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Un tableau de la mystique occidentale | | | Benoît Beyer de Ryke Alain Dierkens Collectif Mystique : la passion de l’Un - De l'Antiquité à nos jours Éditions de l'Université de Bruxelles - Problèmes d'histoire des religions 2005 / 24 € - 157.2 ffr. ISBN : 2800413654
Lauteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé dhistoire. Il est actuellement allocataire-moniteur à lUniversité de Nice Sophia-Antipolis, où il prépare une thèse en histoire médiévale sur «Les fondements bibliques du discours ecclésiastique sur riches et pauvres aux XII-XIIIe siècle». Imprimer
Si notre époque est marquée par un «retour au religieux», celui-ci ne désigne pas un retour à lobéissance aux normes et aux pratiques prescrites par les différentes Églises, mais une libre quête de spiritualité qui bien souvent peut sinspirer de la mystique. Cet élan est à lorigine de nombreuses publications, à limage de ce dernier volume des «Problèmes dhistoire des religions».
Lambition de cet ouvrage est doffrir, au fil de 18 articles précédés dune large introduction, un tableau de la mystique de lAntiquité à nos jours. Pour cela Benoît Beyer de Ryke, lui-même coordonnateur du précédent volume de cette collection, sur Eckhart, a réuni une équipe composée pour lessentiel déminents universitaires, tous spécialistes des sujets quils abordent. Parmi eux, Luc Brisson pour Plotin, Ysabel de Andia autour du Pseudo-Denys, Marie-Anne Vannier sur Eckhart, Bernard Sese sur Thérèse dAvila et Jean de la Croix, Jacques Le Brun sur le XVIIe siècle, et Michel Cazenave qui, sans être universitaire, a beaucoup fait pour la connaissance de la mystique.
Le terme vague de mystique a été défini comme la «recherche dune union intime entre lhomme et Dieu» (p.10). Malgré quelques articles qui abordent la place de la mystique ou des mystiques dans la société (J. Le Brun qui montre le déclin de la mystique à partir du XVIIe siècle ; F. Wackernagel sur lexpérience du Monte Vérità en Suisse au début du XXe siècle), létude porte avant tout sur les idées et les théories mystiques dans une optique essentiellement philosophique.
La chronologie privilégie la longue durée et offre ainsi, à travers des éclairages précis sur certains auteurs ou mouvements, une vision globale de la mystique de lantiquité à nos jours. Sont en effet successivement abordés Philon, Plotin, Denys et Évagre le Pontique, Anselme de Canterbury et Bernard de Clairvaux, les Cisterciens du XIIe siècle, les Chartreux, Eckhart, Nicolas de Cues, Thérèse dAvila et Jean de la Croix, lhistoire de la mystique au XVIIe siècle, et des réflexions sur des éléments de la mystique au XXe siècle. Lensemble est précédé de trois articles plus généraux : lintroduction de Benoît Beyer de Ryke, qui pose la problématique et présente lensemble du volume, des considérations générales de Boris Todoroff sur la mystique occidentale, et de Jean Dierkens sur les techniques de la théurgie. Chaque article a ses caractéristiques propres : certains sont des présentations générales dun mouvement (Nathalie Nabert sur la spiritualité cartusienne), dautres sont de claires synthèses sur un problème ou un auteur (Sabrina Inowlocki sur Philon, A-M Vannier sur lÊtre, lUn et la Trinité chez Eckhart, M. Cazenave sur les féminisations de Dieu), dautres sont des études plus précises (Y de Andia sur le statut de lintellect de Plotin à Évagre, Jean-Michel Counet sur Le Tableau ou la vision de Dieu de Nicolas de Cues, B. Sese sur la «jouissance mystique» selon Thérèse dAvila et Jean de la Croix), dautres sont plus problématisés, mais tous se caractérisent par leur brièveté et leur clarté. Lautre point commun réside dans la volonté comparative : dans une même période, comme la comparaison de Christian Brouwer entre saint Anselme et saint Bernard ; entre différentes périodes, à limage des articles de Jacques Maître ou Françoise Lauwaert, qui replacent le rapport à la nourriture, et en particulier lanorexie, dans le cadre de la longue durée ; mais aussi entre différentes civilisations grâce aux ouvertures sur le soufisme (Jean-Charles Ducène), le Vedânta (Joachim Lacrosse) et le taoïsme (F. Lauwaert).
Le risque dune telle entreprise est de donner limpression dun ensemble hétéroclite réuni de façon artificielle dans le «mot-valise» de mystique sous prétexte de comparaison, au risque de perdre de vue la spécificité de chaque auteur. Cet ouvrage néchappe pas tout à fait à cette critique, mais présente des pistes pour léviter. Ainsi plusieurs articles présentent dheureux questionnements méthodologiques, notamment celui de L. Brisson qui étudie le sens spécifique du mot mystique chez Plotin pour refuser lexpression d«union mystique» appliquée à cet auteur, celui de Damien Boquet qui sinterroge sur le caractère historique de laffectivité et son rôle dans la formation des concepts modernes, ceux de J. Lacrosse et F. Lauwaert qui réfléchissent sur la possibilité épistémologique détablir des comparaisons pertinentes.
Par ailleurs, lintroduction, comme le titre, précise que louvrage entendait se concentrer sur la mystique influencée, consciemment ou non, par les courants néoplatoniciens, et suivre donc «la manière dont ce néoplatonisme a irrigué lensemble de la mystique chrétienne, lui donnant ses structures de pensée et peut-être aussi dexpérience» (p.11). Manifestement certains auteurs ont oublié cette problématique, mais donnent toutefois au lecteur des éléments pour chercher à reconstituer ce fil, ce qui serait un intéressant chemin de lecture, ou de relecture
Emmanuel Bain ( Mis en ligne le 13/03/2006 ) Imprimer
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