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Films  ->  Comédie dramatique  
Petite musique de chambre
avec Emir Kusturica, Miki Manoljovic, Mustafa Nadaveric, Mirjana Karanovic
Films sans frontières 2007 /  19.99  € - 130.93 ffr.
Durée film 136 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : Yougoslavie, 1985
Sortie DVD : Août 2007
Titre original : Otac na sluzbenom putu - ljubavno istorijski film

Version : DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL
Format image : Couleurs, 16/9 compatible 4/3
Format audio : Français, Serbo-Croate
Sous-titres : Français


Bonus :
- Contexte Historique
- Interview du réalisateur

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Emir Kusturica s'est fait réellement connaître grâce à ce film étonnant : Papa est en voyage d'affaires fut récompensé au festival de Cannes par la palme d'or en 1985. Le sujet évoque une histoire qui a souvent été traitée sur les pays d'Europe centrale : l'internement d'une personne pour opinions non conformes face au régime communiste en place. On pense aussi par exemple à La Plaisanterie de Milan Kundera. Le traitement d'Emir Kusturica est fort différent de celui du romancier tchèque, Milan Kundera préférant agrémenter son histoire de comique pour éviter de tomber dans le pathos. Le film est ici plus dramatique dans la tonalité.

L'action se passe en 1950-1952 dans ce qui était alors la République fédérale socialiste de Yougoslavie. C'est l'heure où Tito ne suit plus la voie orthodoxe stalinienne. Comme dans tout régime totalitaire, s'écarter de la ligne idéologique est une trahison qui mérite au moins le camp de travail pour être rééduqué. Il n'est pas bon de critiquer Tito. Mesa (Miki Manojlovic) entretient une liaison. Sa maîtresse Ankitza (Mira Furlan), lasse d’attendre le divorce de son amant, cède aux avances du beau-frère de Mesa, Zijo (Mustafa Nadarevic) et lors d'une discussion, elle rapporte à ce dernier les paroles suspectes de son amant à propos d’une affiche représentant Karl Marx travaillant devant l’effigie de Staline. Zijo dénonce alors Mesa et celui-ci est envoyé en camp de travail. Pour ses enfants, Malik (Moreno D'E Bartolli) et Mirza (Davor Dujmovic), il est "en voyage d'affaires". Sinistre réalité. Sa femme Senija Sena Zolj (Mirjana Karanovic) travaille d'arrache-pied et va voir son frère pour comprendre ce qui se passe. Rien n'y fait. Alors que Mirza passe son temps au cinéma, en réaction aux crises que traversent sa famille et son pays, Malik se réfugie dans le somnambulisme… Lorsque la famille est à nouveau réunie, Malik redécouvre son père, et connaît ses premiers émois amoureux.

Comme Emir Kusturica le dit lui-même, "je n'ai pas souhaité apporter un témoignage politique sur les événements de cette époque, mais plus raconter une histoire de ces années 50 à travers le regard d'un enfant de six ou sept ans. En fait, le plus important, c'était les 22 victoires de l'équipe yougoslave de football entre 45 et 52... C'est ça l'Histoire pour un enfant de cette période, et non l'opposition de Tito à Staline. J'ai cherché à faire un lien entre le réalisme poétique français, tel celui de L'Atalante de Jean Vigo, et la nouvelle vague tchèque. Ce sont deux sources qui m'ont grandement influencé".

Le film n'a pas cet humour tchèque si particulier (Emir Kusturica fit ses études comme Milos Forman à la célèbre FAMU à Prague) mais on reconnaît des traits concrets du cinéma tchèque. Par exemple certains détails : des membres de la famille se réfugient dans les W-C pour lire leur correspondance ou boire un coup en douce tellement ils sont surveillés dans leur quotidien, dans leur moindre parole. Cinéma tchèque aussi dans certaines scènes, notamment celle où le beau-frère, Zijo, fait séquestrer Mesa le soir même de la circoncision des enfants de ce dernier, à laquelle Zijo assiste en tant que membre de la famille ! La trahison, la délation et l'intimité habitent sous le même toit. C'est dire que l'idéologie peut mener fort loin dans l'aveuglement. Il est vrai aussi qu'à cette époque comme, le rappelle le cinéaste Otar Iosseliani dans un de ses films, Brigands chapitre VII, les enfants dénonçaient aussi leurs parents !

Effectivement, Papa est en voyage d'affaires n'a rien de politique, trait si distinctif des artistes d'Europe centrale, contrairement à la production en France... Le film ici est une chronique populaire et intimiste qui axe sa problématique sur le personnage de Mali, narrateur du film, découvrant toute la complexité et l'ambiguïté du monde. Si Zijo trahit en quelque sorte son beau-frère même s'il se repend, Mesa trahit sentimentalement sa femme et continue de la tromper sans vergogne. Personne n'est clair. Ponctué par les matchs de football retransmis à la radio (la scène finale se passe en 1952 avec la célèbre victoire de l'équipe de la Yougoslavie sur celle de l'URSS), métaphore de la situation politique, le film, à travers Malik, incarne à merveille cette découverte trouble de la réalité.

Papa est en voyage d'affaires n'a pas la démesure et la folie des films suivants d'Emir Kusturica mais d'un autre côté, il est peut-être plus personnel dans le sens où le cinéaste, comme la musique de chambre par rapport à la musique symphonique, se dévoile plus intimement. Si l'on y retrouve des éléments comme la musique (Mirza joue de l'accordéon), les repas de famille, l'onirisme (le somnambulisme de Malik), les références cinématographiques (la scène drolatique dans une salle de cinéma, inspirée de Roma de Fellini), le film met plus en avant la fragilité et le dérisoire de l'existence comme ces deux scènes bouleversantes entre Malik et la petite et touchante Masa, la fille du médecin (le choix de la comédienne est d'une grande justesse), tout d'abord celle où les deux enfants découvrent, troublés, la différenciation sexuelle dans la baignoire, puis celle où Masa est transportée à l'hôpital où elle mourra (nous dira Malik en voix off). Tragique réalité.

Emir Kusturica déroule ainsi en filigrane une petite musique délicate et dérisoire, fragilité de l'homme face au rouleau-compresseur de l'Histoire et de la politique. Le cinéaste a bien retenu cette sensibilité si particulière du cinéma tchèque ; voir par exemple Trains étroitement surveillés de Jiri Menzel (1966).


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 28/09/2007 )
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