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Miracle en Bohème
avec Jirí Menzel, Vaclav Neckar, Jitka Bendova, Josef Somr
Malavida 2008 /  24  € - 157.2 ffr.
Durée film 92 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : Tchécoslovaquie, 1966
Sortie DVD : 10 Décembre 2008
Titre original : Ostre sledované vlaky

< b>Version : DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL, format 1.33
Format image : N&B, 4/3
Format audio : Tchèque mono
Sous-titres : Français


Bonus :
-L’analyse de Romain Le Vern (12 min.)

Livret, avec les textes :
- le miracle du renouveau de Galina Kopanenova
- la cinematographie tchèque, littérature et cinéma de Zdena Skapova

Oscar du Meilleur film étranger 1966

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Si un film devait représenter l'esprit du cinéma tchèque des années soixante (au moins de cette période-là), ce serait Trains étroitement surveillés, premier et formidable film de Jiri Menzel, qui remporta un succès international et obtint l'oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1966. On pourrait aussi mentionner pour ne pas commettre d'impairs et/ou résumer le cinéma tchèque et slovaque à un seul et unique film, Les Amours d'une blonde et Au feu les pompiers ! de Milos Forman tant ils participent du même esprit où se côtoient dans un agencement souvent très serré, la simplicité de ton, l'ironie, l'humour, le goût des détails concrets et le tragique. Ce film est un chef d'oeuvre d'élégance, de finesse et de sensibilité. Un miracle.

Dès le début, le ton est donné. Milos est un jeune homme d'une vingtaine d'années (interprété par le remarquable Vaclav Neckar au visage lunaire si particulier, que l'on retrouvera d'ailleurs dans un autre film de Jiri Menzel, Alouette, le fil à la patte, en 1969, lui aussi tiré d'un livre de Bohumil Hrabal : Vends maison où je ne veux plus vivre) ; il est fier de débuter dans une petite gare. En enfilant chez lui son bel uniforme d'apprenti cheminot, il se rappelle les "glorieuses" destinées de son grand-père mort écrasé par un char allemand après avoir voulu hypnotiser celui-ci, et de son père, qui, mis à la retraite plus tôt que prévu, reste allongé toute la journée dans son canapé à savourer le temps qui passe, montre en main !

Voilà donc notre Milos parti sur le chemin complexe et absurde qu'est l'existence. Il faut tout de même dire qu'il n'est guère armé pour affronter cette vie semée de pièges et d'embûches. Certes, cela, il ne le sait pas encore. Il va l'apprendre à ses dépens, comme tout un chacun. Tout fier et sympathique qu'il soit, il n'en est pas moins un personnage maladroit, immature et naïf. Nulle complaisance ici dans cette caractérisation du personnage mais une manière bien particulière d'opérer une distance ironique et sceptique vis-à-vis de l'image idyllique et mensongère, faite d'héroïsme, de bons sentiments, de puissance, et d'arrogance que l'homme peut se composer de lui-même et de l'humanité en générale. Une distance essentielle car elle empêche de tomber dans un dramatisme racoleur, un sentimentalisme larmoyant, toujours prêts à tournebouler les têtes, à provoquer une indignation facile et à susciter une tentation lyrique vengeresse, toujours suspectée d'ensanglanter l'histoire. Ici donc, pas de héros, ou d'anti-héros, mais des êtres humains, simplement, avec leurs faiblesses et leurs qualités, et dont on est toujours prêt à se moquer gentiment.

Cette reconnaissance implicite et sans complaisance de la faiblesse et de l'inexpérience consubstantielle à l'existence humaine face à la complexité et l'absurdité de la vie est pour tout dire assez représentative du cinéma tchèque et slovaque en général (voire parfois même de l'Europe centrale), un cinéma qui n'a cessé de travailler ce thème. A cet égard, on peut trouver des raisons historiques à une telle attitude. Il faut avoir en tête que la Tchécoslovaquie, ce tout petit pays, a été, tout au long de son histoire, soumise et écrasée par les nations environnantes et que la seule résistance qu'elle ait pu développer avec "brio"... fut l'humour. On se souviendra par exemple qu'en 1968, au moment du printemps de Prague, des tchèques eurent l'idée aussi géniale que dérisoire de barbouiller les plaques des rues ou de les intercaler avec d'autres, afin de perdre les chars soviétiques dans la capitale. Quoi de plus étonnant quand on a comme "emblème" national le soldat Chveik, personnage du célèbre roman de Jaroslav Hasek, qui conte les tribulations d'un homme maladroit, symbolisant la résistance à la bureaucratie et à l'oppression, homme idiot ou suprêmement intelligent, buveur et bouffon, feignant la docilité et la soumission jusqu'à l'extrême.

Milos, notre apprenti cheminot naïf, entreprend donc la route chaotique de l'existence. Trains étroitement surveillés se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale après que les nazis ont envahi la Tchécoslovaquie et que le sabotage d'un train de munitions allemand a agité toute la gare dans laquelle Milos vient d'être engagé. Il va donc faire la connaissance des différents individus qui travaillent dans cette gare, notamment Hubicka, un drôle et irrésistible Don Juan, et le chef de gare, gros homme, râleur impénitent, prêt à se soumettre à n'importe quelle autorité, puritain et lubrique à la fois, bien sûr jaloux comme pas un de son subalterne libertin. Milos va tomber rapidement amoureux d'une jeune et jolie fille, mais malheur pour lui, il rate sa première nuit d'amour où, comme il le dit lui-même, il s'est fané comme un lys. Le médecin sera plus cru : éjaculation précoce. Prenant cette banalité au tragique, il trouve refuge dans un hôtel et là, va se suicider avant d'être sauvé in extremis par un ouvrier. Raté encore ! Tourmenté par son échec sexuel, il demande naïvement conseil, tente de trouver une femme complaisante pour effacer son premier et lamentable essai et ne reçoit bien sûr que des silences gênés et des regards embarrassés.

Et pendant ce temps, la vie de la petite gare suit son quotidien, sous le froid, avec la visite d'un commandant SS, les frasques nocturnes et érotiques de Hubicka (il déchire au passage le canapé) qui, au matin, sifflote, ravi, sur le quai ensoleillée et sous l'oeil aigre du chef de gare qui ne pestera que mieux pendant toute la journée contre les moeurs dissolues de l'époque.

Menzel se régale avec ce petit monde, le croquant dans une mise en scène délicate et sobre, et un superbe noir et blanc. Le film possède un charme sans égal. Rien ne prépare la fin tragique, encore moins cette hilarante scène où une nuit, Hubicka parvient à apposer le tampon de la gare sur la fesse dodue d'une charmante employée, provoquant le lendemain les réactions indignées de la mère. Un semblant de procès a lieu sous la haute présidence du commandant SS mais la déconvenue sera grande quand la jeune employée avouera, un splendide sourire aux lèvres, que cela ne fut pas désagréable du tout.

Et Milos, notre naïf cheminot qui s'est fané comme un lys ? Toujours à tenter de résoudre son lamentable mais banal échec sexuel ; c'est donc pour prouver en quelque sorte sa virilité, que, à défaut, cruelle ironie, il accepte de jeter la bombe qui fera sauter le train de munitions allemand. En échange, Hubicka lui trouva une femme expérimentée, qui réussira à en faire un homme. Et galvanisé, naïvement étourdi par cette conquête érotique arrangée, Milos lancera l'explosif sur le train au péril de sa vie. La séquence finale est tout à fait remarquable par la sobriété de ton.

Menzel est loin de faire dans la surenchère pathétique et au contraire s'amuse à jouer de deux événements radicalement différents. N'en disons pas plus. Retenons que ce grand film met en scène un personnage sympathique et naïf, faisant des pas hésitants et maladroits sur le chemin absurde de l'existence, aux côtés de la marche implacable, droite et raide de l'Histoire. Un chef d'oeuvre à ne manquer sous aucun prétexte.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 17/12/2008 )
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