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Poches -> Littérature |
| Michel Le Bris La Beauté du monde Seuil - Points 2009 / 9 € - 58.95 ffr. / 792 pages ISBN : 978-2-7578-1347-8 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en août 2008 (Grasset). Imprimer
Lorsque Michel Le Bris prend la plume pour entraîner son lecteur ébahi sur la piste du voyage, il nen est pas à son coup dessai ; lécrit, quil aborde avec divers angles dattaque puisquil est à la fois journaliste, éditeur, écrivain et bien dautres choses encore -, est pour lui une manière de répondre à lappel du grand large, de laventure. Dans ce roman-fleuve, les personnages se découvrent habités par un désir dailleurs si violent quil en devient douloureux et même, parfois, destructeur.
En 1938, la jeune Winnie, petite Américaine de lOuest, est choisie comme ghostwriter par Osa Johnson, à son grand étonnement. Conformément aux projets de son manager, la star doit en effet rédiger lautobiographie qui achèvera de faire delle une légende, et cest loccasion pour M. Le Bris de faire bifurquer le récit. Car Winnie idolâtre trop Martin et Osa Johnson, couple daventuriers mythiques, pour se satisfaire de ce projet médiocre, commercial. Persuadée quen faisant delle sa confidente et celle qui saura la présenter au monde Osa voulait sortir de la gangue étroite dans laquelle la plaçait un commanditaire sûr de lui, raconter qui elle était vraiment, elle se lance dans la rédaction dun roman dont lexploratrice serait lhéroïne. Las, il lui faudra renoncer à publier le résultat de cette troublante tentative de rapprochement avec son modèle, et se résoudre à écrire ce que lon attend delle pour éviter dêtre frappée par les foudres indignées de lhomme daffaire comme dOsa.
Or, cette trame introductive nous permet de comprendre que ce que nous lisons entre deux comptes rendus de confessions dOsa à son nègre est en réalité le roman de Winnie, et non lhistoire strictement factuelle dune célébrité glamour des années 20, la clé daccès retenue étant lempathie que peut ressentir une jeune fille éprise daventure pour une autre jeune fille éprise daventure (nest-ce pas après tout le titre dun livre dOsa Johnson, quoique postérieur aux éléments qui nous intéressent, I married adventure (1938) ?). Donc ce que Winnie ne peut sentendre raconter, elle linvente en devinant leurs analogies, ce quil y a de malheureux dans la conciliation impossible des rêves quelles ont, chacune de son côté, ressassés. Osa est née pour la gloire car, comme lanalyse son manager, elle est la synthèse incroyable des trois femmes idéales aux yeux des américains : ménagère hors pair, aventurière comme au temps de la conquête de lOuest, et star charismatique. Pourtant, cest ce qui la ronge et la jette sans défense dans les affres de la solitude et de la consommation compulsive de single malt.
A la fois capable de recréer son «chez-soi» nimporte où et désespérée de ne pouvoir revenir de voyage sans sentir quune fois de plus, elle avait laissé une part delle à un endroit où elle ne pourrait pas retourner sans devoir abandonner là encore, un lieu qui lui tenait à cur, Osa est déchirée, partagée entre des lieux qui ne lui offrent nul foyer véritable mais la promesse menaçante dun emprisonnement, de la nécessité de renoncer à certaines espérances pour en satisfaire dautres. Lamour forgé au feu des risques insensés pris ensemble et des paris relevés à force de persévérance et de sacrifice, lamour qui lunit à Martin lui-même porte le germe dun bonheur partagé en même temps que les blessures dune impossible communication.
LAfrique aussi, à laquelle le roman est comme une ode flamboyante, est le lieu de toutes les ambiguïtés. Offrant au regard le présent incomparable quest la beauté du monde, elle exige pour se révéler que la mort soit donnée. Le travail fourni par Michel Le Bris pour recréer le paradis perdu, tel que lont immortalisé les films animaliers de lépoque, avant que les safaris naient eu raison de toute la richesse dun Eden au bord de la disparition, est tout simplement impressionnant.
Navigant entre ambiances fitzgéraldiennes et descriptions évoquant tantôt Claude Levi-Stauss et sa Pensée sauvage, par leur volonté de retranscrire la cosmogonie des peuples rencontrés, tantôt Jack London ou Le Lion de Joseph Kessel (certains passages font dOsa une nouvelle Patricia, sans le moindre doute), mélange démerveillement devant linconnu, de souffle retenu devant les paysages vierges et de goût pour la découverte, la narration se déploie avec assurance, son élan puissant poussant le couple Johnson vers toutes les frontières et lesprit pionnier trouvant à sexercer dans le New York des années folles aussi bien quau Kenya ou sur les îles du Pacifique peuplées danthropophages. Car après tout, la jungle dont il faut décoder les rites et surmonter les pièges est dans le tourbillon des flappers et du jeu, énorme, dans lequel est prise la Grosse Pomme au sortir de la guerre, aussi bien que dans les déserts les plus périlleux. Partout autour dOsa il y a ce vertige dun monde qui sécroule pour que naisse un autre, et lenthousiasme entaché dune fatigue grandissante des participants à cette odyssée au terme incertain.
Roman daventure, hommage à lune des plus fameuses exploratrices (M. Le Bris avait déjà consacré un livre aux Johnson ainsi quà la façon dont ils avaient révolutionné la vision de lAfrique), La Beauté du monde est également une promenade poétique dans les vapeurs troubles surgissant entre la terre ocre, sèche, et le ciel brûlant, entre les rêves et leur accomplissement, ce qui, par une implacable dialectique, signifie leur disparition.
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 28/09/2009 ) Imprimer
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