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Du Dahlia noir au Gardénia bleu avec Fritz Lang, Anne Baxter, Richard Conte, Raymond Burr Films sans frontières 2006 / 15 € - 98.25 ffr. Durée film 90 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : Etats-Unis, 1952
Sortie DVD : Décembre 2006
Titre original : The Blue Gardenia
Version : DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL, format 1.33
Format image : N&B, 4/3
Format audio : Anglais mono
Sous-titres : Français
Bonus :
Aucuns
L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez LHarmattan, de La Quête de laltérité dans luvre cinématographique dIngmar Bergman Le cinéma entre immanence et transcendance (2001). Imprimer
Les uvres mineures dun grand auteur sont-elles de simples esquisses quil faut sempresser doublier ? Lorsquil sagit de Fritz Lang (1890-1976), la «minorité» est toute relative, et ses films de genre les moins connus révèlent souvent toute la mesure de son art à lintérieur des contraintes très oppressantes du système hollywoodien. Ces créations plus discrètes témoignent néanmoins dune vision personnelle et déclinent les obsessions fondamentales de lunivers langien. La Femme au gardénia (The Blue Gardenia, 1952) incarne à merveille cette catégorie duvres injustement méconnues.
Standardiste à Los Angeles, Norah Larkin (Anne Baxter) accepte, à la suite dune déception amoureuse, linvitation de Harry Preble (Raymond Burr), un portraitiste coureur de jupons. Après une soirée dans une boîte de nuit à la mode, le «Gardénia Bleu», Prebble tente de violer la jeune femme dans son appartement. Elle le frappe avec un tisonnier et rentre chez elle. Le lendemain, elle apprend que son agresseur est mort et que la police recherche la mystérieuse «femme au gardénia». Ne se souvenant plus de ce qui sest passé, elle décide daccepter laide du journaliste Casey Mayo (Richard Conte). Qui est vraiment coupable ?
Alors que le maccarthysme sévit dans le monde du cinéma, La Femme au gardénia marque le retour de Fritz Lang à la mise en scène, après treize mois dinactivité forcée. Considéré comme un «compagnon de route» possible du communisme, en raison de ses rapports avec Brecht, Ernst Toller, Hanns Eisler, Ring Lardner, Jr et Albert Maltz, le réalisateur fut éloigné quelque temps des studios. Cest le producteur Alex Gottlieb qui donna une chance à Lang qui accepta de travailler sur ce projet sans enthousiasme. Le producteur souhaitait exploiter le choc de laffaire criminelle du Black Dahlia (transposée dans un roman par James Ellroy en 1987, récit lui-même adapté à lécran par Brian de Palma dans le somptueux Dahlia noir en 2006) : le titre du film vient de ce fait divers. Malgré ses réticences devant le scénario et une durée de tournage très courte (20 jours !), Lang réalise un mélodrame qui tire sa richesse de lobservation fine du milieu et du désenchantement diffus qui caractérise la plupart des personnages.
Laction souvre dans un standard téléphonique où ne travaillent que des jeunes femmes : comme le souligne Lotte H. Eisner, «on a limpression dun harem» (Fritz Lang, p.377). Deux hommes sont présents et se comportent comme des séducteurs invétérés : le journaliste Casey Mayo et son photographe Harry Prebble. Mais la tonalité humoristique et badine de cette ouverture est brutalement interrompue par lappel téléphonique que Prebble reçoit dune ancienne maîtresse, Rose, qui lui fait des reproches et le supplie.
On passe ensuite à lappartement des trois jeunes employées. Leur vie à trois, dans un lieu exigu, est présentée avec humour mais non sans désillusion et dans des cadrages étonnamment divers : Crystal, cynique et blasée, sort avec son ancien mari ; Sally est une femme-enfant qui vit dans le monde des romans policiers ; enfin, Norah est la belle romantique. Cette dernière fête son anniversaire aux bougies, attablée en face de la photographie de son fiancé parti en Corée : après une première allusion dans le standard téléphonique, Lang tient à situer lhistoire dans le contexte dune Amérique en guerre. Et cest sur le fond de ce rappel historique que la catastrophe sabat sur Norah : son fiancé lui a envoyé une lettre de rupture. Dès lors, le mélodrame sassombrit et la trajectoire de la jeune fille est filmée comme le déploiement dun implacable destin.
Effondrée de désespoir, elle répond au téléphone et accepte linvitation à dîner de Harry Plebble. Lune des grandes réussites de Lang est sa création de latmosphère grisante du Blue Gardenia : lexotisme artificiel, la chanson de Nat «King» Cole, le miroir au-dessus du piano, les cocktails Polynesian Pearl Divers. Livresse conduit les deux personnages dans lappartement de Plebble dont linquiétante étrangeté vient du décor : le salon est rempli de plantes tropicales et les éclairages indirects projettent des ombres sur le plafond. Alors que Norah sendort en écoutant le disque The Blue Gardenia, le spectateur, moins insouciant, commence à ressentir une certaine tension. Réveillée par Harry qui lembrasse, elle ne sait plus où elle est et le prend pour son fiancé : «Pourquoi as-tu écrit cette lettre ?», demande-t-elle. La tragédie se produit lorsquelle comprend son erreur et se débat : une lampe tombe, les silhouettes des protagonistes apparaissent sur le fond des ombres des plantes. Poussée contre la cheminée, elle prend le tisonnier et brise le miroir, avant de sécrouler à terre, inconsciente. Contrairement au script et pour ne pas désamorcer la tension, Lang a choisi de laisser Norah, comme le spectateur, dans lignorance : on ignore ce qui sest passé quand elle revient à elle comme dun cauchemar. Cette séquence, qui constitue lacmé du film, manifeste le choix esthétique du cinéaste et de son célèbre photographe Nicholas Musuraca, qui avait créé le style noir de la RKO. Lang a choisi dinfléchir ce style en réduisant les moments expressionnistes, ce qui les rend dautant plus saisissants. Ainsi, le meurtre de Prebble se reflète dans un miroir scène qui fait penser à celle de lassassinat vu dans le reflet des lunettes dans LInconnu du Nord-Express (1951) de Hitchcock. Ce thème du bris de la glace, lié à langoisse de la perte de la mémoire, est repris dans la séquence suivante, lorsque, en se levant, la voisine de Norah fait tomber un miroir de poche : celle-ci en est prise de vertige.
Toute la suite du film est focalisée sur langoisse du personnage dont la torture trouve sa source autant dans lamnésie que dans la peur dêtre arrêtée. Cette tension est entretenue par la présence obsédante des policiers comme dans La Femme au portrait (1944) où E. G. Robinson se heurtait incessamment à eux. La force dramatique de cette partie du film résulte du choix opéré par Lang de nous maintenir dans lignorance de la vérité au sujet du meurtre : de ce fait, compte tenu de lattitude de Norah (elle brûle sa robe, se dispute avec ses amies, fuit la police), nous finissons par la croire coupable. De son côté, Casey Mayo, qui promet à linconnue son aide en échange de son récit, nest pas animé de sentiments généreux : il nagit que par la volonté de «faire un coup» médiatique, tout en étant prêt à livrer la coupable. Son cynisme est confirmé par le fait quil doit partir assister à lexplosion dune bombe H. Le pessimisme radical de la représentation langienne de lhomme trouve ici lune de ses expressions les plus vives. Le désarroi et la paranoïa de Norah sont signifiés grâce à un travail singulier sur le montage visuel et sonore : comme tous les lecteurs, Norah parcourt la lettre du journal qui est lue par Casey, à qui elle croit pouvoir faire confiance. Mais le téléphone sonne aussitôt, et lex-mari de Crystal déclare pour plaisanter : «Je parle bien au Gardénia bleu ?». Effrayée, la jeune femme raccroche. Cette importance dramatique de la bande-son tout au long du film constitue lune des réussites de Lang. La musique est, de surcroît, à lorigine du dénouement heureux : Norah se souvient davoir entendu The Blue Gardenia ; mais Casey entend un thème de Wagner qui est celui-là même que la police avait retrouvé sur le tourne-disque de Prebble.
Lépilogue offre un happy-end tempéré par la tonalité sarcastique des derniers plans. Norah, libérée, accepte de se faire photographier pour les journaux. Elle se montre distante avec Mayo, non par rancur, mais parce que Crystal lui a recommandé de «se faire désirer». De son côté, Casey donne à son photographe le carnet où il notait les numéros des standardistes : on comprend quil nen a plus besoin. De la sorte, Lang évite une fin artificielle tout en respectant les exigences des studios. Norah nest plus la jeune femme romantique quelle incarnait au début du film : blessée par la vie, désormais, elle porte sur le monde un regard désabusé. En ce sens, La Femme au gardénia exprime, aux côtés des chefs-duvre langiens, la vision personnelle dun auteur.
Marqué par les mutations qui affectent lesthétique du film noir, dans les années 50, sous linfluence de la télévision images neutres et plates, et éclairages par le haut , ce mélodrame, qui intègre des moments expressionnistes fulgurants dans un style globalement réaliste, savère digne dune (re)découverte aussi bien du point de vue de la filmographie langienne que du point de vue de lévolution du cycle noir. Si lon peut regretter labsence de bonus de cette édition du Blue Gardenia, il convient de rendre hommage aux éditions Films Sans Frontières qui permettent de rappeler que Fritz Lang se montre «grand», même dans ses «petites» uvres.
Sylvain Roux ( Mis en ligne le 11/01/2007 ) Imprimer
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