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Littérature -> Entretiens |
| Un entretien avec Amélie Nothomb - auteur de Cosmétique de l'ennemi
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Parutions.com : Pourquoi ce titre Cosmétique de lennemi ? Avez-vous joué sur les deux sens du terme ?
Amélie Nothomb : En effet, jaime jouer sur les différents sens dun mot. Quand on y réfléchit, le mot qui signifie "se faire belle" a pour origine la notion aristotélicienne de lordre du monde. Cela me plaît beaucoup. Il existe un lien profond entre les deux. Cela ne peut être une bévue de létymologie. Il y a un rapport entre ce titre et les personnages : lun des personnages a une conception assez janséniste de la prédestination. Il est prédestiné à rencontrer sa victime, à être le coupable face à elle. Il y a pour lui une cosmétique de la culpabilité. Même sans avoir commis un crime son destin est dêtre coupable. Ce qui correspond pour lui à un ordre du monde très profond. Dans Crime et châtiment, le crime entraîne le châtiment.
Parutions.com : Quelle a été lorigine de ce livre ?
Amélie Nothomb : Sa genèse a été nébuleuse. Un soir, je marchais dans la rue, jétais très en colère, je criais dans ma tête : "Libre ! Libre ! Libre !" Jai éprouvé une impression de décomposition et je suis tombée enceinte de ce livre. Avant la page quatre, javais besoin de mettre les choses au clair.
Parutions.com : Pourquoi ce lieu, une salle dattente dans un aéroport ?
Amélie Nothomb : Nous ne sommes jamais dans le vide, là, le personnage est prisonnier par ce retard davion. Cest une situation infernale car on se sent livré à soi-même. La salle dattente dun aéroport avec retard davion pourrait bien être lantichambre de lenfer.
Parutions.com : Pourquoi cette forme en dialogue ?
Amélie Nothomb : La forme simpose. Cest celle qui convenait. Je ne connais pas de forme qui ressemble plus au flux de la pensée.
Parutions.com : Quel est le sens de ce long dialogue ?
Amélie Nothomb : Le premier personnage est perdu dans ses pensées, quelquun intervient et va se jouer un drame de conscience. Cest une histoire sur le thème de la culpabilité. Thème énorme pour moi. Si je suis hyper féconde, cest que jai un problème de culpabilité gros comme une maison. Et ne me demandez pas quel crime jai commis ! Il nest pas nécessaire davoir fait une mauvaise action pour culpabiliser. Les gens qui ont des choses à se reprocher, ne souffrent justement daucune culpabilité ! Et ce sont de pauvres innocents de mon espèce qui ont une culpabilité monumentale
Puisque jen arrive à trente-trois ans à terminer mon quarantième manuscrit, ce qui nest quand même pas normal, pas étonnant que ce soit moi qui traite ce thème ! Le livre est sur le thème du "Je". Rimbaud a écrit "je est un autre", cela fait longtemps quil la dit mais visiblement personne nen tient compte. Dun point de vue romanesque, je nen connais pas beaucoup qui se sont penchés sur ce thème du "Je" et de ses diverses composantes.
Parutions.com : Qui sont ces deux personnages ?
Amélie Nothomb : Le premier, cest la conscience, la partie qui vous parle. Lautre
ne vous fiez pas à moi, je ny connais rien. Ce meurtre est un acte damour. On ne peut pas tuer son ennemi intérieur : il est comme un virus dans lordinateur, il grossit, il faut trouver une parade ! Lennemi peut aussi conduire au meurtre. Mes textes ont déjà suscité un meurtre, Les Catilinaires : cette histoire dun homme qui finit par tuer son voisin. Eh bien, un an après la parution de ce livre, jai reçu une lettre dun couple vivant dans le sud de la France. Ils écrivaient quils avaient eu le même problème avec leur voisin et quils avaient recouru à la solution que je préconisais. Et que depuis lors, tout allait bien !
Parutions.com : Qui est cet ennemi intérieur ?
Amélie Nothomb : À lage de douze ans et demi est né en moi un ennemi monumental, destructeur et créateur à la fois. Nest-il pas la partie dionysiaque, amorale de nous-même ? Il juge les actes uniquement à laune de la jouissance quils pourraient lui procurer. Il ne les justifie que par le plaisir. Il ne se considère pas comme un fou. Il appelle fou une personne dont les actes sont inexplicables, donc il nest pas fou.
Parutions.com : Quel rapport peut-on entretenir avec son ennemi intérieur ?
Amélie Nothomb : Si on ne trouve pas un discours assez fort pour lutter contre lui, je ne sais pas ce que lon devient. Je pars du principe que les autres ne doivent pas être foncièrement différents de moi. Chez moi, cela a pris la forme dun gros ennemi contre lequel je nai trouvé que lécriture. Il faut un duel, une mise en forme, comme les règles de la lutte en escrime. Ma forme descrime, cest le style, le combat du style qui est le moment de lécriture. Laffrontement suprême où je peux faire de ce combat permanent à lintérieur de moi-même, quelque chose de créateur. Sinon, il risque de mécraser. Sa mission est de signaler la mort en toute chose. "Il est celui qui vous révélera la mort contenue en toute beauté", ai-je écrit. Nietzsche écrit : "Ce qui ne me tuera pas, me rendra plus fort". Il faut accepter le combat. On ne peut pas tout le temps léviter. En lévitant, on risque de ne jamais vivre ! Tout risque en vaut la peine. En ne risquant pas sa vie, on risque encore plus grand : on risque de ne pas vivre du tout.
Parutions.com : Peux-on aller jusquau crime ?
Amélie Nothomb : Je suis pathétiquement insomniaque depuis que jai deux ans ! Quand on vit certaines insomnies, on se met à avoir des pensées tellement nauséabondes que je conçois quon en arrive jusque là. On rumine
On est sous la coupe de son ennemi intérieur. Ca peut mal se terminer, si jai pu léviter, cest parce que jécris.
Parutions.com : Vous aimez les cimetières : dans le roman, un viol a lieu sur une tombe ?
Amélie Nothomb : Jaime les cimetières, je décris cette tombe, elle existe, ce sera mon petit jeu avec les lecteurs : les laisser la découvrir !
Parutions.com : Pourquoi écrivez-vous autant ?
Amélie Nothomb : Cest un devoir de lordre de la reconnaissance du réel. Un devoir de dire ce qui est. Et de le comprendre. Jécris souvent quand je suis face à une situation que je ne comprends pas. Après avoir écrit, je vois plus clair, mais cest là que les lecteurs doivent faire leur travail. Cela fait neuf ans que je publie et jusquà présent les lecteurs ont été au rendez-vous. Je livre dune situation ce que je connais et les lecteurs vont faire lautre partie du travail. Et comme jai des lecteurs formidables et coopératifs, ils mécrivent pour mexpliquer ce que jai voulu dire. Ils ont bien raison ! Il y a des psychanalystes qui méclairent. Cest bien pour cela que je publie ! Vous ne pouvez pas imaginez tout ce que mes lecteurs mapportent. Je suis frappée par les aveuglements que jai face à des choses qui semblent aller de soi et que je ne vois pas. Je suis dans une recherche qui les concerne autant que moi. Lêtre humain me passionne. Je suis limitée puisque la seule chose que je peux explorer, cest moi. Mais je crois que je ne suis pas si différente des autres
Parutions.com : Vous reste-t-il des manuscrits en réserve ?
Amélie Nothomb : Jai beaucoup de manuscrits, je ne les considère pas comme une réserve. Dans le cadre de ce manuscrit, comme pour tous les autres que jai publié, il sagit dun texte écrit très récemment. Je suis en train décrire le 40 ème, celui-ci est le 39 ème, mais je nai pas lintention de publier les trente autres. Jécris et, de temps en temps, je me dis : tiens celui-là jai envie de le publier. Jusquà présent, je nai pas eu à choisir, jai toujours publié le dernier écrit, allez savoir pourquoi ! On dirait que jai un petit flair pour mes manuscrits...
Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson ( Mis en ligne le 22/08/2001 ) Imprimer
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