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Roman d'un voleur
avec Robert Bresson, Martin La Salle, Marika Green, Pierre Leymarie
MK2 2005 /  60  € - 393 ffr.
Durée film 73 mn.
Classification : Tous publics

Ce film fait parti d’un coffret contenant : Pickpocket, Le Procès de Jeanne d’Arc et L’Argent.

Sortie Cinéma, Pays : 1959, France

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 16/9 compatible 4/3
Format image : 1 :33
Format audio : Français, Dolby digital 2.0 mono
Sous-titres : Anglais

DVD 1
Pickpocket

DVD 2
Extrait d’une interview de Robert Bresson par François Chalais et France Roche dans l’émission Cinépanorama(1960)
Documentaire, Les Modèles de Pickpocket, de Babette Mangolte (2003)
Rencontre avec Marika Green, Paul Vecchiali et Jean-Pierre Améris, Autour de Pickpocket(2000)
Spectacle de Kassagi extrait de l’émission La Piste aux étoiles (1962)
Bande annonce

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« Ce film n’est pas du genre policier, l’auteur s’efforce d’exprimer par des images et des sons, le cauchemar d’un jeune homme poussé par sa faiblesse dans une aventure de vol à la tire. Cette aventure réunira deux âmes qui sans elle ne se seraient peut-être jamais connues. » Ce texte, déroulant après le générique de début, résume l’intrigue et les contradictions de Michel (Martin La Salle). Intimement persuadé que des êtres supérieurs peuvent enfreindre la loi sans conséquences, ce jeune homme, sans ressources, commence à fréquenter des lieux publics afin d’y commettre des larcins. Prenant pour modèle George Barrington (son livre de chevet, Le Prince des Pickpockets, narre les exploits de ce célèbre voleur et écrivain d’origine irlandaise), il tombe promptement dans un engrenage inextricable. Un pickpocket expérimenté, interprété par le prestidigitateur Kassagi (également conseiller technique pour régler les gestes des voleurs), l’initie à cette pratique malhonnête, où il se révèle particulièrement doué.

La montée d’adrénaline et la sensation de dominer le monde, éprouvées par Michel lors de chaque vol, ressemblent aux sentiments ressentis par Le Joueur de Dostoïevski. Le héros de Crime et châtiment, de ce même auteur, a également inspiré Robert Bresson, qui adaptera plus tard deux autres ses récits, Une Femme douce (1969), et Les Nuits blanches dans Quatre nuits d’un rêveur (1971). L’écrivain russe et le cinéaste, pareillement intéressés par la dualité de l’être humain déchiré entre le mal et la morale, utilisent une rhétorique chrétienne avec les notions de péché, d’abandon, de renoncement et de rédemption.

Le titre Incertitude, d’abord retenu par le réalisateur, correspondait à son souhait de vouloir « rendre palpable que les chemins que nous prenons dans la vie ne conduisent pas toujours à destination », tout du moins à celle prévue. Les chemins empruntés par Michel sont sinueux. Malgré la honte, et en dépit de l’amour de Jeanne (Marika Green), de l’amitié de Jacques (Pierre Leymarie), et de la suspicion de la police à son égard, il ne peut s’empêcher de voler. Cet agnostique, qui a toutefois « cru en Dieu pendant trois minutes » durant l’enterrement de sa mère, s’enferme dans un solipsisme romantique. Il refuse d’entretenir de réels rapports avec ses proches, « vous n’êtes pas dans la vie réelle, rien ne vous intéresse » lui assène Jeanne. Cependant, tandis qu’il maintient une certaine distance avec son entourage, il s’immisce brutalement dans l’intimité d’inconnus qu’il dépouille lors de contacts fugaces. La dernière scène du film, lorsque Michel prononce une des plus célèbres répliques du cinéma : « O Jeanne, pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m’a fallu prendre ! » met un terme à son enfermement psychologique. Il trouve enfin sa voie après une longue errance, alors que paradoxalement il se tient derrière les barreaux du parloir de la prison, à travers lesquels ses mains ne cherchent plus à dérober des objets, mais à toucher Jeanne en signe de contrition. Cette conclusion optimiste, diffère de celles de la plupart des autres œuvres du cinéaste, où nulle issue, hormis la mort, n’est en général offerte aux personnages.

Dans un style dépouillé et rigoureux, la démarche exigeante de Robert Bresson aboutit à une œuvre cohérente, miroir de son obsession de beauté et de pureté, à laquelle s’associe une réflexion sur la morale et la culpabilité. Le réalisateur fait percevoir le malaise qui s’installe autour du pickpocket. Celui-ci se complaît dans son isolement, vivant replié, lorsqu’il ne commet pas ses délits, dans une chambre de bonne quasi monacale. Défini par le cinéaste comme un « film de mains, d’objets et de regards », Pickpocket semble, malgré tout, délaisser l’aspect immoral pour ne s’intéresser qu’aux mécanismes du vol. Lors d’une scène rappelant une de son précédent film, Un condamné à mort s’est échappé (1956), Michel est menotté et encadré par deux policiers dans une voiture, mais ses mains, une fois libérées de leur entrave, recommenceront à voler. Des plans rapprochés, ainsi que des gros plans, filment les mains qui ont acquis une totale autonomie, les actes déterminant l’être. Elles ouvrent des portes, à la recherche d’une issue aux dédales de l’existence, et subtilisent des biens appartenant à des victimes désignées au hasard.

Aux jeux de mains répondent des jeux de regards, grâce auxquels Robert Bresson réalise un travail de suture en faisant exister le hors-champ dans le cadre filmique, que Bazin qualifiait de centrifuge. Les cadrages des corps, comme de l’espace, sont morcelés, ce qui maintient une tension permanente entre ces deux éléments, et accentue les qualités picturales des plans (telle la peinture du Titien, L’Homme aux gants, dont les mains de couleurs claires, au premier plan, se détachent des teintes sombres de la composition). Une sensualité émane des manipulations manuelles comme de la chorégraphie des corps lors des affrontements physiques, sans réels contacts, entre les voleurs et les volés. Le magnifique montage de la séquence de la gare montre ainsi la dextérité des pickpockets qui se livrent à un vertigineux ballet, en frôlant leurs victimes et en se passant de mains en mains leur butin. La redondance de l’action, parfois décrite en même temps par l’écriture, la voix off et l’image, associée aux répétitions des gestes, concourt à illustrer le tourbillon incessant et l’impasse dans lesquels Michel s’enferre.

Dans les années cinquante, Robert Bresson renonce à engager des acteurs professionnels, qui détournent, selon lui, la vérité en la dramatisant, pour choisir des comédiens vierges de toute expérience cinématographique, qu’il nomme « modèles ». En tournant de nombreuses prises, et en ne leur donnant pas d’indications de jeu, il réussit à filmer la tension intérieure des personnages afin d’approcher la réalité ontologique. Les visages inexpressifs, ainsi que l’intonation atone des voix, contribuent à créer un automatisme non naturaliste, qui valorise les gestes et les regards. Il trouve ainsi le ton de la vérité en vidant les acteurs de toute pensée propre et de toute velléité d’interprétation. Cette neutralité, tendant à l’universalité, laisse pénétrer le spectateur au cœur de l’œuvre en devenir tout en lui permettant de se l’approprier. Il faut que « tout soit bien dedans, que rien ne s’échappe » car un film doit, selon le cinéaste, « être quelque chose en perpétuelle naissance. »

Pickpocket, sorti la même année que Les 400 coups de François Truffaut, a influencé les cinéastes de la Nouvelle Vague. Dans une scène d’Eloge de l’amour (2001), où des spectateurs attendent à l’entrée d’un cinéma, Jean-Luc Godard lui rend hommage. A proximité de l’affiche du Pickpocket, placée malicieusement à côté de celle de Matrix comme un raccourci affligé de l’exploitation commerciale du cinéma, un prestidigitateur exécute un numéro de magie tandis qu’un homme essaie de se remémorer la dernière phrase prononcée par Michel. Robert Bresson, dans cette œuvre, que Jean-Luc Godard qualifiait à l’époque d’accomplissement, fait preuve de toute sa maîtrise, et assoit définitivement son écriture cinématographique. Ces deux cinéastes ont en commun le soin apporté à la bande son, auquel ils accordent autant d’importance qu’à l’image. De manière très différente, ils entremêlent les sons tout en s’intéressant à la musicalité et au phrasé de la langue, ainsi qu’aux intonations des voix et aux bruits de la vie quotidienne. La musique de Jean-Baptiste Lulli, dans le film de Bresson, n’intervenant qu’à quelques moments clés de l’histoire, et durant les génériques.

Comme souvent les suppléments proposés par Mk2 sont très complets. Outre la bande annonce, et un extrait d’une interview très convenue du réalisateur menée par François Chalais et France Roche, il y a l’édifiant documentaire tourné en 2003 par Babette Mangolte. Les Modèles de Pickpocket part à la recherche des trois principaux interprètes du film et prouve qu’il n’y a pas d’acteurs bressoniens, mais que le cinéaste a réussi à façonner des modèles conformément à ses exigences. La rencontre avec Martin La Salle, qui vit désormais au Mexique, est étonnante de ce point de vue, car on mesure combien Michel se trouve aux antipodes de la réelle personnalité du comédien. Les interlocuteurs avec lucidité, recul et nostalgie parlent également du tournage, et de leur respect pour Robert Bresson. On retrouve Marika Green en compagnie des deux cinéastes, Paul Vecchiali et Jean-Pierre Améris, lors d’une rencontre autour du film, à la Cinémathèque en 2000, et un extrait d’un numéro de pickpocket par le prestidigitateur Kassagi, diffusé en 1962 dans La Piste aux étoiles, figure aussi au menu des bonus.



Corinne Garnier
( Mis en ligne le 04/04/2005 )
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