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Poésie et témoignage
avec Boris Barnet, Vera Maretskaïa, Vladimir Fogel, Elena Tiapkina, Sergueï Komarov
Bach Films - Les Chefs-d'oeuvre du cinéma russe 2006 /  7  € - 45.85 ffr.
Durée film 68 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : 1928, Russie

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3 (Noir & Blanc)
Format audio : Muet
Sous-titres : Cartons en français

Bonus :
- La Sonate à Kreutzer de Vladimir Gardie (1914), d'après une nouvelle de Léon - Tolstoï
- A propos du film
- Filmographie

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.

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«Eisenstein, Dovjenko, Poudovkine… si tous ces cinéastes sont parvenus de leur vivant jusqu’à nous, qu’en est-il de Savtchenko, Raïzman, Matcheret, Khoutsiev, Ermler, Choukchine et autres ? Si, sous l’effet de la terrible phrase d’un Staline grand amateur de cinéma ("Le cinéma est le plus efficace outil pour l’agitation des masses. Notre seul problème, c’est de savoir tenir cet outil bien en main", 1924), le "ciné-monde soviétique" s’est longtemps réduit à quelques noms "autorisés" pour la critique de cinéma, quelle tâche incombe aujourd’hui à cette dernière ?», écrivait justement Axelle Ropert en mars 2003 dans Un continent enfoui : à la recherche du cinéma soviétique.

Boris Barnet – mentionné par Ropert - est un génie oublié du cinéma soviétique. Mais aussi du cinéma mondial, car – on l’oublie trop – l’URSS a été à ses débuts le lieu d’une expérience modernisatrice stupéfiante, qui fascina le monde occidental, et ce fut évident notamment dans le domaine esthétique, offrant à des artistes de génie l’occasion d’exprimer leur imaginaire, leur ingéniosité technique et leur sens dramatique. Et ce avec le soutien d’un Etat nouveau conscient des possibilités de l’accélération technique et soucieux de faire du socialisme réel une expérience socio-technique de déploiement des forces créatrices de l’humanité. Et Boris Barnet fait partie de ces cinéastes russes de l’époque soviétique qui contribuèrent à inventer le cinéma comme 7ème art.

Il n’échappa bien sûr aux conditions de l’industrie commerciale naissante que pour subir la pression politique du régime, et ses films sont marqués par un discours idéologique évidemment conforme à la ligne officielle de l’Etat. Ainsi La Maison de la Rue Troubnaïa (1928) porte-t-il la marque du tournant anti-NEP du régime : les espaces contrôlés de capitalisme limité autorisés tactiquement par Lénine en 1921, après le cruel « communisme de guerre » civile, sont dénoncés comme des lieux d’exploitation et la résistance syndicale, la conscience collective et l’organisation dans le cadre des soviets sont en revanche exaltés. Aussi peut-on voir ce film comme un véhicule de la propagande de l’époque. Cependant l’équipe stalinienne – représentée seulement par le portrait de Kalinine lors des élections au soviet de Moscou - ne contrôle pas encore complètement l’appareil. Et par-delà les figures obligées, Barnet arrive à faire un film profondément humain, un témoignage d’ethnographie et de psychologie sociales, mais aussi une œuvre de poésie humaniste qui dépasse largement ses connotations de propagande.

Le film, muet bien entendu, est accompagné dans cette version contemporaine de musique baroque italienne (célèbres concerti grossi de Corelli et Vivaldi). Choix étonnant car on attendrait une alternance de musique populaire, de romantisme lyrique et d’esthétique moderniste russes pour illustrer les diverses facettes de la vie soviétique des années 20. Mais l’étonnement initial cède la place rapidement à une sorte d’évidence : rendant justice au dynamisme et à l’émotion, la musique baroque italienne s’allie mieux que prévu à l’histoire et aux images, souligne les héritages théâtraux et picturaux - comiques et tragiques - classiques et aide le spectateur à se détacher d’une optique historiciste (un film « soviétique », politisé, à valeur documentaire, etc.) pour voir une œuvre d’art magnifique appartenant à la grande tradition « intemporelle » de l’humanisme moraliste, dans le droit fil de Molière, de la Comedia dell’arte ou des romans d’initiation.

Parania, jeune paysanne illettrée, quitte son district rural par le train pour retrouver son oncle Fédor à Moscou, à la demande de sa mère. En vain, car l’oncle descend du train de Moscou, alors que notre Candide agite son mouchoir et s’éloigne dans l’autre sens ! Echouant dans la grande ville, où elle n’arrive pas à s’orienter, elle finit par rencontrer un compatriote chauffeur qui la conduit dans son immeuble très mal tenu de la rue Troubnaïa. Obligée comme Bécassine de trouver du travail, elle est embauchée par un couple de petits-bourgeois arrogants, un coiffeur et son odieuse épouse, qui cherchent une domestique corvéable à merci à exploiter. Parania fait l’affaire : elle arrive de la campagne et n’est pas syndiquée ! heureusement Fénia, la responsable syndicale, la remarque, sympathise avec elle et l’inscrit de sa propre maternelle autorité ! Et l’invite au club pour un spectacle sur… la prise de la Bastille.

Abusant de son pouvoir, le coiffeur refuse de l’y laisser partir, en invoquant de nouvelles corvées puis la surveillance du foyer. La troupe du club découvre cependant un peu tard qu’elle a besoin de perruques et se rend chez le coiffeur, qui ne se presse pas de rendre service à l’art et à l’éducation du peuple, mais finit par apporter le matériel avec l’aide de Parania, qui se retrouve dans le public. Sur ces entrefaits, l’acteur professionnel qui devait jouer le général royaliste arrive saoul et on prie le coiffeur de jouer le rôle au pied levé avec l’aide du souffleur. Découvrant le théâtre et prise par l’action et l’émotion de la scène, Parania se jette sur lui et le bastonne quand il feint de tuer traîtreusement un héros révolutionnaire. La pauvre « Paracha » suscite l’hilarité du public citadin mais se fait renvoyer sans préavis. Errante, elle est recueillie par Fénia qui la mène aux élections du soviet dans un grand défilé à banderoles. Or le soviet élit la camarade Parania Pitounova membre du soviet pour les femmes de ménage. Rue Troubnaïa, c’est la surprise, l’affolement des habitants d’esprit bourgeois à l’égard de la vaut-rien méprisée : les anciens riches préparent une fête gourmande pour l’accueillir et la mettre dans leur poche, mais … Laissons au spectacteur quelques surprises.

Le film est merveilleux : mêlant réalisme poétique et expressionnisme, il est d’une beauté constante d’image, d’une virtuosité de montage et d’une vivacité dramatique éblouissantes. On est sans cesse pris à contre-pied, surpris, amusé, étonné par la succession, les changements de rythmes, les juxtapositions expressives, le jeu des contrastes et des métaphores, tout un langage d’une clarté limpide et immédiate dont Barnet est maître. Et puis quelle émotion devant la peinture de la vie de Moscou, quelle leçon sur cette époque de transition où cohabitent le moderne et le traditionnel paysan sur le plan technique, le nouveau et l’ancien régime sur le plan social et politique!

Dans la collection, il faut absolument voir le film parlant de Barnet : Okraïna (1933). Un cinéaste à redécouvrir. En bonus, on découvrira un film russe : La Sonate à Kreutzer (1914) de Gardine, tiré de la nouvelle de Tolstoï.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 16/11/2006 )
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