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Littérature -> Entretiens |
| Un entretien avec David Foenkinos
Bibliographie :
- Le Potentiel érotique de ma femme, Gallimard, mars 2004.
- Entre les oreilles, Gallimard, août 2002.
- Inversion de l'idiotie. De l'influence de deux Polonais, Gallimard, janvier 2002. Imprimer
Parutions.com : On pourrait situer Le Potentiel érotique de ma femme dans une mouvance de plus en plus affirmée sur les vertus de la vie en couple, et notamment dans la fidélité. Cette mouvance est-elle une réaction à des textes, où la description froide des échanges sexuels, multiples, est portée au plus haut point ?
David Foenkinos : Ces descriptions sont liées à une société extrêmement pornographique, bien que lattrait du glauque se tasse. Jai par ailleurs une vision éthérée des choses, que traduit une écriture prude. Cette retenue, ce choix ne sont pas sociologiques mais uniquement esthétiques et littéraires. Je naime pas les mots crus dans un texte.
Parutions.com : Pour autant cette pudeur ne leste pas le roman. Une légèreté de ton et une simplicité dans lécriture trahissent-elles un hédoniste ?
David Foenkinos : Si jappartenais à une mouvance, ce serait celle du plaisir. Et le rire en est constitutif. Tout mon travail décriture tend vers cette création dun état, celle de donner du plaisir au lecteur.
Parutions.com : Un humour qui fonctionne en révélant nos drames. Les solitudes urbaines, pierre dangle du roman, constituent-elles le grand mal de notre société ?
David Foenkinos : Les personnages qui uvrent dans mes textes font rire, mais sont en proie à une vraie détresse. On pourrait plutôt les situer dans une sorte de mollesse corporelle que dans une solitude pure ou bien existentielle. Ce sont des personnages en marge, parce quils vivent dans un univers en marge. De toutes ces solitudes, les rencontres qui se produisent sont souvent hyper excessives. Dès lors quil y a communication, lexcès se produit (ils saiment tout de suite). Cest une réponse proportionnelle à leur vide, au rien qui, jusquà présent, les composent.
Parutions.com : Le roman tout comme les autres textes est jalonné de références directes ou dissimulées à la seconde guerre mondiale.
David Foenkinos : Différents rappels tels que la concierge du héros, la scène de violences dans une cave, sont autant de traductions de mes obsessions. Et de mes hantises. Jai notamment beaucoup travaillé sur la collaboration. Cette période, présente, constante, résonne en moi comme un écho essentiel. Elle tisse des liens vers mes propres interrogations.
Parutions.com : Avez-vous le sentiment dappartenir à une génération ?
David Foenkinos : Il est désormais très difficile de penser en termes de génération. Le mot même renvoie à des traditions littéraires et politiques, telles quon a pu les voir culminer au XIXe et au XXe siècles. Tout dabord, une génération se construit contre quelque chose, et lennemi commun nest pas vraiment perceptible, la rivalité quasi absente. Ensuite, une génération littéraire est politisée. Or, la conscience politique, trop éparpillée, est devenue ridicule. Il y a là comme une mollesse totale, sans pour autant le regretter. Les générations auxquelles je pense sinscrivent dans des périodes de lhistoire pas vraiment joyeuses.
Parutions.com : Un écrivain dune certaine génération (bien quil ait toujours brouillé les pistes ), Aragon, est cité en préambule au roman. Est-ce un écrivain décisif dans la constitution dun univers, dun projet esthétique ?
David Foenkinos : Lécriture dAragon ne ma en aucun cas influencé, bien quelle mait touché sur dautres points, et notamment sur la vision des femmes. Le Paysan de Paris, duquel est extraite la citation, constitue pour moi un texte dappel aux sens.
Jai la chance miraculeuse de connaître les écrivains qui ont changé ma vie, et dont jai digéré les textes. Je considère Albert Cohen comme celui qui ma amené au livre comique, par toute sa folie visuelle ; en terme de stratégie romanesque, Dostoïevski est un maître ; Philippe Roth, avec Le complexe de Portnoy, ma fait découvrir lhumour juif new-yorkais. Jean-Philippe Toussaint, avec La Salle de bains, ma fait éprouver une expérience unique. Enfin et surtout, jai trouvé ma phrase avec Bernard Frank. En lisant vingt pages, jai avancé de dix ans. Jai lu Bernard Frank, et jétais publié six mois après. Depuis Inversion de lidiotie, deux auteurs sont plus présents : Gombrowicz, dont japprécie les textes plus que tout, et Thomas Bernard, quil faut absolument éviter de lire parce que trop riche.
Parutions.com : Dans la manière décrire, on distingue traditionnellement deux styles : Stendhal et Flaubert. Lequel des deux ?
David Foenkinos : Stendhal dans le premier jet, très rapide et facile. Puis Flaubert, dans le travail énorme sur lécriture.
Parutions.com : Un travail en musique ou en silence ?
David Foenkinos : Je nai pas de rite précis, mais jécris plutôt en musique. Schubert, Brahms ou Air, qui ont en commun de ne pas être trop encombrants au niveau rythmique. Etrangement, jai tendance à écrire avec de moins en moins de musique.
Propos recueillis par Stanislas Bosch-Chomont en mai 2004 ( Mis en ligne le 26/05/2004 ) Imprimer
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