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Savoir orientaliste et pouvoir politique | | | Henry Laurens Orientales - I - Autour de l'expédition d'Egypte CNRS éditions - Moyen Orient 2004 / 24 € - 157.2 ffr. / 306 pages ISBN : 2-271-06193-8 FORMAT : 16x24 cm
Voir aussi:
Henry Laurens, Orientales II. La IIIe République et l'Islam, CNRS, mars 2004, 374p., 29, ISBN: 2-271-06207-1
L'auteur du compte rendu: maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Paris-I, Sylvain Venayre a récemment publié La Gloire de l'aventure. Genèse d'une mystique moderne.
1850-1940 (Aubier, 2002). Imprimer
Henry Laurens vient dentrer au Collège de France, à la chaire dHistoire contemporaine du monde arabe : sa leçon inaugurale y a été prononcée le 11 mars 2004. A cette occasion, les éditions du CNRS proposent une réédition, sous forme de livres, danciens articles de Henry Laurens (dans la collection «Moyen Orient» dirigée par Alain Dieckhoff et
Henry Laurens). Deux volumes sont déjà parus, sous le titre Orientales qui viennent rappeler que, sil ny a pas continuité des chaires au Collège de France, il y a continuité des pensées et que celle de Henry Laurens sinscrit résolument dans la tradition de lorientalisme français. Son orientalisme (et cest essentiel) est néanmoins parfaitement conscient de son historicité, redevable de ce point de vue au travail critique qui lui a été imposé par Edward Saïd, à la mémoire duquel le deuxième tome de ces Orientales est dédié. Henry Laurens s'est ainsi dabord attaché à comprendre lhistoire de cette discipline qui est la sienne, connaissance préalable à toute autre.
Un recueil darticles est une autobiographie intellectuelle, dit Henry Laurens, qui joue complètement le jeu du genre, en présentant systématiquement ceux aujourdhui réédités. Chacun dentre eux est ainsi inscrit dans le contexte historiographique qui a présidé à son écriture. La méthode dexposition des articles des Orientales est elle-même le reflet des interrogations de leur auteur.
Le premier tome est centré sur lexpédition dEgypte, et reprend des articles qui ont précédé, et suivi, le grand livre de Laurens consacré aux Origines intellectuelles de lexpédition dEgypte. Lorientalisme islamisant en France. 1698-1798, publié en 1987 (Seuil, Points Histoire, 1997). Le titre dit dailleurs exactement le projet du chercheur, qui articule systématiquement lhistoire de la production du savoir orientaliste et les interactions de ce savoir avec des données politiques aussi majeures que, précisément, lexpédition dEgypte. La vingtaine darticles, parfois très courts, qui composent ce premier volume, examine ainsi, non seulement latmosphère intellectuelle qui a présidé à lexpédition de 1798, mais également la façon dont Bonaparte, à loccasion de cette expédition, a mis en place une véritable politique arabe de la France et aussi les conséquences de cette politique au XIXe siècle, tant sur la genèse de la nation égyptienne au temps de Méhémet-Ali que sur la poursuite de la politique arabe de la France au temps du neveu de Bonaparte, Napoléon III. Si certains articles sont un peu décalés par rapport à lentreprise globale du volume tel ce rappel de la carrière de Kléber , lensemble nen est pas moins passionnant. On suivra avec intérêt, entre autres, la façon dont Henry Laurens déconstruit le mythe de laventurier Lascaris, homme de Napoléon en Orient, incarnation du rêve oriental, tout entier construit par Lamartine dans son Voyage en Orient de 1835.
Le second tome fait suite, chronologiquement, au premier et est tout entier consacré aux rapports de la IIIe République et de lIslam. Les articles réunis par Henry Laurens, plus longs que dans le volume précédent, poursuivent la réflexion de lauteur sur les liens complexes entre savoir orientaliste et pouvoir politique. Lensemble est traversé par une idée maîtresse : la IIIe République a représenté un moment original dans lhistoire de ces rapports entre pouvoir et savoir ; dans le cadre de la mission civilisatrice que la France coloniale sassigne alors, la République est en effet conduite à se définir comme une puissance musulmane. Dès lors, la «politique arabe» de la France, que lexpédition de 1798 avait manifestée, sefface au profit dune «politique musulmane» dont Henry Laurens souligne quelle naura pas de suite, la IVe République opérant un retour à la politique arabe née de lentreprise de Bonaparte.
Cette politique arabe repose fondamentalement sur lexistence dun Islam national, qui a pour cadre les frontières de lEmpire. Si les institutions politiques doivent en être, aux yeux des républicains, les maîtres duvre essentiels, elles ne pourront néanmoins agir quen fonction du savoir français sur lIslam tel que lorientalisme le produit. Selon Henry Laurens, un moment unique dans lhistoire des relations franco-arabes se produit alors, qui voit les savants orientalistes et les autorités politiques travailler en étroite concertation, au sein dune véritable «islamologie appliquée». Les grands anciens du Collège de France, Louis Massignon ou Robert Montagne, font ainsi lobjet de nombreuses analyses.
Ces deux volumes illustrent remarquablement la volonté de Henry Laurens de prendre pour objet la «chose franco-arabe», dont lhistoire la plus objective possible est, aujourdhui sans doute plus encore quhier, un impératif. On doit saluer dans son travail, non seulement une volonté daccomplir cette recherche difficile, mais plus encore de le faire dans le seul sens qui convienne, cest-à-dire celui dune déconstruction systématique du savoir que nous croyons posséder.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 29/03/2004 ) Imprimer
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