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Une nouvelle République en images ? | | | Maurice Agulhon Les Métamorphoses de Marianne - l’imagerie et la symbolique républicaines de 1914 à nos jours Flammarion 2001 / 23,03 € - 150.85 ffr. / 320 pages ISBN : 2082100111 Imprimer
Après Marianne au combat et Marianne au pouvoir, voici les Métamorphoses de Marianne : avec ce troisième volume, Maurice Agulhon poursuit et achève son exploration des avatars de lallégorie de la République de 1792 à nos jours. Dans lIconologie de Cesare Ripa, la femme coiffée du bonnet phrygien symbolisait la Liberté. La Révolution choisit cette figure pour en faire la République : ce fut dabord une République militante, au bonnet rouge, couleur du sang abondamment répandu pendant les premières années du régime. Cest à cette Marianne que M. Agulhon a consacré son premier volume. Avec la consécration de la IIIe République, la Marianne guerrière et revendicative, précédée dune odeur de poudre, sefface progressivement devant une Marianne majestueuse, agricole elle est souvent assimilée à Cérès, déesse des moissons trônant dans un décor pompier de comices départementaux et de colonies soumises. Cest la Marianne de nos mairies, héritière de liconographie rassurante lancée par la IIe République en 1848. Cette Marianne effrayait encore la droite, mais déjà rebutait lextrême-gauche : telle fut la « Marianne au pouvoir », étudiée dans le deuxième ouvrage de Maurice Agulhon.
Ce troisième volume nous fait assister à laboutissement du processus séculaire. Marianne cesse peu à peu dêtre la divinité républicaine, au sens militant du terme, pour incarner la France. La droite elle-même adopte le bonnet phrygien. La transformation ne suit pas un déroulement linéaire : en certaines époques, comme sous le régime de Vichy, Marianne redevient sulfureuse et son buste est chassé des mairies ; en certains milieux, lallégorie au bonnet rouge reste accueillie avec réticence. Mais enfin, vers la fin du XXe siècle, la mue est à peu près achevée : Marianne y a perdu son caractère tutélaire et majestueux. La caricature en fait une femme de la classe moyenne, incarnation du bon peuple, en face dhommes politiques De Gaulle, Mitterrand qui personnifient lautorité.
Comme les précédents volumes, celui-ci frappe par lampleur de la documentation rassemblée, la richesse et la finesse de lanalyse, que sert un style sobre et un ton sans prétention. Sans jamais jargonner, sans conceptualiser hors de propos, comme le sujet pourrait y inciter, Maurice Agulhon cisèle une histoire psychologique des passions politiques françaises mariant subtilité des conclusions et netteté du discours : cest du grand art. Les sources employées affiches, caricatures, monnaies, timbres, monuments, bustes, etc. sont abondamment reproduites. Rarement images et sources écrites auront été confrontées avec autant de pertinence.
Lauteur ne nous cache pas sa tristesse devant laffadissement progressif de son héroïne allégorique, qui suit laffaissement de la foi démocratique. Mais il ne nous dissimule pas non plus que cette attrition a pu être le prix à payer pour la réconciliation nationale. Le retour imprévu, depuis une vingtaine dannées, du culte des « grands hommes » masque difficilement le vide idéologique qui a succédé à lancienne religion républicaine. Au terme du voyage où nous a guidé Maurice Agulhon, le sort indécis de Marianne traduit les hésitations dun régime politique et dune société qui peinent à trouver les voies du renouveau.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 08/03/2002 ) Imprimer
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