 | |
La République en personne | | | Jean-Marie Mayeur Léon Gambetta - La Patrie et la République Fayard 2008 / 27 € - 176.85 ffr. / 552 pages ISBN : 978-2-213-60759-7 FORMAT : 14,5cm x 22cm
L'auteur du compte rendu: Gilles Ferragu est maître de conférences en histoire contemporaine à luniversité Paris X Nanterre et à lIEP de Paris. Imprimer
Gambetta, cest un nom connu, un nom de places, de rues, de lycées et collèges
«Aux grands hommes, la patrie reconnaissante»
Mais la mémoire des Français est plus inconstante que la mémoire de lEtat, et la silhouette du tribun sefface, doucement (cest dailleurs lesprit de la conclusion, crépusculaire, de J.-M. Mayeur
). Comme les de Gaulle, Ferry ou Blum, Léon Gambetta aurait pu, de manière prémonitoire revendiquer ce beau titre de «la République en personne», échu bizarrement à un Herriot. Lhomme nest pas seulement un personnage pour images dEpinal (le départ de Paris, assiégé, en ballon, le tribun du haut du perchoir de lAssemblée
), il est également lhomme lun des hommes qui comprend que lidée libérale, en France, ne saurait se passer de la population, et quelle devra, pour survivre, se faire conquérante, rallier les «couches nouvelles» et faire le pari de la démocratie, en un temps où celle-ci sent encore le souffre. Pour sattaquer à ce chantier biographique, depuis longtemps attendu, il fallait lautorité et lérudition du professeur Jean-Marie Mayeur, de luniversité Paris IV, grand connaisseur de la IIIe République et de la France fin de siècle, familier des Républicains opportunistes et dune république qui nest pas encore «absolue».
Et comme pour nombre de personnalités, il ny eut pas un, mais des Gambetta : le chef du parti républicain voisine avec le chef du gouvernement, le patron de presse et tribun parlementaire cultive une éloquence devenue célèbre, le duelliste sait se faire séducteur, le député, procureur
Un personnage qui suppose de sinterroger sur le sens dune idée politique au temps de la politisation des Français, ainsi que sur les médias (La République française, organe des républicains «opportunistes»), les réseaux (Gambetta sut sentourer de «tirailleurs», comme il les désignait, jeunes talents appelés à peupler la haute administration), les enjeux dun projet politique alors considéré comme quasi utopique, ou bien lit de la dictature. Quest-ce quêtre républicain au temps où, de 1870 à 1879, la République est «tenue» par des monarchistes qui nont quune hâte, proclamer un monarque (cf. la pitoyable affaire du drapeau blanc et son épilogue de 1877) ? Comment saisir le pouvoir au nom du peuple ? En particulier, comment conquérir un bastion conservateur comme la chambre haute, le Sénat ? Devenu «commis voyageur de la République», Gambetta se mue en un homme politique moderne et part en campagne comme au combat. Entre le jeune député qui se livre à un réquisitoire contre lEmpire, celui qui en proclame la déchéance, le ministre de lIntérieur du gouvernement de Défense nationale, parti organiser la guerre, et le leader républicain, le fil rouge est celui dun républicanisme de combat.
Mais la République seule na que lépaisseur dune idée politique. Le sous-titre révèle larticulation de la pensée de Gambetta, et la structure de louvrage : «La Patrie et la République»
Le nationalisme est alors républicain, fils de la révolution française, et Gambetta entend bien illustrer le lien entre le régime politique républicain et le principe national. La défaite de 1870, lhumiliante cérémonie de la Galerie des glaces à Versailles, qui voit Guillaume Ier proclamer le Reich allemand, et surtout la question dAlsace-Lorraine, seront, pour nombre de Français, contemporains ou pas, un traumatisme : pour un Gambetta, il sagit également dun défi à relever. On connaît la formule célèbre sur lAlsace-Lorraine («pensez-y toujours, nen parlez jamais») : il y a chez les républicains dalors la volonté de démontrer que la République ne sera pas le régime instable voulu par Bismarck, mais bien loutil dune restauration, diplomatique et militaire. Ce lien fondateur articule louvrage, au risque de laisser dans la marge un Gambetta plus intime.
Avec cette biographie réussie, J.-M. Mayeur ne vise pas lérudition, mais plutôt lillustration dune pensée politique en actes. On y compte les troupes, on y fait de la stratégie politique, on y livre des batailles : cest une république combattante qui se dévoile, avec, en ligne de mire, le ministère et le pouvoir officiel, enfin, en 1881. Un pouvoir fugace, une grande espérance déçue
Car il y a, dans laventure du ministère Gambetta, une sorte détat de grâce, les 100 jours (74 jours de fait) à la mode Kennedy : lhistoire dun ministère constitué de tirailleurs de la République, au service de quelques grandes idées et de grands projets, tant intérieurs quextérieurs (la question égyptienne notamment, démontre que le gambettisme eut aussi une application diplomatique, incarnée par quelques personnalités comme Delcassé ou Barrère, futures «capacités» de la république radicale, nés dans le giron gambettiste). Un ministère trop court, handicapé par les dissensions des républicains de gouvernement (sic), en dépit de lattraction très forte que Gambetta exerçait sur ses contemporains (les Spuller, Hanotaux
). On pourrait, dans le cas dun Gambetta comme dans dautres, nombreux, évoquer ce «pouvoir charismatique» théorisé par Max Weber et que le tribun savait manier. Cette biographie, entre histoire des idées politiques et histoire des institutions républicaines, sinscrit dans la forte ligne de lHistoire de la France contemporaine de Gabriel Hanotaux, une histoire dense, précise, qui va à lessentiel, étayée par une littérature scientifique notable (de Daniel Halévy à Jérôme Grévy).
Tout de sobriété et de retenue, louvrage de Jean-Marie Mayeur a le charme mesuré dun futur classique : pas denvolée lyrique à la mode républicaine ni de plaidoirie inopportune pour une VIe République, mais bien lanalyse, précise, lucide, solide, dun parcours et dun personnage dans un temps où la République est encore un combat. Sans trancher entre science politique et histoire politique, J.-M. Mayeur propose de Gambetta une vision non pas révolutionnaire, mais synthétique, un essai sur lhomme et ses idées autant que sur le régime quil a pu incarner. Une prudence de forme conjuguée avec une grande pertinence de fond qui fait de cette biographie une référence indiscutable. Avis aux républicains blasés
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 07/04/2009 ) Imprimer | | |