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Prendre le porno au sérieux | | | Julien Servois Le Cinéma pornographique - Un genre dans tous ses états Vrin - Philosophie et cinéma 2009 / 9,80 € - 64.19 ffr. / 150 pages ISBN : 978-2-7116-2217-7 FORMAT : 11,5cm x 17,5cm
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de lInstitut dEtudes Politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, aux Éditions du Cygne, de La Nudité, pratiques et significations (2009). Imprimer
Il est de bon ton dans les milieux cultivés de dénigrer le cinéma pornographique, soit dun point de vue esthétique, soit, de plus en plus souvent (sous linfluence dun certain féminisme), dun point de vue moral. Pour beaucoup, il serait le corrélat voire le vecteur dune marchandisation de lhumain, et dune réduction des rapports à du consumérisme sexuel.
Julien Servois, professeur agrégé de philosophie, et spécialiste de Kant, semploie à ramer à contre-courant de cette mode. Pour lui «le cinéma porno est devenu un des grands genres cinématographiques du divertissement populaire, à côté du thriller, du film dhorreur, de la comédie sentimentale», il doit donc être analysé comme tel, sans jugement de valeur hâtif ni procès dintention.
La force du livre de Servois tient incontestablement à la grande érudition qui le sous-tend dans le domaine quil examine. A la différence des moralisateurs qui semblent ne fonder leur jugement que sur quelques scènes pas nécessairement représentatives du genre, Servois mobilise un savoir qui couvre un large spectre de lhistoire riche et diverse du film X, du porno chic dAndrew Blake aux Buttman de John Stagliano, ancêtre du gonzo actuel (une sous-catégorie du genre), sans oublier le postporn plus ou moins underground actuel, notamment dans les milieux gays-lesbiens. Il y a dans le travail de Servois un souci dexhaustivité, en même temps que dhonnêteté, qui lui permet de démystifier les impostures des détracteurs du porno on lira à ce propos avec intérêt le sous-chapitre «Bataille et les canailles» (p.33), qui déconstruit très justement les sophismes dune des stars de lantipornographisme universitaire, Michela Marzano. Il fait aussi preuve dune remarquable créativité analytique dans sa manière de décortiquer les scènes, les gestes, les prises de vue en nhésitant pas, au besoin, à donner la parole aux réalisateurs, qui réfléchissent à leur art bien plus que certains ne limaginent.
On peut bien sûr émettre quelques doutes sur certaines projections philosophiques effectuées par Julien Servois lorsque, par exemple, il qualifie Behind the green door des frères Mitchell (1971) de cinéma platonicien. On le rejoindra en revanche dans sa démonstration selon laquelle ce nest pas parce que le porno use de techniques itératives très normées et qui font appel à des schèmes de perception peu élaborés tout comme le fait la comédie musicale, quil faudrait sabstenir détudier sérieusement le message idéologico-esthétique du premier alors quon sautorise à le faire pour la seconde. Jamais la monstration dun acte sexuel nest réductible à elle-même sans que sa mise en scène ne soit justiciable dune analyse à plusieurs niveaux des connotations qui sy attachent. Même dans les films les plus en rupture avec la trame narrative (ce qui est de plus en plus le cas avec le gonzo sur Internet) des effets discursifs sont produits qui sont loin dêtre aussi univoques et appauvrissants que ne le prétendent les adversaires du genre.
Avec ce beau travail empathique sur lhistoire du porno, Servois na pas seulement le mérite de briser le mur dune certaine arrogance pharisienne contre ce genre, il pose aussi la question des virtualités dune exhibition sans tabou des pratiques sexuelles, celle de son potentiel dironie (et de critique cynique à la Diogène) contre les conventions sociales ou des valeurs culturelles dominantes, celle de linvention dun nouveau rapport à son propre corps et au corps de ses semblables, celle, aussi, dune dé-sacralisation radicale de la sexualité, serpent de mer de nombreux slogans révolutionnaires depuis un siècle, mais qui peine toujours à trouver une réalisation véritable à léchelle macro-sociale.
Un livre qui donne à penser, en des temps où conservatisme et conformisme se substituent trop facilement à la réflexion.
Christophe Colera ( Mis en ligne le 13/11/2009 ) Imprimer
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