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Le retour du Mendiant ingrat | | | Léon Bloy Journal inédit - Tome 3, 1903-1907 L'Âge d'homme 2007 / 78 € - 510.9 ffr. / 1384 pages ISBN : 978-2-8251-1853-5 FORMAT : 13,0cm x 20,0cm Imprimer
Toute sa vie durant, Bloy aura incarné la figure assumée du «Mendiant ingrat». Cette identité ne relève en rien dune posture et se situe aux antipodes de lattitude bohème revendiquée par certains artistes comme condition dexercice de leur talent. Elle fait plutôt partie intégrante de la «mission» dont il se sent investi et quil décrit en ces termes très simples : «Dieu exigeait que je fusse le témoin absolu de sa Vérité absolue et jai obéi».
La totale soumission de Bloy à son idéal le reléguera irrémédiablement aux marges de la littérature de son siècle. Son refus de la «prostitution» aux mondanités le maintiendra loin des coteries et du clientélisme si utile pour gravir les échelons du succès. Lintransigeant Léon refuse ainsi dêtre acheté par quelque parti que ce soit ; il sestime plutôt redevable dune charité qui lui est due et dont, toute sa vie, il attendra, souvent en vain, la providentielle venue.
Si on fait donc exception du soutien ponctuel de quelques fidèles ou dadmirateurs fervents, Bloy entretiendra continûment avec largent un rapport problématique qui conditionnera sa haine viscérale de la bourgeoisie et, à linverse, son exaltation christique du Pauvre. En août 1903, à propos des obsèques dun nanti, son courroux le fait tonner en ces termes : «Scandale énorme. Un homme de mauvaise vie et riche vient de crever. On va lui faire aujourdhui des funérailles de première classe avec un déploiement de faste inouï pour ce pays. Tout le monde court à léglise pour voir ça. Amertume excessive de penser quavec largent dépensé vaniteusement pour cette charogne, nous serions probablement délivrés !» Ce genre de ressentiment nest pas éprouvé quà légard dune catégorie sociale, mais aussi de contemporains plus chanceux que lui, tel J.-K. Huysmans, producteur de sucre de betterave bondieusard dont lauteur de La Femme pauvre ne comprendra jamais le succès.
Enfin, quand il dénonce le peu de charité des Assomptionnistes ou quand il clame son aversion pour le pontificat de Léon XIII, cest avec les représentants les plus éminents son propre camp quil se met en porte à faux. Le ton du plaidoyer est sans appel : «Personne na dit aussi fortement que moi linjustice des catholiques, leur avarice infâme, leur égoïsme fangeux, leur poltronnerie à faire vomir, leur sottise, leur mépris stupide pour ne pas dire leur haine de tout ce qui est intellectuel, indépendant et généreux.» Et ailleurs : «Jaffirme nettement, avec une autorité absolue, que le monde catholique moderne est un monde réprouvé, damné, rejeté absolument, irrémédiablement, un monde infâme dont le Seigneur Jésus a soupé de la façon la plus complète, un miroir dignominie où il ne peut pas se regarder sans avoir peur comme à Gethsémani.»
Ce troisième volume reprend les années 1903 à 1907, celles qui correspondent grosso modo au deuxième tome de Quatre ans de captivité à Cochon-sur-Marne et à LInvendable. Au fil des jours qui sy égrènent selon un rituel liturgique scrupuleusement respecté, Bloy évoque les moments de détresse et de recueillement, les paroles de son épouse adorée, les récriminations à légard de sa propriétaire ou de ceux qui napportent pas une aide pourtant promise. En contempteur de lépoque et en réactionnaire consommé, il peste contre le progrès, dont le symbole le plus envahissant est alors lautomobile, et raille en ces termes limbécile initiative de la course Paris-Madrid : «Cette chose moderne paraît démoniaque de plus en plus. Se représente-t-on lhorreur de ces deux ou trois cents voitures hideuses lancées comme des boulets et triturant, chacune à son tour, pendant des lieues, les mêmes lambeaux sanglants ! Il y a des consolations. Une delles a pris feu et le chauffeur a été carbonisé.»
Les saillies de cet esprit corrosif viennent étayer la distinction fondamentale que Bloy opère à propos de son double romanesque. À linstar de Marchenoir, il est un désespéré philosophique, et non un désespéré théologique, «il nattend rien des hommes, mais il attend TOUT de Dieu.» Sa force de conviction, son allégeance à la supériorité du plan divin, sont indéfectibles. Elles participent dun combat personnel et intégral qui forcerait le respect du dernier des mécréants. Elles témoignent dune croisade intérieure menée en solitaire et hors de notre temps humain contre les Cochons de tout acabit. Elles permettent de répondre à la question que se posait Bloy : «Quand viendra lhomme de Dieu qui se servira de la Parole comme dun marteau ?». Il était là, mais rares sont ceux qui lont remarqué.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 21/01/2008 ) Imprimer
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