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Koji dans tous ses états
avec Kiyoshi Kurosawa, Koji Yakusho, Hidetoshi Nishijima
Arte Vidéo 2007 /  24.99  € - 163.68 ffr.
Durée DVD 239 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : Japon, 1998/2002
Sortie DVD : Novembre 2007

Version : 2 DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL
Format image : Couleurs, 16/9 compatible 4/3
Format audio : Japonais, Dolby Digital 2.0
Sous-titres : Français

DVD 1
Doppelgänger (2002, Japon)

DVD 2
License to live (1998, Japon)
Bonus : Les fantômes de Kiyoshi (2ème partie, entretien de 14 min 30)

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Il en est de Kiyoshi Kurosawa comme d’autres cinéastes lointains mais talentueux : inconnus du public occidental pendant longtemps, ils sont encensés lors de leur découverte, mais leur œuvre connaissant ensuite une distribution en salles trop aléatoire, ils ne gardent qu’une partie de leurs supporters. Heureusement, les sorties en DVD servent parfois de piqûres de rappel. Saluons l’initiative d’Arte Vidéo, qui édite deux coffrets comprenant chacun deux films du «petit Kurosaw », comme ses confrères japonais l’ont malicieusement surnommé : un duo «Loft (2005, sorti en janvier 2007) + Door 3 (1996, inédit en salles)» et un autre «Doppelgänger (2002, inédit) + License to live (1998, sorti en février 2000)».

Intéressons-nous de plus près au deuxième coffret, qui offre une belle occasion d’observer Koji Yakusho, l’acteur fétiche de Kurosawa, démontrer l’étendue de son talent, particulièrement dans le turbulent Doppelgänger, tourné peu après le magistral Kaïro où de malheureux fantômes circulaient dans les réseaux informatiques et contaminaient les vivants. Ici aussi, il est au départ question de technologie. Michio Hayasaki, un chercheur surdoué, a l’ambitieux projet de construire un «corps humain artificiel», un fauteuil roulant muni de bras mécanisés et entièrement pilotable par la pensée. Pressé par ses supérieurs d’obtenir des résultats, il est à bout de nerfs et croit même avoir des hallucinations lorsqu’il croise son «doppelgänger», un sosie qui surgit sans crier gare. Mais cet étrange double semble bientôt absolument réel et se met en tête d’aider Hayasaki dans ses travaux…

«Il me semble que tout être humain est porteur de multiples personnalités. C’est cette complexité-là que j’ai envie de filmer. Le fait que je choisisse de traiter cette thématique me permet peut-être d’affirmer ou de vérifier le caractère double de ma propre personnalité.» Cette déclaration de Kiyoshi Kurosawa, dans l’entretien en bonus DVD (très intéressant mais franchement trop court, puisque sa première partie se trouve sur l’autre coffret !), a le mérite d’être claire : Doppelgänger est une sorte d’exercice d’introspection, le «double rôle principal» revenant bien sûr à un Koji Yakusho en grande forme, parfaitement crédible d’une part en savant orgueilleux, renfermé et stressé, d’autre part en trublion moqueur, déjanté et sans états d’âme, à la fois haï et envié par le chercheur. Car loin d’être un double maléfique caricatural, le doppelgänger représente son côté sauvage et fonceur, celui qu’il rêve souvent d’être sans jamais oser franchir le pas. Une aide précieuse dans la passe difficile qu’il traverse, car ce double se charge des basses besognes à sa place et lui permet de se concentrer pleinement sur son invention. Mais cet étonnant dédoublement peut-il perdurer après la crise ?

En pleine forme lui aussi, Kurosawa s’amuse avec les images : il les fractionne, les dédouble et les rétrécit pour suggérer l’état schizophrénique du personnage, multiplie les situations où le spectateur se demande à quel Koji Yakusho il a affaire, utilise constamment le hors-champ… Il brouille aussi les frontières entre les genres : commençant dans une ambiance inquiétante rappelant Kaïro (fond sonore lugubre, vent dans les rideaux), le film se transforme en drame psychologique et technologique, en thriller décalé et parfois horrifique, puis en une sorte de road movie délirant… Un mélange qui peut sembler excessif et brouillon, mais qui reflète assez bien le message du réalisateur, nettement plus optimiste ici que dans la plupart de ses films. Il affiche en effet une confiance certaine en l’homme : «Je crois qu’au cours d’une vie, il est possible de réaliser qu’on a changé et de prendre un nouveau départ. Pour moi, c’est là que réside l’intérêt de la vie : ne pas se contenter d’un chemin, en emprunter plusieurs.» Les chemins mouvementés de Doppelgänger méritent en tout cas le détour, même si certains virages font un peu mal au cœur…

Beaucoup plus calme, License to live dévoile une autre facette de Kiyoshi Kurosawa, plus sombre et méditative. Le film débute au moment où Yutaka Yoshii, un jeune homme de 24 ans, se réveille à l’hôpital après un coma d’une décennie. Miraculeusement épargné par les habituelles séquelles neurologiques et motrices, il est pris en charge par Fujimori, un vieil ami de son père. Mais le monde qu’il a connu en tant qu’adolescent n’existe plus : la maison familiale est devenue une pisciculture tenue par Fujimori ; son père, sa mère et sa sœur vivent séparément. Privé de repères, Yutaka va essayer de reconstituer cet univers perdu.

La situation du héros est particulièrement délicate : c’est un adulte qui n’a pas connu la majeure partie des problèmes de l’adolescence, et qui est censé se prendre en charge alors qu’il n’a jamais dû se soucier de l’avenir et que les rapports entre les gens ont complètement changé. Autant dire qu’il est comme parachuté sur une autre planète… D’où la sensation d’étrangeté totale qui imprègne le film et le jeu apathique et traînant de l’acteur principal (Hidetoshi Nishijima, d’une grande justesse) qui semble hébété, dépassé, parfois au bord de l’évanouissement, mais qui pique aussi des crises de rébellion comme un adolescent «standard». Quand ils le revoient, les gens ne savent pas trop de quelle façon réagir, comme s’il était soudain devenu un spectre faisant ressurgir une époque qu’ils aimeraient oublier : «Je ne voulais pas te revoir. Normalement, tu aurais dû rester dans le coma», lui crie celui qui l’a percuté en voiture dix ans auparavant. Ses proches semblent avoir du mal à le reconnaître et son père ne veut pas assumer ses responsabilités, déclenchant la colère de l’anticonformiste Fujimori (Koji Yakusho, dans un second rôle mystérieux et peu loquace, mais nuancé et finalement important, puisqu’il devient presque un père de substitution pour Yutaka).

Pour faire ressentir l’étrangeté de la situation et les relations distendues, presque abstraites, entre les personnages, Kurosawa a opté pour une structure narrative éclatée, où les événements se succèdent sans liens logiques évidents. «Je n’ai construit qu’une suite de faits possibles autour du protagoniste. Chaque fait a le même poids, la même valeur. Il n’y a donc pas de hiérarchie entre les événements. L’imprévisibilité des événements qui se succèdent ainsi vient d’abord de ma conception du monde», a expliqué le réalisateur (1). Il crée ainsi une ambiance atemporelle, sans rythme narratif bien défini, qui peut plonger le spectateur dans une sorte de torpeur… ou d’ennui, selon ses dispositions mentales au moment du visionnage. License to live est une œuvre ambitieuse, mais fragile et déstabilisante, qui tente d’illustrer les notions de mémoire et d’oubli, de nostalgie de la jeunesse, de confusion entre la vie et l’illusion. Le défi est au moins en partie relevé, ce qui suffit à nous rappeler le talent de ce «doyen des jeunes cinéastes japonais», comme il s’est lui-même surnommé.


(1) Entretien réalisé par Thierry Jousse en décembre 1998, Cahiers du Cinéma n°540 (novembre 1999)


Ludovic Ligot
( Mis en ligne le 07/12/2007 )
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