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Histoire & Sciences sociales -> Historiographie |
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En brossant à contresens le poil trop luisant de l’Histoire (W. Benjamin) | | | Emmanuel de Waresquiel L'Histoire à rebrousse-poil - Les élites, la Restauration, la Révolution Fayard - Le cours de l'histoire 2005 / 14 € - 91.7 ffr. / 190 pages ISBN : 2-213-62532-8 FORMAT : 13,5cm x 20,0cm
L'auteur du compte rendu : Historienne de formation, Malika Combes travaille sur les liens entre pouvoir et musique au XXe siècle. Elle effectue une thèse de doctorat à l'EHESS sur la section musique de l'Académie de France à Rome (Villa Médicis). Imprimer
Le livre que publie Emmanuel de Waresquiel est dun genre peu connu pour les non-universitaires. Il sagit en effet dune version remaniée de son mémoire dhabilitation à diriger des recherches, doù un usage de la première personne du singulier, des auto-citations, et une place importante accordée aux problèmes dhistoriographie et de méthode. Le livre est un authentique essai historique précis et pointu, qui renseigne également, ce qui est rare, sur le travail de lhistorien à luvre.
Il sattarde ainsi peu sur les faits de ce que lon nomme Restauration, période qui voit le retour, en 1814, de la monarchie et des Bourbons et qui se termine par la Révolution de juillet 1830 il vaut donc mieux, avant la lecture, avoir une connaissance des événements. Lhistorien se concentre sur létude des élites et de leurs discours dans un contexte on ne peut plus confus.
Le point de départ est le suivant. Loption choisie par Louis XVIII est celle dun pouvoir monarchique fort défini par la Charte de 1814, assis sur la double légitimité historique et religieuse (même si la référence au droit divin tend à devenir plus discrète), mais également associé au principe de la Constituante, la déclaration des Droits de lHomme étant reprise, et certaines libertés bafouées par Napoléon rétablies. La formule à retenir est le Roi/ la Loi/ la Nation . Pour certains, cest là la résolution-même dune crise de la monarchie qui couvait depuis longtemps, voire, comme pour Tocqueville, son aboutissement naturel. Restauration ne signifie donc pas un retour à lavant-Révolution. Doù des attentes déçues. La suppression des privilèges nest pas remise en cause et les élites de lancienne France doivent cohabiter avec celles de la France nouvelle, ce qui donne un climat conflictuel non seulement entre celles-ci, ultras et libéraux, mais aussi entre monarchie et noblesse, rappelant plusieurs antécédents historiques. Cette difficulté des élites à trouver leur place, et plus simplement leur définition, paraît évidente devant léchec du projet dune chambre haute, siège de lélite de lélite, où lon ne parvient pas à dégager un critère de sélection : hérédité et propriété terrienne contre mérite et capacité.
Nous retiendrons cette question passionnante de lappréhension du temps. Les élites vivent ainsi dans des temps différents, en référence au passé ou au futur, le présent étant le grand absent des discours. La maîtrise du passé est déterminante et lHistoire toujours adaptée à la cause défendue, chacun tentant dasseoir sa légitimité dans sa position délite. Dans ce passé, cest le temps de la Révolution qui est le plus problématique. Que faire de la Révolution ? La nier ? Lassimiler ? La rejouer ? Monarchie, ultras et libéraux ne linterprètent pas de la même façon.
Par ailleurs, dans ces années que lhistorien voit comme déterminantes dans la mesure où elles donnent à la politique sa couleur française et une culture de laffrontement, se profilent lhabile manipulation des symboles et une écriture de lHistoire encore aujourdhui dominante. Lorigine serait à chercher dans les Cent-Jours, où lon rejoue la Révolution, où les symboles de la Nation se précisent et où le mythe dune monarchie à la solde de létranger se renforce. Cet ultime chapitre, que nous devrions voir comme la réponse à nos attentes et à nos questions suscitées par le reste du développement, convient moins. Lincroyable retour de Napoléon aurait mérité une analyse plus étayée.
Cette restriction na pas dincidence sur une appréciation positive de lessai. Louvrage se caractérise par une grande homogénéité entre méthode et contenu, lunité étant assurée par le facteur temps (lhistoire à rebrousse poil , la perception des élites). Waresquiel dit ainsi écrire lHistoire à rebrousse-poil , expression inspirée par Walter Benjamin (Sur le concept dhistoire), et également utilisée par Michèle Riot-Sarcey et Carlo Ginzburg ; nous pourrions aussi dire quil lit entre les lignes, sans oublier de décrypter les images de lépoque. Il donne un éclairage nouveau et passionnant à lhistoire politique et sociale de la Restauration, en sinscrivant dans lhistoire des idées et des représentations. Ce qui permet de repenser, voire de corriger, lHistoire en ayant conscience de ses sources : les traces de discours laissées par les élites. Benjamin serait certainement satisfait de voir un historien aussi inspiré par ses réflexions !
Malika Combes ( Mis en ligne le 05/01/2006 ) Imprimer | | |
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