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Vivre au désert dans l’Antiquité | | | Michel Reddé Collectif Kysis, Fouilles de l’IFAO à Douch, oasis de Kharga (1985-1990) - Document de fouilles de l’IFAO - 42 IFAO 2004 / / 258 pages
Lauteur du compte rendu : Yann Le Bohec enseigne lhistoire romaine à la Sorbonne. Il est lauteur de plusieurs ouvrages adressés tant aux érudits quau grand public. En dernier lieu, il a publié Larmée romaine sous le Haut-Empire (Picard, 3e édit., 2002), César, chef de guerre (Éditions du Rocher, 2001), et Urbs. Rome de César à Commode (Le Temps, 2001). Imprimer
Faire des fouilles à Douch représentait une triple difficulté pour les archéologues : ils devaient vivre dans le désert ; ils pouvaient craindre que leurs devanciers de lépoque romaine, découragés par le climat, naient laissé que de médiocres traces ; dans le cas contraire, il leur fallait rendre vivantes des ruines difficiles à interpréter. Avec beaucoup dobstination et des collaborateurs peu nombreux mais bien choisis, Michel Reddé a assez travaillé pour nous donner un gros livre à laspect empreint dune fausse austérité. Fausse austérité parce que le travail, très méthodique, suit sans faire déclat les bonnes règles de larchéologie. Il décrit en détail chaque seuil, chaque porte, chaque mur. Et, dans le même temps, il obtient des résultats étonnants.
Loasis de Douch, qui sappelait Kysis, est connue depuis la fin du XVIIe siècle ; elle se trouve dans le désert occidental de lÉgypte, à hauteur de Thèbes et à quelques 200 km de cette ville à vol doiseau. Les fouilles ont dabord dégagé les restes dun village, soit quatre bâtiments. Les entrepreneurs avaient utilisé un harmonieux mélange de techniques locales et romaines. Le premier état connu du site date du courant du Ier siècle de notre ère. Suit une phase mal datée, du IIe ou du IIIe siècle. La dernière période doccupation correspond aux IVe et Ve siècles. Cest cette présence qui ne laisse pas de surprendre.
Comme tous les humains de lAntiquité, les habitants de Kysis étaient croyants. Ils vénéraient particulièrement un dieu égyptien appelé Sarapis, qui était lancien Osiris, tué par un dieu jaloux et ressuscité par son admirable épouse, Isis. Cest en son honneur quils avaient construit le monument le plus imposant du village, un temple, tant il est vrai que le souci de lau-delà lemporte souvent sur les préoccupations terrestres. Deux cours menaient au temple proprement dit, et des magasins, démesurés par rapport à lensemble, accompagnaient le sanctuaire qui a été en usage depuis lépoque hellénistique jusquau Ve siècle de notre ère. À un moment de leur histoire, les magasins ont été transformés en casernes pour abriter une petite garnison qui avait pour mission dassurer la sécurité de loasis. Il semble bien que le temple ait été le premier grand monument de Kysis, et que le village se soit construit autour de ce bâtiment. Un second temple, en brique crue, et sans mention de dieu, pourrait avoir été construit en lhonneur dun dieu également égyptien, Amon.
Il nest pas peu étonnant de constater que la christianisation a atteint toutes les oasis au cours du IVe siècle, et quelle na pas évité Douch. Dans un village, il nétait pas envisageable de construire une basilique ; les habitants, qui voulaient néanmoins un lieu de culte, ont transformé une maison en église. Pourtant, ils ne lont pas utilisée longtemps et elle fut vite abandonnée, en partie parce quune majorité de la population a quitté loasis, peut-être aussi parce que la nouvelle foi a été abandonnée.
Les auteurs nont pas trouvé beaucoup de monnaies ni de papyrus, ce qui ne facilite pas létablissement dune chronologie précise. Ils ont donc dû se fier le plus souvent à la céramique, qui fournit des datations toutefois relativement satisfaisantes. Loasis a été active, humainement, dès lépoque grecque, depuis le IIIe siècle avant J.-C., et jusquau Ve siècle de notre ère, comme on la dit. La population, évidemment mal connue, travaillait dans le secteur primaire, dans lagriculture. Elle a laissé pour preuve de son dynamisme des installations hydrauliques qui montrent que, pour vivre au désert, les hommes avaient su utiliser la moindre goutte deau. Ils pratiquaient les cultures sous palmiers, vignes, oliviers, dattiers. Ils produisaient aussi des céréales. Quelques soldats sont attestés au IVe siècle, mais leur présence na pas dû dépasser de beaucoup le premier tiers du siècle. Lélevage semble avoir pris un certain essor au début du Ve siècle, et il a précédé de peu labandon du site.
Yann Le Bohec ( Mis en ligne le 22/09/2004 ) Imprimer
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