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Bergmanien avec Yasujirô Ozu, Chishû Ryû, So Yamamura, Chikage Awashima Carlotta Films 2007 / 59.99 € - 392.93 ffr. Durée film 104 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : Japon, 1956
Sortie DVD : 06/02/2007
Titre original : Soshun
Version : 1 DVD 9, Zone 2 (sur 5 DVD au total)
Format vidéo : PAL, Format 1.37
Format image : Couleurs, 4/3
Format audio : Japonais mono
Sous-titres : Français
Bonus :
- Figures : Affiches et panneaux, documentaire
- Livret de 32 pages
Ce coffret contient également : Choeur de Tokyo - Une auberge à Tokyo - Eté précoce - Le Goût du riz au thé vert.
L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez LHarmattan, de La Quête de laltérité dans luvre cinématographique dIngmar Bergman Le cinéma entre immanence et transcendance (2001). Imprimer
La réception du cinéma de Yasuyiro Ozu (1903-1963) laisse transparaître un étrange paradoxe par ailleurs révélateur du statut que notre monde contemporain réserve de plus en plus aux grandes uvres. Les films, désormais classiques, du grand maître nippon sont assurément reconnus comme des chefs-duvre, mais nombre de spectateurs, même cinéphiles, tout en admirant la maîtrise du réalisateur, peinent à senthousiasmer : lennui, ici progéniture embarrassante du génie, naîtrait de luniformité caractéristique de lart ozuien. Cette posture schizophrénique, qui congédie la création exigeante et la fige dans une perfection mortifère, repose sur le postulat trop partagé selon lequel il nexiste «de plaisir que dans la facilité et la légèreté» imposture si bien mise au jour et dénoncée dans le domaine de la création cinématographique par Pascal Mérigeau dans son récent essai (Cinéma : Autopsie dun meurtre, Flammarion, 2007, p.26) . En réalité, pour que luvre puisse nous ouvrir, dans la joie la plus profonde, le regard sur le monde, il faut dabord consentir à contempler (et non consommer) sa beauté en franchissant, certes parfois avec difficulté, le seuil de son économie toujours singulière.
Dans la filmographie dOzu, Printemps précoce (Soshun, 1956) se présente comme un film dont la thématique très riche impose à la rigueur (et non à la rigidité) du formalisme ozuien une expression moins uniforme quà laccoutumée. De ce fait, cette réalisation qui, en raison de la variété de ses registres, ne manifeste pas la pureté artistique du Voyage à Tokyo, se distingue comme la plus appropriée pour aborder la poétique du cinéaste.
Shoji Sugiyama (Ryo Ikebe), jeune employé désabusé dans une usine de briques de Tokyo, a une aventure avec «Poisson rouge», une secrétaire qui fait partie de son groupe d'amis. Sa femme Masako (Chikage Awashima), se sépare alors de lui. Il accepte une mutation à Mitsuishi, un poste éloigné. Mais un jour, son épouse l'y rejoint et ils se réconcilient.
uvre de lultime période dOzu, Soshun est lavant dernier de ses films en noir et blanc et le plus long (144 min.) de ceux tournés après la guerre. Le sujet centré sur la vie dun employé las de la vie conjugale, qui entame une liaison avec une collègue et que sa femme retrouve finalement, est relativement banal. Mais, alors que cette histoire aurait pu faire lobjet dun traitement léger par tout autre réalisateur de sa génération, Ozu crée une uvre essentiellement sombre et portée par un profond sentiment de tristesse. Cette tonalité fondamentale clairement souhaitée par le maître nippon qui a déclaré : «Jai essayé déviter tout ce qui serait dramatique et de naccumuler que des scènes ordinaires de la vie quotidienne dans lespoir que le public ressentirait la tristesse de ce genre de vie.» recouvre une variété de registres elle-même liée à la diversité des thèmes abordés. Centré sur la vie monotone d'un couple en crise appartenant au milieu des salariés groupe social qu'Ozu n'avait plus mis en scène depuis la période de son cinéma muet , le film traite également du rapport entre les générations (en particulier des liens entre mère et fille), de l'amitié entre hommes (dans des scènes où le pathétique finit par l'emporter sur l'humour), de la séparation (finalement artificielle eu égard à la routine quotidienne) entre les employés et les artisans, de l'écart (lui aussi, en réalité, peu significatif) entre la vie dans la capitale (Tokyo) et l'existence dans une ville de province (Osaka).
Par sa thématique et sa tonalité, Printemps précoce rappelle lunivers des premiers films dIngmar Bergman. Le couple qui entre en crise, notamment après la mort dun enfant, traverse luvre bergmanienne. La maîtresse de Shoji, «Poisson rouge», apparaît comme une Monika asiatique dont le portrait tranche avec les personnages (féminins) de la filmographie dOzu : extravertie, elle exprime sa colère par des cris et des insultes, et elle nhésite pas à embrasser son amant ! Plus que le contenu, la structure du récit est proche des itinéraires intérieurs proposés par le maître suédois : un couple vacille, traverse la «vallée de larmes» et finit par se réconcilier. Seulement, les parcours des personnages ozuien et bergmanien nont pas le même sens. Alors que, comme dans Vers la Joie (1950) ou Jeux dEté (1951), la crise conditionne, quoique dans la douleur, une re-naissance du sujet, la matrice dramatique et esthétique dOzu sachève sur une réconciliation qui nautorise pas lespoir dun réel renouvellement. A lissue de sa trajectoire, Shoji connaît toujours la déception professionnelle, et le retour de sa femme à ses côtés porte en lui, moins un renouveau du couple, quun renoncement. Teinté de désespoir, le mouvement qui anime le personnage ozuien nest pas synonyme dévolution : la lassitude ne fait que prendre le visage de la résignation.
Cette tristesse des jours est rendue sensible au moyen dun dispositif cinématographique que Donald Richie a clairement identifié : «Plus précisément, il [Ozu] limite sa vision, afin de mieux voir (
) A lintérieur dun contexte qui obéit à la rigueur de ses propres lois, il détruit toute habitude et toute familiarité, afin de redonner à chaque mot, à chaque image, son urgence et sa primeur» (Préface de Ozu, Ed. Lettres du Blanc, 1980). Cest le formalisme poétique trop souvent réduit à une simple technique ascétique, alors que le cadrage et le montage, ici parfaitement maîtrisés, ressortissent avant dune vision du monde qui, en deçà de lintrigue, donne un caractère exceptionnel à la quotidienneté la plus banale. Dans Soshun, le dépouillement des plans, certes atténué par un relatif étoilement de la thématique, fait émerger la grisaille de lexistence avec une intensité dautant plus saisissante que le milieu social considéré est sensé être celui qui bénéficie du redressement économique de laprès-guerre. La retenue dun tel art permet de mettre à nu lhumanité, de la montrer totalement dépouillée : le personnage, libéré des exigences narratologiques et de toute contrainte socio-économique, «existe en soi» (Donald Richie, Idem) et révèle à la fois la beauté et la vulnérabilité de lêtre humain.
Quune uvre puisse nous donner accès à la complexité du monde est un fait admirable. Printemps précoce, non seulement explore le clair-obscur des êtres, mais expose la temporalité de notre être-au-monde, dont la stimmung fondamentale se nomme tristesse. Cest là une vérité douloureuse, mais en aucun cas ennuyeuse.
Fidèle à lesprit de ce second coffret édité par Carlotta Films, le DVD du film contient aussi, en bonus, un document (10 mn) qui propose un parcours original dans toute luvre du cinéaste à partir de motifs récurrents : Figures : Affiches et panneaux explore la topographie si particulière dOzu, et rappelle que son cinéma ne relève pas seulement dun art du temps, mais montre le monde (au sens où «L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible», comme l'affirmait Paul Klee) et le révèle comme lindissociable unité de lespace et du temps.
Sylvain Roux ( Mis en ligne le 23/03/2007 ) Imprimer
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