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''Un cinéma sans concession, comme un combat, rude parfois pour le spectateur'' avec Danièle Huillet et Jean-Marie Straub Editions Montparnasse 2008 / 45 € - 294.75 ffr. Durée DVD 271 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : 1967, 1972, 1991
Sortie DVD : Décembre 2008
Version : 3 DVD 5, Zone 2
Format vidéo : PAL, format 1.37
Format image : Couleurs, N&B, 4/3
Format audio : Allemand mono
Sous-titres : Français
DVD 1
Chronik der Anna Magdalena Bach (Chronique d'Anna Magdalena Bach)
1967, 93 minutes 34 secondes, noir et blanc
D'après Le Nécrologe (1754) de Carl Philipp Emanuel Bach et Johann Friedrich Agricola, des textes (lettres et mémoires) de Johann Sebastian Bach (1685-1750) et divers documents d'époque.
DVD 2
Leçons d'histoire (Geschichtsunterricht)
1972, 84 minutes, couleurs
Tiré du roman Les Affaires de monsieur Jules César (1939-1957) de Bertolt Brecht (1898-1956).
DVD 3
Antigone (Die Antigone des Sophokles nach der Hölderlinschen Übertragung für die Bühne bearbeitet von Brecht) (Suhrkamp Verlag, 1948)
1991, 94 minutes 51 secondes, couleurs
Version retravaillée pour la scène (1948) par Bertolt Brecht de la traduction en allemand (1800-1803) par Friedrich Hölderlin (1770-1843) de la tragédie (441 avant Jésus-Christ) de Sophocle (496-406 avant Jésus-Christ).
Lauteur du compte rendu : Benoît Pupier, est membre du collectif
Cineades. Il travaille actuellement sur un documentaire de création, Marcel Poulet, un peintre docre en son pays. Imprimer
Les éditions Montparnasse poursuivent leur travail dédition DVD de luvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. LAllemagne était au cur dun premier coffret avec des films daprès Heinrich Böll et Arnold Schönberg. LItalie avec des films daprès Cesare Pavese, Elio Vittorini, Franco Fortini, au cur du deuxième. Nous retrouvons ici différents thèmes : confrontation à la musique, à lHistoire, au discours historique, à la tragédie antique ; interrogation du pouvoir
Chronik der Anna Magdalena Bach (Chronique d'Anna Magdalena Bach)
Cest un portrait de Johann Sebastian Bach saisi dans son contexte familial, social, économique, historique, artistique. La voix off est comme une chronique dAnna Magdalena Bach, épousée en 1721, en deuxième noce. Bach a alors quatre enfants, survivants de son mariage précédent. Le temps qui passe, cest la naissance des nombreux enfants, et la mortalité infantile qui frappe. Le couple eut treize enfants, sept moururent en bas âge. Ce sont les concertos, les sonates, les passions, les messes, les préludes, les oratorios, les variations, les motets à écrire, souvent en lien avec un fête religieuse, un évènement de la vie dun Prince, une commande. La vie, cest une nouvelle charge à obtenir en sollicitant la bienveillance dun Prince, cest faire face à lhostilité dun concurrent, débattre des règles de lart, préparer limpression dun méthode de clavier, sinquiéter du budget familial
Le film est construit à partir de plans fixes, plans densemble de la chorale ou des musiciens, blocs de durée pour une traversée musicale de luvre de Bach, et davancées dans la biographie par lintermédiaire de la voix off. Il sappuie sur une matière documentaire : lieux (églises, châteaux, tribunes dorgue : Eutin, Preetz, Leipzig, Haseldorf, Lübeck, Nuremberg, Freiberg en Saxe, Grosshartmannsdorf, Berlin
) et codes vestimentaires de lépoque, images des manuscrits de Bach et des imprimés originaux.
Leçons d'histoire (Geschichtsunterricht)
Une carte de Méditerranée. Une statue de Jules César. Un jeune homme traverse Rome, au volant de sa voiture. Cest une traversée de lespace-temps. Cest un plan séquence très long, qui reprendra après chaque scène dialoguée. Quatre personnages, figures antiques, en toge romaine, dialogueront avec le jeune homme autour du destin politique de César et de la pratique du pouvoir : un banquier, un paysan, un avocat et un écrivain. Cest une traversée de lHistoire.
Il est question des guerres puniques, de lattitude des gouvernants, des conséquences financières et politiques des guerres sur Rome, de la morale, de la conduite de lEtat, des voyages pour se perfectionner à lart oratoire, de César prisonnier de pirates, de la visite à Junius gouverneur dAsie, de la crucifixion des pirates
Il est question du commerce des esclaves, des conséquences économiques sur Rome, de la souffrance de cette marchandise, du rapport au peuple.
Le paysan est un ancien légionnaire, il était en Gaule. Il raconte, appuyé contre sa cabane de bois. Ils étaient 4 garçons, trop pour quelques arpents de terre. Il parle des clubs démocratiques et de leur volonté de distribution de blé gratuit pour les chômeurs. Un torrent sécoule le long de la montagne.
Le parcours dans la ville en voiture nen finit pas.
Le commerce nest-il pas une guerre ? demande lavocat. Il est vrai aussi que le commerce apporta un certain courant humanitaire. Droit et ferme, lhomme considère lHistoire et les idéaux. Il raconte les débats au Sénat, lEmpire. Le découpage de Straub, en plan fixe, joue parfois dun décentrement, dune contre-plongée, pour créer une distanciation. Dans sa chaise longue, les bras derrière la tête, lécrivain parle de la lèpre. Réelle, imaginaire, symbolique ? Image de la corruption ?
Les ruelles de la ville sont étroites. Quelques bruits du dehors, quelques coups de klaxons.
Les deux hommes sont assis dehors autour dune petite table ronde. Une carafe de vin rouge est posée-là. Le banquier raconte laffaire Catilina, Cicéron, Pompée, les débats au Sénat, la dissolution des clubs de rue, César quittant Rome précipitamment, les guerres et commerces victorieux de César en Espagne, les stratégies politiques, le rapport aux populations autochtones, les gratifications convenables versées aux soldats, les combats des cohortes romaines... Derrière le jeune homme, quelques hortensias, leurs reflets sur le sol. Straub joue du décentrement de ce personnage à lintérieur du cadre, cest une figure stylistique récurrente de son art. Le banquier raconte le butin en esclaves, le nouveau système populaire, le rendement des mines, le retour de César. César avait montré ce qui se cachait en lui, dit-il. Lhomme dargent salue lhomme de pouvoir.
Une tête de Gorgone crache son eau.
Antigone (Die Antigone des Sophokles nach der Hölderlinschen Übertragung für die Bühne bearbeitet von Brecht)
Deux femmes se tiennent droites ; elles sont côte à côte, filmées de plein pied, en habits dépoque, dans le théâtre antique de Segeste en Sicile. Ismène et Antigone. Malgré linterdit de Créon, à la tête de Thèbes, Antigone veut offrir un hommage funèbre digne à Polynice, son frère, tué par Etéocle, son autre frère. Ismène, sa sur, comprend mais ne laccompagne pas.
Avec emphase, Créon expose sa stratégie politique au chur des vieillards thébains. Il apprend le viol par Antigone de linterdit royal. Il semporte contre le chur qui ose interroger linterdit, contre Antigone qui dit parler au nom des Dieux (elle est emprisonnée), contre Ismène qui soutient Antigone, contre Hémon son propre fils et fiancé dAntigone qui parle dabus de pouvoir. «Terrible est ton nom au peuple. (
) Sache que la ville est pleine de déplaisir interne».
«Bourgeois de la ville de mes pères, voyez-moi / aller mon dernier chemin / et contempler la dernière lumière du soleil. / Et jamais cela à nouveau ? / Car celui qui tous couche une fois, le dieu de la mort / vivante il me conduit / à la rive de lAchéron. / Et il ny aura pour moi pas de mariage, aucune / chanson nuptiale ne me fêtera, épousée / de lAchéron, je suis. La douce et volontaire Antigone dialogue avec le chur. Cest un plan rapproché. Du vent secoue la toile de son habit. La lumière a baissé. Cest le déroulement lent de la tragédie.
Le devin Tirésias sapproche, conduit par un enfant ; il avertit du déplaisir des Dieux, parle des menaces pour la cité dune conduite tyrannique. Toute à sa gloire dun combat victorieux à venir, Créon linsulte. Ailleurs la bataille contre Argos est un désastre. Thèbes est menacée. Malheur à nous ! se lamente le chur. Antigone travaille la question du pouvoir, de lexercice de la violence et de ses conséquences sur la cité.
Créon a des remords, il est trop tard. Limplacable a fait son uvre
«Le public : Dans Antigone, quand le chur parle, il y a un plan abstrait sur le sol du théâtre antique
Pourquoi ?
Jean-Marie Straub : Pourquoi pas ?
Le public : Ce sont les pierres qui délimitent lespace entre le chur et
Danièle Huillet : Ce sont des pierres
Jean-Marie Straub : Dans nos films, chaque centimètre carré dair, de soleil ou de lumière et si jétais prétentieux je dirais même chaque millimètre carré est aussi important que les centimètres carré où se trouve lacteur et cela quils soient au milieu, à côté, à droite ou en haut. Le seul intérêt de ces films, cest que ce ne sont pas des films agressivement occidentaux : ils ne sont pas humanistes, il ne mettent pas lhomme au centre de lunivers. (
)» (
Extraits de L'Etrange cas de Madame Huillet de Monsieur Straub. Philippe Lafosse. Editions Ombres / A propos, 2007).
Âpreté, rigueur, tension dialectique, décentrement des personnages à lintérieur des plans, corps figés dans lespace, verticalité du format 4/3, perturbation du regard neutre à hauteur dhomme par des plan en plongée ou contre plongée, travail de la langue (absence des sous-titres parfois en français pour obliger le spectateur à retourner à limage et à la matière sonore des mots et de la langue dorigine)
Cest un cinéma sans concession, comme un combat, rude parfois pour le spectateur.
Labsence de compléments aux films dans les différents coffrets DVD est un choix des Straub.
Benoît Pupier ( Mis en ligne le 17/12/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Huillet et Straub (volume 1) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub Huillet et Straub (volume 2) de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub | |
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