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Histoire & Sciences sociales -> Témoignages et Sources Historiques |
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Staline-a-dit : le stalinisme au jour le jour | | | Georgi Dimitrov Gaël Moullec Collectif Georgi Dimitrov - Journal 1933-1949 Belin - Histoire & société 2005 / 48 € - 314.4 ffr. / 1505 pages ISBN : 2-7011-3856-6 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
Traduction d'Anne Castagnos-Sen.
Lauteur du compte rendu : Ludivine Bantigny est maître de conférences en histoire contemporaine à lUniversité de Rouen. Imprimer
Saluons dabord la bravoure, si ce nest la témérité de léditeur, Belin : il fallait en effet un certain panache pour prendre le risque de publier ce pavé de 1 500 pages qui nest en fait pas un livre, mais une source. Cest ce qui le rend particulièrement précieux. Gaël Moullec, qui en a assuré lédition (les centaines de personnes mentionnées au fil de ce Journal reçoivent ainsi une notule biographique, même Shakespeare), le présente dailleurs comme une pierre pouvant contribuer à lédification de lhistoriographie tout à la fois sur le Komintern, le stalinisme au quotidien et lavènement des «démocraties» «populaires», en loccurrence la Bulgarie.
Georgi Dimitrov (1882-1949) a été en effet successivement secrétaire général de lInternationale communiste, entre 1935 et 1943, et Premier ministre de la République populaire de Bulgarie, de 1946 à 1949. Ancien typographe, il a adhéré à 20 ans au parti social-démocrate des ouvriers bulgares. Grand organisateur des grèves qui secouèrent la Bulgarie de laprès-guerre, il fut vite repéré par Moscou au point dêtre promu, en 1920, représentant du PCB au Komintern. Neuf ans plus tard, il entre à la direction du Bureau du Komintern, plus spécialement chargé, curieusement, de lEurope occidentale. Mais cest en 1933 quil trouve la gloire : il comparaît au procès de Leipzig, accusé par le régime nazi dêtre lun des auteurs de lincendie du Reichstag rappelons que le «Comité de défense des accusés au procès du Reichstag», encore appelé «comité Dimitrov», était présidé par Malraux. Acquitté, il arrive en URSS auréolé dun prestige considérable : il y est accueilli comme le «héros de lavenir», le «héros du siècle». Même le Times écrit, en février 1934 : «Le monde noublie pas Dimitrov, qui sest rendu immortel.»
Son journal, rédigé en allemand, en russe et en bulgare, selon les pays où il réside, est particulièrement touffu. Dimitrov écrit quasiment chaque jour. Il sagit parfois de brèves annotations, parfois de très longs textes ; parfois de bribes de propos tenus aux uns ou aux autres, parfois de lettres et télégrammes recopiés ; parfois de références à son état de santé des plus précaires , parfois de réflexions idéologiques et politiques de haut vol. Et cest là que réside le risque éditorial dont nous parlions : Belin ne sest pas contenté de publier les passages les plus denses, politiquement et historiographiquement, de ce journal ; léditeur la tout au contraire fait paraître dans son intégralité, avec ses allusions dimportance mineure et ses références dapparence essentielle mais demeurées obscures ou imprécises. Dès lors, le laconisme du journal rend parfois son abord difficile.
Pour aider le lecteur à se repérer, on aurait souhaité bénéficier dune chronologie et dune introduction qui rendent mieux compte du parcours de Dimitrov dans son ensemble, au lieu de sarrêter en 1933. Il reste que cette publication confirme et précise lallégeance des plus hauts cadres du parti à Staline, et celle des partis communistes nationaux à Moscou. Les conversations de Dimitrov avec le chef suprême sont retranscrites avec ferveur. Pendant les procès de Moscou, Dimitrov ne précise jamais par écrit prudence élémentaire sa position, mais note les doutes damis étrangers, comme les écrivains allemands Léon Feuchtwanger et Maria Osten. Il ne marque aucune surprise quand, du jour au lendemain, lun quelconque de ses amis politiques devient un «ennemi du peuple». Durant la guerre dEspagne, il note scrupuleusement ce que pense Staline : il faut être capable de rendre le pouvoir, de battre en retraite. Au moment de Munich, le journal de Dimitrov rend compte de ses efforts pour rapprocher socialistes et communistes tchécoslovaques ; il souligne aussi la «faiblesse des actions du PCF» pour préserver le Front populaire, qui selon Staline doit être maintenu coûte que coûte ; mais la réaction de Thorez face aux critiques se révèle «maladive». Les trotskystes, quant à eux, sont bien sûr décrits comme des «agents fascistes». Le pacte germano-soviétique surgit comme ex nihilo, sans que Dimitrov semble y avoir été réellement préparé.
Mais cest pendant la guerre surtout que le journal sétoffe. La dissolution du Komintern, en juin 1943, semble elle aussi tomber du ciel ; Dimitrov ne paraît pas lavoir vue venir. Comme à son habitude, il ne manifeste pas détonnement mais se soucie plutôt de trouver les arguments pour la justifier auprès de ses membres. Ce nest dailleurs pas à lui que revient cette tâche délaboration : les allocutions et diverses interventions de Staline sont recopiées avec soin et sont plus quun simple canevas où puiser. Le journal montre que, bien loin davoir accordé davantage dautonomie aux partis communistes, la dissolution de lI.C. a au contraire servi à renforcer la tutelle de Moscou. Des trois «années bulgares», celles qui voient se construire, à partir de 1946, le nouveau régime, on retiendra les consignes strictes que Dimitrov reçoit en provenance dURSS : là encore, la soumission est totale.
De bout en bout, le journal de celui quon appela «le timonier du Komintern» est imprégné dune certitude téléologique : «Il ny a pas et il ne peut y avoir de forces dans le monde qui pourrait faire tourner en arrière la roue du développement historique.»
Ludivine Bantigny ( Mis en ligne le 19/09/2006 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:1956. La Deuxième Mort de Staline de Hélène Carrère d'Encausse Moscou-Paris-Berlin | | |
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