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Histoire & Sciences sociales -> Géopolitique |
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Un examen salutaire et critique du «choc des civilisations» | | | Emmanuel Todd Youssef Courbage Le Rendez-vous des civilisations Seuil - La République des idées 2007 / 12.50 € - 81.88 ffr. / 159 pages ISBN : 978-2-02-092597-6 FORMAT : 14,0cm x 20,5cm
Lauteur du compte rendu : Rémi Luglia, professeur agrégé dHistoire et interrogateur en deuxième année dans une classe préparatoire commerciale, est doctorant à Sciences-Po Paris où il mène une recherche sur lhistoire de la protection de la nature en France de 1854 à nos jours à travers le mouvement associatif. Imprimer
Nombreux sont les commentateurs qui glosent depuis quelque temps sur un prétendu «choc des civilisations». Selon eux, il opposerait, sans possibilité de rémission, le monde musulman à lOccident chrétien. Les différences culturelles, identifiées ici comme avant tout religieuses, empêcheraient toute convergence universelle et, au contraire, dans le cadre dun monde réduit par la mondialisation, favoriseraient les affrontements sur les lieux de contact. Certains allant même jusquà faire de lIslam, par une lecture superficielle et partiale du Coran et au vu de lexpansion historique de cette religion, le fondement dune civilisation violente et guerrière où le concept de «guerre sainte» (djihad) tiendrait lieu de valeur fondatrice et essentielle. Lintégrisme islamique, si confortablement médiatisé, serait alors un produit «naturel» de cette civilisation ainsi que le prétendu blocage mental et culturel cause dun rejet viscéral de toute modernité.
Cest à une remise en perspective de cet axiome fallacieux que vont satteler Youssef Courbage et Emmanuel Todd. Leur méthode est simple : croiser une analyse démographique avec une mise en contexte historique du monde musulman, chercher à infirmer ce «choc des civilisations» inéluctable, et, au contraire - cest leur problématique - affirmer et démontrer un «rendez-vous des civilisations», cest-à-dire une convergence des sociétés. Pour les auteurs, si «lanalyse démographique ne peut se substituer à celles des différences culturelles, [
] elle fixe une limite à ce qui est intellectuellement acceptable dans cet exercice». Pour cela, les auteurs posent un postulat : le contrôle des naissances est dune importance décisive «comme moteur de modernité et révélateur dune évolution des mentalités». Pour eux, «le contrôle des naissances est à la fois le symptôme et le levier dune large transformation anthropologique» et sociétale. Cest la transition démographique quont connue lun après lautre tous les pays dits développés entre le XVIIIe et le XXe siècles.
Taux dalphabétisation des hommes, celui des femmes, structures familiales, contexte économique (rente pétrolière par exemple), nombreux sont les éléments explicatifs mis à contribution pour expliquer les variations de lindice de fécondité et les divergences perceptibles dans les différents mondes musulmans. Car limage dun monde musulman uniforme est belle et bien fausse : quoi de commun dans les évolutions démographiques de lIndonésie, du Maghreb, de lAfrique subsaharienne, du Moyen-Orient non arabe, des républiques ex-soviétiques dAsie centrale ? Rien. Le facteur religieux, censé unifier ces mondes et décrire leurs structures, savère particulièrement inopérant. Les auteurs nous le démontrent dailleurs très précisément en analysant finement chacun de ces ensembles dans des chapitres dédiés où les données démographiques sont mises en relation et expliquées.
La conclusion de Youssef Courbage et dEmmanuel Todd est ainsi très claire : loin de limmobilisme rétrograde trop souvent décrit, «le monde musulman est actuellement au cur de la transition vers la modernité» et cest ce mouvement qui produit une réaction sous forme dun fondamentalisme qui nest finalement quun témoin de la transformation ; par ailleurs, «Nous devons spéculer sur un monde réunifié», expliquent-ils, car, par lanalyse du contrôle des naissances, «nous pouvons échapper à la représentation sinistre dune planète segmentée en civilisations fermées les unes aux autres, constituée dhommes rendus différents par leurs religions».
Les auteurs en profitent alors pour dénoncer les «penseurs» de la confrontation : «aujourdhui, la tentation est grande, dans un monde rendu anxieux par la globalisation économique, de classer, de séparer et bien sûr de condamner. Certaines puissances et certains chercheurs ont dailleurs intérêt à ce que sinstalle dans les esprits la représentation dun conflit de civilisation, qui masque la violence latente des conflits économiques. La démographie libère de cette paranoïa instrumentalisée et permet daller plus loin».
Et de terminer de manière rassurante : «la convergence des indices de fécondité permet de se projeter dans un futur, proche, dans lequel la diversité des traditions culturelles ne sera plus perçue comme génératrice de conflit, mais témoignera simplement de la richesse de lhistoire humaine». Un petit livre décidément roboratif et salutaire pour qui veut sortir de la pensée unique rabâchée par des penseurs médiatiques à la petite semaine qui, au prétexte dun spectacle malsain, présentent une lecture du monde facile et superficielle mais trop souvent séduisante dans son dangereux simplisme.
Rémi Luglia ( Mis en ligne le 20/11/2007 ) Imprimer
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