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L’Age de(s) raison(s)
avec Yasujirô Ozu, Tokihiko Okada, Tatsuo Saitô, Emiko Yagumo, Takeshi Sakamoto, Yoshiko Okada
Carlotta Films 2007 /  59.99  € - 392.93 ffr.
Durée film 137 mn.
Classification : Tous publics

Version : 1 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.37 (noir & blanc)
Format audio : Muet et Japonais (Dolby Digital 2.0 Mono)
Sous-titres : Français

J’ai été diplômé, mais… :
Avec : Minuro Takada, Kinuyo Tanaka, Kenji Oyama
Année de sortie : 1929
Durée : 12 mn
Titre original : Daigaku wa deta keredo
Genre : drame

Le Chœur de Tôkyô :
Avec : Tokihiko Okada, Emiko Yagumo, Hideo Sugawara, Tatsuo Saitô
Année de sortie : 1931
Durée : 90 mn
Titre original : Tôkyô no gassho
Genre : drame

Une Auberge à Tôkyô :
Avec : Takeshi Sakamoto, Yoshiko Okada
Année de sortie : 1935
Durée : 85 mn
Titre original : Tôkyô no yado
Genre : drame

Ce coffret contient également trois autres films du même réalisateur Printemps précoce, Été précoce, Le Goût du riz au thé vert, le documentaire J’ai vécu, mais… ainsi qu’un livret de 32 pages.

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Une lente progression vers la sobriété

En raison du choix des compagnies de production japonaises de présenter des films en costumes pour le parfum d’exotisme qu’elles exhalaient, les œuvres de Yasujirô Ozu, à l’instar de celles de Mikio Naruse, ont longtemps été absentes des festivals occidentaux. En 1971, Henri Langlois organisa une rétrospective du cinéma japonais à la Cinémathèque Française devançant ainsi de sept années la sortie en salles de Voyage à Tôkyô (1953). Ce premier film de Yasujirô Ozu à avoir été exploité en France, soit quinze ans après sa mort, devint à juste titre le plus célèbre du cinéaste et fut suivi dans la foulée par quatre autres dont le succès confirma l’engouement du public, jusqu’à présent jamais démenti, pour son œuvre. Avec Voyage à Tôkyô, Yasujirô Ozu a souhaité montrer « à travers l’évolution des parents et des enfants comment le système familial japonais commençait à se désintégrer ». Depuis Printemps tardif (1949), ce thème de la déliquescence du modèle familial traditionnel dans un monde en pleine mutation économique hante la plupart de ses films réalisés après-guerre et co-écrits avec son scénariste et ami, Kôgo Noda (1). Le style de Yasujirô Ozu, certains critiques parlent même d’« anti-style », s’affirme dès lors afin de capter l’essence même des choses. Dans ces peintures douce-amères de chroniques familiales, le réalisateur renonce aux effets techniques et laisse la caméra fixe posée à la hauteur d’une personne assise sur un tatami, ne s’autorisant que de rares mouvements de caméra.

A contrario, durant la période du muet, largement encore méconnue en France - du Sabre de la pénitence (1927) à Une Auberge à Tôkyô (1935) - ,Yasujirô Ozu utilise avec propension toute la syntaxe cinématographique à laquelle il renoncera peu à peu jusqu’au dépouillement. Loin de l'image du plus « japonais des cinéastes » qu’on lui a souvent attribué en Occident, cette période témoigne de l’influence sur son travail du cinéma américain de John Ford, King Vidor et surtout Ernst Lubitsch avec lequel le réalisateur japonais partage un humour caustique. Contrairement à sa période d’après-guerre, il abordera également divers genres : la comédie burlesque - Combats amicaux à la japonaise (1929), L’Esprit vengeur d’Eros (1930) – le drame social - J’ai été diplômé, mais… (1929), Le Chœur de Tôkyô (1931), Une Auberge à Tôkyô – le film de Yakusa - Femmes et voyous (1933) – le mélodrame - Cœur capricieux (1933). Beaucoup de films de cette époque furent détruits ou perdus par des producteurs peu scrupuleux et des catastrophes naturelles (dont la plus importante fut le tremblement de terre du Kantô qui, en 1923, ravagea Tôkyô). Sur les 54 réalisations de Yasujirô Ozu, seule la moitié des 35 films muets a pu être conservée.

Le DVD de Voyage à Tôkyô ainsi qu’un premier coffret comprenant six longs métrages (Où sont les rêves de jeunesse (1932) ; Une femme de Tôkyô (1933) ; Histoires d'herbes flottantes (1934) ; Récit d'un propriétaire (1947) ; Printemps tardif (1949) et Crépuscule à Tôkyô de 1959) ont déjà été édités par Carlotta Films. A l’instar du précédant, ce deuxième coffret de la maison présente plusieurs facettes de l’œuvre du cinéaste : des drames mettant en scène les conflits générationnels dans des familles des années cinquante (Eté précoce (1951) ; Le goût du riz au thé vert (1952) et Printemps précoce (1956) et des comédies dramatiques datant du muet J’ai été diplômé, mais… (1929), Le Chœur de Tôkyô (1931) et Une Auberge à Tôkyô (1935).


Chroniques de gens ordinaires

La phrase « je ne trouve pas d’emploi correspondant à mes diplômes » pourrait venir compléter idéalement le titre de J’ai été diplômé, mais… pour résumer le synopsis de ce film dont il ne subsiste malheureusement que douze minutes. Un jeune homme, Tetsuo Noda – affublé du nom du scénariste et ami de Yasujirô Ozu -, vient d’achever ses études à l’université mais refuse d’accepter les emplois subalternes qu’on lui propose. Dépité et orgueilleux, il feint devant sa mère d’avoir trouver un bon travail et poursuit ses recherches d’une manière quelque peu dilettante (dans son appartement l’affiche du film Speedy (1927) d’Harold Lloyd vient malicieusement contrebalancer cette nonchalance). Finalement, le héros apprendra l’humilité et mettra un terme à cette situation lorsqu’il découvrira fortuitement le sacrifice consenti par sa femme. Malgré un montage elliptique, dû à la perte de la majeure partie du film, l’histoire reste cependant compréhensible et résonne d’une manière étonnamment contemporaine en relatant les difficultés que rencontrent beaucoup de jeunes diplômés. J’ai été recalé, mais…, réalisé par Yasujirô Ozu un an plus tard, met aussi en scène les problèmes des étudiants issus des classes moyennes pour s’insérer dans la vie professionnelle sur fond de crise économique aggravée par le krach boursier de 1929.

En pleine récession économique, la précarité des modestes employés de bureaux, une catégorie sociale qui se développe dans un Japon en voie de modernisation et d'urbanisation, est évoquée dans les « gendaigeki shoshimin » (« films des petit-bourgeois »). Genre dont Yasujirô Ozu s’empare pour dresser le portrait d’un "salaryman" dans Le Chœur de Tôkyô sur une idée originale de Komatsu Kitamura et Kôgo Noda, lequel signe également le scénario. Présenté dans sa version muette d’origine sans accompagnement musical, à l’époque le film était accompagné des commentaires d’un benshi (2), Le Chœur de Tôkyô commence comme une comédie potache avec une scène où des cancres tournent en dérision l’autorité du vieux professeur de gymnastique du lycée (Tatsuo Saitô). Après une ellipse temporelle de plusieurs années, on retrouve l’un de ces lycéens (Tokihiko Okada) employé d'une compagnie d'assurances le jour où de son congédiement pour avoir protester contre le licenciement abusif d’un collègue. Ayant à sa charge sa femme (Emiko Yagumo) et ses trois enfants, il se retrouve en proie à de graves problèmes financiers qui compromettent l’équilibre de sa famille jusqu’ici unie et heureuse. Après de longues recherches infructueuses et une dégringolade dans l’échelle sociale, il retrouvera du travail grâce à son ancien professeur de gymnastique mais au prix d’un important renoncement. Au fur et à mesure, tel un chœur antique, des intertitres décrivent la progression de sa déchéance : de l’indignité sociale ressentie par l’épouse, lorsqu’elle aperçoit son mari défiler dans la rue en brandissant un calicot publicitaire, au compromis final. En intercalant des scènes burlesques, celle de l’éventail brandi comme un symbole du pouvoir est particulièrement délectable, le cinéaste décrit par petites touches la cruauté de l’existence faite de désillusions et de pertes malgré les vœux du professeur, formulés à ses élèves réunis en banquet, de vivre sans soumission ni compromission. Le Chœur de Tôkyô est une œuvre charnière de la carrière de Yasujirô Ozu qui s’écarte du modèle américain pour se tourner vers une œuvre plus personnelle tant sur le plan moral, en vantant les vertus d’une société traditionnelle, que sur le plan esthétique puisque « le style d’Ozu, avec sa caméra en position basse et ses plans fixes, commence à prende formes. » (3) Ce drame social au réalisme subtil est d’autant plus à redécouvrir qu’il préfigure par bien des aspects sa réalisation suivante qui reste sa plus célèbre de la période du muet, Gosses de Tôkyô (1932). L’histoire de deux frères, dont l’aîné est joué par Hideo Sugawara qui interprète le fils dans Le Chœur de Tôkyô, entament une grève de la faim (4) pour protester contre l’attitude trop déférente de leur père (Tatsuo Saitô) à l’égard de son patron.

Le Chœur de Tôkyô, inédit sorti sur les écrans français en 2006 par le distributeur Carlotta, fut présenté lors d’une rétrospective du cinéma japonais en 1984 à la Cinémathèque Française qui avait retenu également dans sa sélection Une Auberge à Tôkyô. Cette œuvre originale signée Uinzato Mone, l’un des pseudonymes (5) endossé par Yasujirô Ozu et correspondant à la prononciation japonaise de l’expression "without money", a été adaptée par Tadao Ikeda (6) et Masao Arata (7). Film appartenant au genre « shomin-geki », littéralement « film du bas peuple », Une Auberge à Tôkyô relate la quête d’un ouvrier (Takeshi Sakamoto) qui, accompagné de ses deux jeunes fils, erre dans la banlieue tokyoïte à la recherche d’un emploi. Après maintes désillusions et encore tout à sa joie d’avoir trouvé un travail, il commet un délit par compassion envers une jeune mère en détresse (Yoshiko Okada) et sa fille rencontrées dans une auberge. Ce drame sans misérabilisme, où tout passe par les non-dits et la sobriété des expressions des visages, plonge le spectateur dans l’univers des laissés-pour-compte de la classe prolétarienne, rappelant certains personnages et situations des films de Charlot. La noirceur du propos est toutefois atténuée par des scènes de tendre complicité entre un père et ses fils espiègles peu respectueux des convenances. Cela témoigne de l’importance donnée par le cinéaste à la cellule familiale traditionnelle, même si la mère ici est absente, et constitue une sorte d’hommage à son propre père brutalement décédé durant l’année du tournage. Devant l’avancée grandissante du parlant, Yasujirô Ozu a été obligé de réaliser ce long métrage comme un film parlant. En raison des imperfections techniques du parlant, le réalisateur renonça avec regrets au muet dès 1932 avec Jusqu’à notre prochaine rencontre, sonorisé à partir d’un matériel entièrement muet, puis définitivement en 1936, année d’exploitation de son premier film de fiction parlant Le Fils unique. Le cinéaste fut pareillement réfractaire à la couleur qu’il n’utilisa qu’à partir de 1958 pour le tournage de Fleur d’équinoxe.


Entre abnégation et résignation

Produits par les studios de la Shôchiku Kamata, ces trois films ont été tournés à l’aube d’une époque annonciatrice de grands bouleversements pour l’archipel nippon : l’ère Showa ou la mal nommée « paix rayonnante » qui s’étale de 1926 à 1989. En effet, dès 1931 les visées expansionnistes des militaires se concrétisent par l’occupation de la Mandchourie et une grave crise économique, conséquence de celle mondialisée de 1929, sévit. Yasujirô Ozu ne fait nullement référence à ce contexte troublé mais en constate l’impact sur la vie quotidienne de gens modestes. Il met ainsi en scène, sans dramatisation ni affèterie, les destins de jeunes hommes issus des classes sociales les plus humbles ayant pour unique ambition de trouver un emploi afin de subvenir aux besoins de leur famille. Ce cinéma universel et naturaliste, qui devance d’une décennie le Néoréalisme, est toutefois dénué de toute utopie politique et de remise en cause de la société traditionnelle. Les parcours parsemés de déceptions et de renoncements conduisent à la résignation et à l’allégeance sociale des héros de J’ai été diplômé, mais… et Le Chœur de Tôkyô tandis que celui d’Une Auberge à Tôkyô relève plus du déterminisme.

Le style du cinéaste commence également à s’esquisser dans les deux films des années 1930. Dans son journal de l’année 1933, Yasujirô Ozu confie : « A bien réfléchir, toute mon ambition est de devenir un bon artisan » (8). Son œuvre « artisanale » méthodiquement construite et peaufinée de film en film trouve son origine dès l’époque du muet où l’absence de paroles nécessitait un montage, des changements d’angles et des mouvements mais dans laquelle le cinéaste manifestait déjà un réel intérêt pour le cadrage. Il commença d’ailleurs à y intégrer des plans vides, emblématiques de l’ « impermanence » (9), et à réaliser des plans équilibrés, très composés, poussant la frontalité jusqu’à poser les personnages au centre de l’image. La technique du parlant libéra totalement le cinéaste, a priori peu enclin à abandonner le muet, en réduisant l’action, les mouvements et le vocabulaire cinématographique et en donnant ainsi toute sa primauté au cadre.



(1) Kôgo Noda : scénariste et directeur du département scénarios de la Shôchiku Kinema avec lequel Yasujirô Ozu réalisera la plupart des scénarii de ses films d’après-guerre.
(2) Benshi : littéralement « Homme parlant » était le commentateur des films qui officiait à l’époque du muet. Deux séances exceptionnelles de Chœur de Tôkyô et Gosses de Tôkyô ont été accompagnées des commentaires d’un benshi lors de la rétrospective Ozu x 36 = l’intégrale ! à la Maison de la Culture du Japon à Paris en février 2007.
(3) Tadao Sato, Le Cinéma Japonais, Centre Georges Pompidou, collection Cinéma/Pluriel, 1997, p.113.
(4) Yasujirô Ozu reprend ce thème dans Bonjour (1959) où deux frères entament une grève de la parole pour forcer leurs parents à acheter un poste de télévision.
(5) Au début de sa carrière, Yasujirô Ozu prenait de temps à autre des pseudonymes comme celui de James Maki qui signa l’œuvre originale de Gosses de Tôkyô.
(6) Tadao Ikeda : ami de Yasujirô Ozu et scénariste de ses films d’avant-guerre. Il collabora avec le cinéaste jusqu’en 1940 sur le scénario du Goût du riz au thé vert.
(7) Masao Arata : ami et scénariste de Yasujirô Ozu.
(8) Yasujirô Ozu, Carnets 1933-1963, éditions Alive, 1996, p.10.
(9) Youssef Ishaghpour, Formes de l’impermanence, éditions Léo Scheer, 2002.


Corinne Garnier
( Mis en ligne le 16/03/2007 )
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