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Histoire & Sciences sociales -> Période Contemporaine |
| Peter Gay Une culture bourgeoise. 1815-1914 - Londres, Paris, Berlin... Biographie d'une classe sociale Autrement - Mémoires 2005 / 22 € - 144.1 ffr. / 375 pages ISBN : 2-7467-0630-X FORMAT : 15x23 cm
L'auteur du compte rendu : Chercheur associé à la Bibliothèque nationale de France (2004), Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris et titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque". Il est le responsable de la section "Histoire & sciences sociales" de Parutions.com. Imprimer
Bourgeois, le XIXe siècle le fut assurément : après le tremblement de la Révolution française et lessaimage de sa philosophie aux quatre coins de lEurope, avant le XXe siècle démocratique et totalitaire, au XIXe siècle, le bourgeois trouve son temps et, en Europe comme aux Etats-Unis, son espace. Révolution industrielle, essor du capitalisme, progrès du parlementarisme : les germes plantés au siècle précédent trouvent là matière à croître et prospérer. Libéral, impérialiste, le XIXe siècle bourgeois se résume en un qualificatif : victorien.
Spécialiste de la période, auteur dune biographie consacrée à Freud (Freud. Une vie, 2 vol., Hachette Pluriel, 2002), Peter Gay tente dans cet essai historique de cerner la personnalité du bourgeois victorien. Une culture bourgeoise synthétise ainsi plus de trente ans de recherches sur la question, qui avaient dailleurs donné lieu à une publication en cinq volumes, encore inédite en France : LExpérience bourgeoise : de Victoria à Freud (1984-1988).
Trois parties divisent louvrage. Après que la première a esquissé une définition du bourgeois («Fondements»), la seconde se penche sur les traits saillants de la psychologie bourgeoise de lépoque («Pulsions et défenses»). La troisième enfin («Lesprit victorien») traite la question des pratiques bourgeoises (travail, loisirs, rapport à la religion). Des trois, cest assurément la deuxième qui retient le plus lattention, moins classique, plus personnelle. Ici, Peter Gay mobilise sa connaissance de la psychanalyse pour étudier au plus près lintimité bourgeoise. La méthode est sans doute contestable, dune part concernant lobjet il est toujours malaisé et finalement impressionniste de cerner la psychologie dun groupe -, de lautre du fait des sources mobilisées pour une telle analyse. Les journaux intimes et les correspondances sont ici les supports les plus fructueux mais quen est-il de la pertinence des témoignages recueillis, de leur représentativité ? Sans une approche sérielle fondée sur des sources nombreuses, les résultats restent imparfaits. Or, les sources, ici, restent limitées. Peter Gay suit dailleurs tout au long de lessai un principal exemple, celui dArthur Schnitzler, emblématique selon lui du bourgeois victorien. Chez Schnitzler, en effet, se concentrent les capitaux économiques, sociaux et culturels que lon attend chez un bourgeois à lépoque, de même quune tension fondatrice entre le besoin de changement (le XIXe siècle bourgeois chercher ses marques vis-à-vis du XVIIIe siècle aristocrate) et celui de conservation (ce siècle guette aussi dun il inquiet larrivée du XXe siècle démocratique).
Certes. Mais un problème de définition se pose, que Peter Gay peine à résoudre. Se voulant «autant un essai de généralisation quune célébration des différences» (p.13), Une culture bourgeoise finit par perdre son objet. Le bourgeois renvoyant autant au petit col blanc quau capitaine dindustrie, sinscrivant dans le temps long dune long XIXe siècle (1800-1914) et lespace large de lEurope et des Etats-Unis, le terme finit par se diluer dans les prudences de définition, les relativismes et des rappels historiques trop lointains. Ainsi de lindividualisme libéral que lauteur prend le soin de faire remonter jusquà la Renaissance. Trop dhistoricisation ne tue-t-il pas finalement la démarche historique ?... Trop dextension de la cohorte choisie nhandicape-t-il pas aussi la démarche sociologique ?... «Un point sur lequel jinsiste depuis le début de cette étude : lextraordinaire diversité de lesprit bourgeois au XIXe siècle» (p.298), nous rappelle Peter Gay en fin de parcours.
Car telle est lintention de lauteur : déconstruire limage surfaite que lon a du bourgeois victorien, aperçu dû, semble-t-il, à une littérature «bourgeoisophobe» véhiculée du temps même par des artistes et écrivains (Zola ou Flaubert en France par exemple). Contre limage de la modération bourgeoise, celle dune bourgeoisie matérialiste et besogneuse, philistine, froide, mais aussi paternaliste sinon phallocrate, pratiquant un culte de la virilité dont pâtirent les femmes, les enfants dans leur éducation, et dont lélan nationaliste et impérialiste serait aussi lune des résultantes, Peter Gay multiplie les contre-exemples. Ainsi, au chapitre 3 («Eros : extase et symptômes»), lauteur consacre des développements intéressants sur la croyance largement partagée à lépoque en la frigidité naturelle des femmes
que quelques extraits de correspondances en effet très intimes infirment assurément !
Un autre point sur lequel lauteur insiste avec justesse est celui de linquiétude fondatrice de cette bourgeoisie victorienne (chapitre 5 : «Sujets dinquiétudes»). Le XIXe siècle aurait été le siècle de lanxiété et de la neurasthénie. Faut-il y voir la multiplication des névroses sous le poids des interdits bourgeois (autour de la sexualité féminine et adolescente, des impératifs de compétitivité, du paraître bourgeois), comme le prétendait Freud ? Lauteur y décèle plutôt, et sans doute plus pertinemment, une angoisse vis-à-vis du changement : ce siècle-là fut assurément un temps de forte accélération de lhistoire, dont les bourgeois furent tout à la fois les acteurs et des victimes.
Louvrage aurait ainsi pu être plus nourrissant et éclairant si lauteur avait pris soin de mieux structurer son étude et définir de façon plus circonspecte son groupe. Car au final, Une culture bourgeoise tourne trop souvent à un manuel général sur le XIXe siècle.
Thomas Roman ( Mis en ligne le 02/10/2005 ) Imprimer
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