubisme sculptural, qui sous cette signature simpose par sa puissante matérialité.
Béatrice Brengues ( Mis en ligne le 13/03/2006 ) Imprimer
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