|
Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
| Charles Delattre Le Cycle de l'anneau - De Minos à Tolkien Belin - L'antiquité au présent 2009 / 23 € - 150.65 ffr. / 279 pages ISBN : 978-2-7011-4702-4 FORMAT : 14cm x 20,5cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne et dun DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia et ancien professeur dhistoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Inter-universitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne. Imprimer
De nos jours, lanneau est lié symboliquement au lien conjugal, ou du moins avec lespoir de le contracter. Rien de tel dans lAntiquité, où la bague de fiançailles ou dépousailles sont inconnues dans la Grèce et la Rome anciennes. Cependant lanneau nest pas absent des récits ou des mythes. Ainsi, chez Platon, il est fait mention de lanneau de Gygès qui rend invisible lorsquon le passe au doigt (Tolkien reprendra ce schéma). Une autre thématique est encore plus attestée, celle de lanneau dont un propriétaire se défait, ou quil perd, et quil retrouve éventuellement. Son étude fait lobjet du présent livre de Charles Delattre, maître de conférences en langue et littérature grecques à lUniversité de Paris Ouest Nanterre La Défense, dont les recherches portent essentiellement sur le domaine du mythe il est notamment lauteur dun Manuel de mythologie grecque, aux éditions Bréal (2005).
Il sagit moins dexaminer ici lobjet anneau que son association à un geste qui lui donne son sens. Récit, image et texte sont mis sur un pied dégalité. Même si le cadre de lenquête reste principalement lAntiquité gréco-romaine, lauteur sintéresse à un vaste ensemble de documents, allant du Moyen Age à aujourdhui, où se donne à voir ce même geste qui fait dun anneau un objet jeté, abandonné ou perdu par son propriétaire ; comme par exemple dans les descriptions de la fête de la Sensa où le doge de Venise jette son anneau dans la mer Adriatique. Ce rituel est rapproché du jet dautres objets : pièces de monnaie dans la fontaine de Trévi à Rome, ou même, plus épisodiquement, devant Notre-Dame de Paris sur le «kilomètre zéro». Mais Charles Delattre noublie pas de prendre garde aux contextes différents, aux sphères culturelles autonomes pour chacun des principaux documents étudiés.
La première partie du livre est consacrée à lélaboration dune grille danalyse générale, un schéma unitaire permettant de rendre compte des aspects les plus importants de ce que lauteur nomme le ''cycle de lanneau''. Après lévocation des pièces jetées dans la fontaine de Trévi à Rome ou sur le kilomètre zéro à Paris, lauteur se propose dexaminer des descriptions de rituels grecs qui impliquent le jet dun objet à leau, sans négliger des exemples plus contemporains comme le jet dune empanada à la mer par les élèves officiers de la marine chilienne à la fin de leur formation. Le premier chapitre traite du jet intentionnel dun objet (schéma à distinguer de lobjet perdu involontairement), que lauteur désigne par commodité sous le terme latin de iactatio. La modélisation théorique de lespace dans lequel ces rituels sinsèrent est ensuite réinterprétée dans le cadre de récits qui situent le jet de lobjet dans une suite dépisodes qui le dépasse. Sordonne alors une intrigue, souvent complexe, où la nature de lobjet soumis au cycle souvent un anneau, mais pas toujours est en grande partie déterminée par des règles qui sont celles qui président à lorganisation du cycle lui-même.
Ce cadre théorique posé, la seconde partie du livre examine trois études de cas. Le premier chapitre traite des rapports entre thème et intrigue, à partir dune anecdote sur le tyran Polycrate de Samos. Ce dernier jeta un anneau dans la mer, volontairement. Mais lanneau revint en sa possession par lintermédiaire dun poisson qui lavait avalé, et quun pêcheur captura puis apporta en présent à son souverain. Le cycle de lanneau a ainsi pour rôle de donner à voir linstabilité des choses humaines, notamment de la fortune et de linfortune. La forme du cercle dit à la fois la trajectoire de lobjet et le sort des hommes. Le deuxième chapitre examine, dans le décalage qui existe entre un poème de Bacchylide sur Minos et Thésée et des vases antiques qui lui sont contemporains, la distance qui sépare les sources iconographiques de la narration «littéraire». Lanecdote est la suivante : Minos défie Thésée de prouver quil est bien le fils de Poséidon en jetant son anneau à la mer et en demandant au jeune héros de le rapporter. Thésée réussit lexploit, remontant de surcroît des profondeurs marines une couronne offerte par Amphitrite. Les scènes figurées montrent souvent Thésée avec Amphitrite et/ou Poséidon, mais lanneau nest jamais visible, ni même le geste de la iactatio. On ne peut donc lire liconographie attique comme une illustration du poème de Bacchylide, ni faire de ce dernier ladaptation en récit des images des vases.
Le troisième chapitre, enfin, analyse, à partir dune documentation fournie par les archives de Venise à propos dun rituel pratiqué du Moyen Âge jusquà la fin du XVIIIe siècle, la Sensa, la prégnance du cycle de lanneau dans lélaboration dune intrigue, y compris quand il sagit de décrire un rituel qui ne sy conforme pas tout à fait. En effet, après le jet dun anneau par le Doge dans la mer Adriatique, il ny a pas de retour à lexpéditeur. Létude se referme donc sur une mise en garde contre le cycle de lanneau quelle a contribué à construire. La conclusion opère une ouverture vers la iactatio non plus dun objet, mais dun personnage par lui-même (on pense à Sappho, Ino ou Britomartis
). Mais le cycle de lanneau ne saurait en rendre compte, il doit céder la place à une autre grille danalyse, celle du cycle de la précipitation. Promesse dun futur livre sur le saut dans la mer, ou, pour parler grec, le katapontismos ?
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 08/12/2009 ) Imprimer | | |
|
|
|
|