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Histoire & Sciences sociales -> Poches |
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''Autorité en haut, libertés en bas'' | | | François Huguenin L'Action Française - Une histoire intellectuelle - Nouvelle édition Perrin - Tempus 2011 / 12 € - 78.6 ffr. / 686 pages ISBN : 978-2-262-03571-6 FORMAT : 11cm x 17,8cm
L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram, Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile. Imprimer
Avant de republier sa vaste étude sur lAction française, François Huguenin a eu lhonnêteté intellectuelle de la remettre sur létabli, afin de lenrichir de nouvelles données et den revoir les conclusions. Pour preuves : sa relecture complète de lépisode de la condamnation prononcée par le pape Pie XI en 1926, ou encore la réévaluation des constats établis une décennie auparavant. Voilà une marque de courage très appréciable à lère où la tentation du reprint sous une couverture flambant neuve participe dune finaude stratégie commerciale.
Mais lobjet même de son attention nimposait-il pas une telle dynamique ? Mouvement en perpétuelle évolution, marqué (du moins à ses débuts) par un bouillonnement intense et une participation passionnée aux débats de son temps, LAction française fut bien ce «laboratoire didées» que lon aurait tort de réduire à une bande de réactionnaires exaltés, agités de la couronne. Oui, lAF senracine dans les remous de lAffaire Dreyfus et ses militants, canne plombée à lappui de leurs arguments, sabandonnèrent volontiers à mener tapage dans les rues du Quartier Latin, de chahuts estudiantins en coups de force avortés. Oui, elle participe sans doute, dans ses manifestations extérieures, dun activisme qui peut paraître lié à certains aspects du fascisme ; mais il y a loin de ces constats à laffirmation selon laquelle elle aurait prôné le modèle dune société totalitaire.
Demblée, Huguenin clarifie sans la minimiser la question la plus délicate, celle de lantisémitisme maurassien, qualifié d«antisémitisme détat» pour le distinguer de lantisémitisme biologique, de peau ou religieux. Le mérite du chercheur est de ne pas gommer les ambigüités et les inévitables apories que, malgré toutes les dénégations possibles, un tel discours fondé sur la haine implique nécessairement. Dans le même temps, sa démarche circonscrit la question à son réel point dimpact : le politique. Citant la Philosophie de lantisémitisme de Michel Herszlikowicz, Huguenin rappelle en effet que Maurras «distingue la politique antisémite de la nature du Juif. Il refuse la persécution en tant que réaction à lidentité juive et lui préfère une séparation préalable. Il faut que lantisémitisme précède dans les murs et les principes le dégoût ou la haine que le Juif peut provoquer. Cest là, sans aucun doute, loriginalité de lantisémitisme maurrassien qui envisageait à la limite la protection physique des enfants dIsraël par leur discrimination». Huguenin souligne quant à lui létrange vocation prophylactique que Maurras semblait prêter à sa phobie, et prend le ferme parti de considérer cette attitude comme une faute injustifiable, partant impardonnable.
François Huguenin resitue ensuite avec précision les prémices de la pensée politique dAF : son refus radical des «États dans lÉtat» (une vision héritée de La Tour du Pin et qui concerne aussi bien les juifs que les francs-maçons, les protestants ou les «métèques»), son insistance sur la nécessité dun fédéralisme décentralisé, enfin le ralliement progressif de ses plus éminents porte-voix à la proposition monarchiste de Maurras, émise dès sa monumentale enquête de 1899. Entre 1901 et 1903, le Martégal, à lorigine seul partisan de cette solution, arrive à persuader lensemble de ses compagnons à cheminer derrière lui, «vers le roi». Opérant une synthèse inédite entre le positivisme comtien et les tenants de la pensée réactionnaire (Bonald, de Maistre, Le Play), lAction française va tenir la dragée haute à toutes les écoles et à tous les mandarins. Elle sappuiera, pour ce faire, sur un quotidien lancé en 1908, mais aussi sur La Revue critique, organe davantage théorique.
La position de lAF est des plus originales. En cela, elle fonde un courant de droite destiné à demeurer dans latypisme, que lon retrouvera bien plus tard sur le chemin buissonnier emprunté par les Hussards. En cheville entre tradition et modernité, elle saffirme farouchement catholique
mais son meneur na définitivement pas la foi ! Elle nexige une autorité souveraine puissante que dans la mesure où elle y voit la garantie, au niveau local des communes, dune grande liberté. Enfin, puisant ses références dans les modèles dégotisme parfait que furent Stendhal puis le Barrès du Culte du moi, elle se dégage de lindividualisme stérile pour penser le bien social et communautaire. Les antagonismes, les paradoxes, quand ce ne sont les dissensions internes, constituent les sources mêmes de son énergie.
La guerre de 14-18 signera larrêt de mort de ces premiers enthousiasmes, en fauchant toute une génération de talents prometteurs au tempérament bien trempé, grâce à qui lAF naurait pas connu la même destinée sils avaient survécu aux «orages dacier». Huguenin montre avec finesse lattitude de repli sur une mémoire irréductiblement douloureuse que vont adopter Maurras et les survivants de son équipe ; privée de ses forces les plus juvéniles, lAction française se nécrose entre les années 20 et 30. Là où dautres identifient son âge dor à cette période, Huguenin y entrevoit déjà son déclin
Dune génération en quête de repères dans les années trente à celle des héritiers daprès-guerre, en passant par le définitif entachement idéologique causé par Vichy, Huguenin nous fait côtoyer, à travers un décryptage serré de leurs textes, les plus éminents disciples de lAF : Massis le penseur français de la décadence de lOccident, Bernanos le dissident lucide et sublime, Maulnier lardent défenseur des «valeurs desprit», Boutang enfin qui transmutera le pragmatisme originel de lAF en une altière métaphysique teintée de platonisme.
François Huguenin ne se contente pas de brosser un panorama ou de croquer les portraits des grands noms de lAF. Il dépoussière la moindre idée préconçue que lon pourrait nourrir à son propos, donne à lire les textes de lépoque, nuance sans mépris ni partisannerie les études de ses confrères, envisage chacun des surgeons de son sujet-souche. Rien nest négligé dans son ouvrage dont, quel que soit le bord politique dont on soit le tenant, on ressort bardé de références. Et un brin étonné aussi, de constater quil aura fallu des décennies avant quapparaisse comme une évidence limportance considérable de lAction française dans le champ intellectuel de lHexagone.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 06/12/2011 ) Imprimer
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