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Histoire & Sciences sociales -> Période Moderne |
| Yves-Marie Bercé Lorette aux XVIe et XVIIe siècles PUPS 2011 / 25 € - 163.75 ffr. / 372 pages ISBN : 978-2840507529
L'auteur du compte rendu : Françoise Hildesheimer est conservateur général aux Archives nationales et professeur associé à l'université de Paris I. Elle a notamment publié : Richelieu (Flammarion, 2004), La Double mort du roi Louis XIII (Flammarion, 2007) ainsi que Monsieur Descartes (Flammarion, 2010). Imprimer
Amateurs dhistoire curieuse et savante, voici un livre à ne pas manquer ! Il y est question de «lhistoire du plus grand pèlerinage des Temps modernes», avant Rome même, au cur des Marches, auprès de la plus extraordinaire relique. En bordure de lAdriatique en effet, la basilique de la petite cité de Lorette servait décrin à la maison de briques de Nazareth, le lieu même de lAnnonciation, où la Vierge avait reçu la visite de lange Gabriel et lannonce de la naissance de Jésus ; la translation aurait eu lieu en 1291, à la fin de la présence chrétienne en Terre Sainte, par bateau ou par voie aérienne, selon des modalités plus ou moins miraculeuses et spectaculaires. De surcroît, à lintérieur est conservée une statue de Vierge à lEnfant que la tradition attribue à saint Luc.
Le rayonnement du sanctuaire est à relier avec la protection que lon y recherche contre la peste qui sabat sur lOccident à partir de 1348. Situé dans un espace propice à la circulation des biens et des hommes, à un point de contact avec les Balkans, il accueille les réfugiés fuyant devant lavance turque, Slaves et Albanais qui en font lun de leurs foyers culturels, tandis que jésuites et capucins sen font les zélés propagateurs à travers lOccident chrétien. Bref, tout chrétien faisant le voyage dItalie en fait son étape obligée. Anonymes et puissants sy côtoient ou sy font représenter, Montaigne et Descartes sy succèdent, Érasme, qui ny vient jamais, compose une messe de Lorette, Henri III, puis Anne dAutriche y confient à la Vierge leurs espoirs de descendance
Lexpérience spirituelle du pèlerin y est double : il y est confronté directement avec lhistoire sainte et plongé dans une expérience collective, mêlé à une foule dont peu dendroits peuvent lui donner une telle sensation ; il y est personnellement confronté avec des vestiges de la présence matérielle de Jésus en ce monde. En 1604, Le Père Richeome résumait la situation en ces termes : «La Chambre de Lorette a été lenclos où les noces du Fils de Dieu avec la nature humaine ont été célébrées au ventre de la Vierge», ce que lhistorien Pierre-Antoine Fabre traduit en ces termes modernes quil sagit moins dun lieu de miracles que du miracle dun lieu. Ce lieu est pour son visiteur porteur dune charge émotionnelle à la fois consolante et redoutable : il y trouve à la fois un refuge bienveillant et un terrible lieu de jugement, comme lexpriment les guides qui étaient à sa disposition : «Ce lieu est terrible, cest la maison de Dieu, ce lieu est aimable, cest la porte du Ciel»
Sur le plan matériel, on imagine aisément tout ce que cette fréquentation entraîne comme nécessaire organisation administrative et judiciaire, contrôle des foules, de la mendicité, police des murs, établissement dasiles et dhôpitaux, mais aussi comme amas de richesses avec la constitution dun extraordinaire trésor qui sera un objectif majeur de Bonaparte en 1797 (et dont aujourdhui le trésor du Saint-Sépulcre à Jérusalem pourrait sans doute donner quelque idée). La relative rapidité des développements qui lui sont consacrés (en dépit daperçus intéressants sur les objets dorfèvrerie qui sy trouvaient) et labsence destimations chiffrées constituent la seule frustration que pourra éprouver le lecteur de cet ouvrage renvoyé aux travaux de lhistorien Marco Moroni portant sur lhistoire économique du sanctuaire.
En effet Yves-Marie Bercé retrouve lalacrité de ses jeunes années italiennes pour redonner vie à deux siècles dune histoire institutionnelle et culturelle qui puise ses sources dans les archives du sanctuaire et se réalise en un livre tout aussi savant (les notes qui figurent en bas de page en disent toute la qualité dinformation) quattrayant et fort bien illustrée, qui nhésite pas in fine à revisiter une nouvelle fois lhistoire de la légende originelle et à soumettre à la critique les travaux hypercritiques du chanoine Ulysse Chevalier datant de 1906. Tant va et vient le grand balancier de la critique historique quil fait peu à peu progresser la perception de lhistoire !
Françoise Hildesheimer ( Mis en ligne le 14/06/2011 ) Imprimer | | |
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