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Histoire & Sciences sociales -> Science Politique |
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Une analyse anticapitaliste de terrain… | | | Louis Mazuy Alternative au capitalisme Syllepse 2010 / 20 € - 131 ffr. / 213 pages ISBN : 978-2-84950-265-5 FORMAT : 15cm x 21,4cm
L'auteur du compte rendu : Juriste, essayiste, romancier, docteur en sociologie et diplômé de lInstitut détudes politiques de Paris, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Éditions Le Temps des Cerises, Programme pour une gauche française décomplexée (2007). Imprimer
La critique du capitalisme a fait couler beaucoup dencre ces dernières années (on peut citer dans la sphère francophone des personnalités du monde universitaire aussi diverses quAlain Badiou, Lucien Sève, Christian Arnsperger, Slavoj iek, Samir Amin, Rémy Herrera, etc.). Dans ce sillage, les éditions Syllepse proposent la contribution au débat dun homme de terrain : Louis Mazuy, élu communiste du Nord-Pas-de-Calais, ingénieur développement dans une filiale dAreva et ancien dirigeant de lUnion fédérale des ingénieurs, cadres et techniciens UFICT-CGT de la métallurgie.
La première moitié de louvrage de Mazuy offre une synthèse de la situation actuelle du capitalisme telle que lénoncent généralement les tendances dominantes de la gauche marxiste ou marxisante : suprématie du paradigme néo-libéral dans le cadre dune mondialisation qui fragmente les classes dominées, montée de lindividualisme, aliénation des gens dans les relations de travail, apories de la priorité accordée à la finance, impérialisme prédateur des États-Unis dAmérique. Tout en soulignant que la menace du communisme soviétique a pu pendant la guerre froide avoir pour effet positif dancrer le capitalisme occidental dans un compromis social-démocrate, il reconduit le fonctionnement de léninisme aux mécanismes anthropologiques profondément religieux qui présidèrent à son émergence, y compris chez ses adeptes en Allemagne ou en France, la critique de la religiosité soldant ainsi, en quelque sorte, les errements du passé comme pour ouvrir un horizon «post-religieux» au communisme (mais y a-t-il jamais du «post-religieux» en politique ?).
Les facteurs de dépassement du capitalisme, Mazuy ne les décèle pas seulement dans les contradictions internes que recèle ce système mais aussi dans les «dynamiques sociales», cest-à-dire toutes les initiatives humaines qui nentrent pas dans la logique capitaliste daccumulation. Pour lui, comme pour Lucien Sève, il ne sagit plus de placer le communisme dans lordre des fins, mais au cur dune réflexion sur la transformation des rapports quotidiens entre les hommes. Il rejoint ainsi une veine largement exploitée par lanthropologie anarchiste (Chomsky, Graeber, etc.). Loriginalité du livre tient toutefois à sa sensibilité particulière aux problèmes actuels des entreprises, qui lui permet desquisser des pistes de réflexion très concrètes, par exemple sur ce que pourraient être les nouvelles modalités de la nationalisation de lappareil productif, les façons innovantes de penser lactionnariat et dinstaurer un contrôle social sur la fixation de la valeur déchange des biens et services. A partir dune nouvelle conception du rapport entre lentreprise et la société (par le biais du contrôle conjoint de comités de salariés et de comités de consommateurs), ainsi que des rapports humains dans lentreprise, lhumanité pourrait ainsi saffranchir du conditionnement capitaliste.
Cette polarisation sur lentreprise a le mérite déclairer des aspects inhabituels du malaise dans la globalisation capitaliste. Elle présente cependant linconvénient de passer sous silence les moyens concrets (stratégiques) de la transition vers un modèle déconomie de marché plus «socialisé» (au sens de davantage tourné vers la justice sociale et la prudence écologique) : quels syndicats, quels partis, quelles alliances, quel État, ou quelle coalition d'États peuvent imposer un changement aux entreprises ? Au terme de quelles élections, de quelles insurrections, de quelles grèves, de quels boycotts ?
Louis Mazuy parle dincitations fiscales, de mobilisations transnationales des peuples européens pour quen quelque sorte, sans viser aucun modèle politique prédéfini, lhumanité sauto-affecte et sauto-éduque dans un sens non-capitaliste, mais ne donne aucun point dappui dans le réel (sauf quelques micro-événements qui nont jusquici reçu aucun prolongement denvergure comme la mobilisation solidaire des salariés de Renault en France et en Belgique en 1997). A aucun moment la possibilité dune résistance idéologique voire militaire efficace des oligarchies capitalistes nest envisagée, encore moins les moyens de dépasser pareille résistance (sur ce point, le pari sur lauto-transformation harmonieuse ne frôle-t-il pas langélisme, avec une religiosité qui na rien à envier au stalinisme dautrefois ?). En outre, on peut douter que la transformation des rapports de travail suffise par elle-même à la réorientation culturelle complète (et notamment à celle de lenseignement public et des médias) que requièrent en principe la décolonisation et la «dé-néo-libéralisation» des imaginaires.
Louvrage, en tout cas, a le mérite dapporter des éléments intéressants à la réflexion sur lavenir des principes dorganisation sociale de la gauche, quil sera utile de croiser avec les récentes études prospectives issues dautres courants progressistes.
Frédéric Delorca ( Mis en ligne le 06/07/2010 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Le Capitalisme est en train de s'autodétruire de Patrick Artus , Marie-Paule Virard Désordres dans le capitalisme mondial de Michel Aglietta , Laurent Berrebi Comment le capitalisme nous infantilise de Benjamin Barber | | |
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