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Mélodrame ouaté
avec Rainer Werner Fassbinder, Günter  Lamprecht, Hanna Schygulla, Gottfried  John, Peter  Kollek
Carlotta Films 2007 /  60  € - 393 ffr.
Durée film 935 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : 1979-1980, Allemagne
Titre original : Berlin Alexanderplatz

Version : 6 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (couleurs)
Format audio : Allemand (Dolby Digital 2.0 mono)
Sous-titres : Français

Bonus :
- Regards sur le tournage (44 mn)
- Berlin Alexanderplatz : un film somme et son histoire (65 mn)
- Regards sur la restauration (35 mn)
- Exemples de restauration (7 mn)
- Bande annonce
- Un comparatif avant/après restauration
- Galerie de photos
- Résumés des épisodes II à XIII (4 mn)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Alfred Döblin (1878-1957) était un médecin et écrivain allemand. Nationalisé français en 1936, d'origine juive et converti au catholicisme en 1941, il est l'auteur du célèbre roman Berlin Alexanderplatz, œuvre la plus connue, datée de 1929. Dans cette œuvre, l'auteur décrit les bas-fonds du Berlin des années 1925-1930. Le personnage principal est une sorte d'anti-héros, un certain Franz Biberkopf, criminel repenti que la fatalité rattrape et qui retombe dans la délinquance malgré lui. Il commence alors une nouvelle vie, se jure de rester honnête. Il retrouve quelques amis et cherche un soutien auprès de ses différentes maîtresses. Dans son entourage, il y a Eva, son amie de toujours, Lina, une Polonaise rencontrée dans la brasserie où Franz est un habitué, et sa propriétaire, Madame Bast. Mais à Berlin dans les années 1927-1928, la vie est rude et le travail rare… Nous suivons donc tout au long du roman les pérégrinations de Franz, ses rapports avec les femmes notamment, dont Mieze.

Même si l’on a souvent comparé ce roman à Voyage au bout de la nuit (deux romans de l'entre-deux-guerres), le roman d'Alfred Döblin reste cependant inégal (trop long et trop décousu) et privilégie la fatalité sociale à la singularité de l'individu. Ce récit "moderne" est composé de références bibliques et mythologiques, de collages, d'extraits de journaux et mêle la tragédie à la drôlerie populaire, dans une cacophonie et un effrayant chaos. Les techniques du collage et de la simultanéité avaient déjà été expérimentées par Alfred Döblin en tant que collaborateur au journal La tempête.

Par son thème comme par son style, le roman emprunte au futurisme dont les manifestes avaient proclamé violemment la nécessité d'un art en mouvement, la rupture avec les styles d'arts précédents (les futuristes voulaient noyer les musées et mettre le feu aux bibliothèques, etc.). Ces artistes célébraient la vie moderne, la vitesse, le culte de la technique, le machinisme effréné. Ils exigeaient le développement d'un style spécifique propre à rendre la totalité de la réalité fragmentée, en faisant entendre de préférence le déferlement inlassable de la vie (bruit des rues, de conversations, et de machines etc.). Le futurisme dans sa branche italienne fit donc bien l’éloge de la modernité et versa dans le fascisme.

Berlin Alexanderplatz a été adapté au cinéma à plusieurs reprises : en 1931 par Piel Jutzi avec Heinrich George dans le rôle de Franz Biberkopf, puis en 1980 par Rainer Werner Fassbinder, qui en fit une série de 13 épisodes et un épilogue, le tout pour une durée de plus de 900 minutes, pour les télévisons allemande et italienne qui ont coproduit le projet. Cent cinquante jours de tournage entre août 1979 et avril 1980 dans les studios de la Bavaria à Munich.

Né le 31 mai 1945, et mort en 1982 d'une overdose (dit-on), Rainer Werner Fassbinder est l'une des figures emblématiques du cinéma allemand d'après-guerre. Auteur d'une œuvre féconde, Fassbinder a tourné en l'espace de treize ans une quarantaine de films et écrit et mis en scène bon nombre de pièces de théâtre. Citons pour le cinéma L'Amour est plus froid que la mort (1969), Les Larmes amères de Petra von Kant (1972), Le Mariage de Maria Braun (1978), Lili Marleen (1981) et le dernier, Querelle (1982) d'après Jean Genet.

L'adaptation du roman d’Alfred Döblin par Rainer Werner Fassbinder est fort étrange. D'abord esthétiquement. L'image est assez diffusée, assez lisse, posant des "étoiles" à l’endroit des lampes ou de tout autre scintillement (lunettes etc.). Le tout donne une tonalité assez factice, artificielle, sépia, peu contrastée, qui ne colle pas beaucoup avec l'univers rude, sombre et éclaté du roman. D’autre part, certaines scènes sont totalement recouvertes d’une nappe musicale, souvent insignifiante et indigeste, qui met à bat toute la dramaturgie des séquences. La surprise est donc de taille devant une mise en scène si molle et si télévisuelle. A cela, il faut ajouter un report en DVD parfois singulier puisque plusieurs plans sont subitement très granuleux par rapport à d'autres dans une même séquence.

De plus, la mise en scène de Rainer Werner Fassbinder semble comme paralysée par sa propre ambition affichée et se contente d’enregistrer platement le déroulement logique et narratif du roman en en oubliant tout le côté brutal et dissonant. Tout semble aseptisé. Par exemple, toute la polyphonie des quartiers populaires du roman est réduite à presque rien par le metteur en scène allemand. Du coup, les lieux de l'action tiennent en peu de choses : la pension de madame Bast, le café de Karl, la Berliner Strasse, quelques rues et quelques plans à la campagne. Pour emprunter une métaphore musicale, le film est plutôt legato que staccato. Et même lento car il est traversé de longues plages de discussions, de monologues quasi interminables. Là où l'on attendait un côté baroque expressionniste, si l'on veut, on a du mélodrame déroulé au kilomètre. Au lieu d'un vin fort, celui-ci est dilué avec une grande quantité d'eau... Certes, on peut dire que Rainer Werner Fassbinder peut faire ce qu'il veut d'une telle adaptation mais pas au point de la trahir et de la rendre kitsch.

Même si l'on retrouve au passage quelques comédiens favoris du cinéaste, comme Hanna Schygulla (Lili Marleen, Le Mariage de Maria Braun, La troisième génération, etc.), Barbara Sukowa (Lola une femme allemande), ou Gottfried John (Despair, Le Mariage de Maria Braun, L'Année des treize lunes), tous ces choix ont quelque chose de surprenant, surtout à cette époque « expressionniste » qui voit apparaître le cinéma de Fritz Lang, la peinture de Grosz et la musique de Schöenberg, Berg et Webern. Effectivement, et à la surprise générale, Rainer Werner Fassbinder opte pour le « pathos ouaté », si l'on ose dire, renforçant sans grande distance son personnage dans les tourbillons des forces brutales qui le régissent : le sexe, l'alcool, la violence. Günter Lamprecht incarne un Franz Biberkopf assez mollasson, qui oscille davantage vers le bon bougre que vers l'homme dépassé par ses pulsions destructrices. Et il est difficile même de croire qu'il ait pu tuer Ida, une femme, au début de toute l'histoire. La scène que l'on revoit d'ailleurs à plusieurs reprises est très fade. Sans être complaisant envers une telle scène, on pouvait en restituer une certaine "brutalité" plus réaliste.

Le pathos du film culmine dans une scène franchement ridicule où, ayant appris que Mieze (Barbara Sukowa) s'est éprise d'un autre homme, Franz Biberkopf se met à la battre violemment au point de la tuer comme Ida, surtout quand Mieze se met à hurler brusquement, suivie par Franz à son tour dans un grand psychodrame sanguinolent. Et pour la seconde fois, Madame Bast ne réagit pas, assistant à toute la scène, vaguement terrorisée. Malgré cela, la scène à la campagne où Mieze pardonne ensuite à Franz est proprement "ignoble". Comment est-il possible de légitimer, dans un tel climat bucolique et naturaliste, le pardon de la victime, "soumise" évidemment par amour (un amour totalement aveugle mais qui n’est pas montré comme tel) à son bourreau ?

Que pensez alors de l'épilogue de 111 minutes qui n'a plus grand chose à voir avec le roman où Franz se retrouve à l'asile ? Une suite de tableaux où Rainer Werner Fassbinder fait en sorte que les personnages règlent leurs comptes entre eux : scène d'orgie, sado-masochisme (on voit Reinhold fouetter Franz maquillé en femme !), diatribe de Franz Biberkopf contre la race humaine, la pire de toute évidemment, combat de boxe entre Reinhold et Franz où chacun s'invective et où Franz finit par embrasser Reinhold sur la bouche (!), scène explicative dans une prison où Reinhold embrasse un homme nu lui qui n'arrêtait pas d'aller vers une femme pour la repousser ensuite (cliché de l'homosexualité refoulée), etc. Et le tout sur toutes sortes de musique pop ringarde ou d'opéra et dans la même esthétique ouatée et kitsch !

Contrairement aux louanges que l'on décerne au film, sans doute parce qu'il s'agit justement de Rainer Werner Fassbinder et que l’on n’ose pas remettre en cause son cinéma, on a la désagréable sensation ici que le cinéaste n'a pas su négocier l'ampleur d'une telle adaptation, histoire de la sortir de l'optique de la série avec tous les défauts inhérents de la série télévisée, et ce pour la porter dans une visée plus artistique. C'est-à-dire aussi de faire des coupures, de se faire plus concis car ce qui peut se lire des heures durant ne peut pas avoir la même traduction fictionnelle pieuse au cinéma des heures durant aussi. Rapidement, les quelques quinze heures de visionnage deviennent fortement lassantes d’autant que la mise en scène du cinéaste semble monocorde et ne varie guère du début jusqu’à la fin. Pouvait-il en être autrement ? Imagine-t-on une symphonie de quinze heures, dépassant ainsi l'entendement humain ?

La déception est donc grande, d’autant qu’on attendait une vision plus abrupte d’un metteur en scène comme Rainer Werner Fassbinder. On a connu celui-ci plus concret, avec plus d’aspérités, semble-t-il. Ou peut-être nous sommes-nous faits un portrait plus dérangeant qu’il n’est du cinéaste ? Il serait alors intéressant de revoir ses films à la lumière de cette molle série télévisée pour voir ce qu’il en est. Une chose est sûre, à la vision de ce téléfilm, un non-événement, on comprend que Rainer Werner Fassbinder n'est pas Pier Paolo Pasolini et n'a pas son talent.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 19/10/2007 )
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