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Histoire & Sciences sociales -> Histoire Générale |
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Chronologie et mémoire nationale | | | Alain Corbin Collectif 1515 et les grandes dates de l'histoire de France Seuil - Points histoire 2008 / 10 € - 65.5 ffr. / 541 pages ISBN : 978-2-7578-0690-6 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : Historienne et journaliste, Jacqueline Martin-Bagnaudez est particulièrement sensibilisée aux questions dhistoire des religions et dhistoire des mentalités. Elle a publié (chez Desclée de Brouwer) des ouvrages dinitiation portant notamment sur le Moyen Age et sur lhistoire de lart. Imprimer
On a suffisamment daubé, depuis un demi-siècle, sur la manie dinculquer aux enfants, dans lécole de la République (la IIIe, bien sûr), un «par cur» qui chargeait la mémoire sans développer lintelligence. Passe encore pour les tables de multiplication et la conjugaison, mais lHistoire ? Le retour du balancier nous a amenés à ce que peu nombreux sont nos enfants aujourdhui capables de situer Jeanne dArc par rapport à Louis XIV. «Lécole des Annales» ‑ dont il nest évidemment pas question de minimiser les apports est passée par là. Doù les perspectives de réflexions ouvertes aux éducateurs, aux historiens et aux simples citoyens, par le recueil publié en édition «poche» qua dirigé Alain Corbin.
Un propos que lon qualifierait volontiers dastucieuse idée. Les écoliers de la IIIe République finissante apprenaient lHistoire (de France, lEurope et le reste du monde ne préoccupaient personne en dehors de leur éventuelle hostilité à la Nation) dans un manuel construit à partir de 74 dates, constituées en autant de chapitres. Un parti qui requerrait parfois une véritable gymnastique intellectuelle pour des écoliers priés de balayer presque dix siècles dhistoire sous une seule date, celle par exemple de la fondation de Marseille qui conduit jusquaux Tables de Peutinger. À linverse, deux chapitres nétaient pas de trop pour traiter de lhistoire de Jeanne dArc. Chacune des dates, intentionnellement sélectionnée par les auteurs du manuel, est définie en une «phrase choc», suivie dun ou plusieurs courts textes dexplication (dont il convenait que lélève restitue la teneur, souvent par cur) et précédée dune illustration sous forme dune vignette légendée, pure reconstitution du dessinateur auquel les éditeurs avaient tenu la main.
Le recueil présenté par A. Corbin reproduit tel quel cet ensemble, un véritable «document dhistoire» à lui seul. Et des historiens contemporains, pour la plupart des universitaires que leurs travaux ont amenés à étudier la période et les événements concernés par la date retenue en 1938, commentent la leçon proposée aux écoliers dalors. Raisons du choix de la date, illustration et contexte sont relus à laune dabord de leur valeur dil y a 70 ans, puis des perspectives nouvelles fournies par la recherche de ces dernières décennies. La sélection propose des textes de grande qualité et savoir. Un regret purement pratique : le lecteur aimerait savoir dès le début qui est le rédacteur dune notice, sans passer par la fin dabord.
Lexercice était contraignant. La répartition et le nombre des chapitres simposaient sans accommodement possible. Les historiens daujourdhui sy sont pliés. Formellement, ny avait-il pas quelque malice à confronter des chercheurs livrant le résultat de recherches de première main, à des rédacteurs de manuels qui se révèlent largement tributaires de lhistoriographie du XIXe siècle ? Remarquons aussi cétait la chance et le risque dun projet à collaborateurs multiples que les rédactions des contemporains oscillent, selon leurs auteurs, entre la grande vulgarisation qui convient à un manuel élémentaire et lérudition purement universitaire. Selon les plumes, lintérêt se porte sur un fait précis dhistoire événementielle la civilisation, les idées ne trouvant évidemment pas place ici, tout comme le fait religieux ‑, quand certains historiens se sont appliqués à combler les trous laissés par la pure chronologie. Intéressante est la réflexion de synthèse offerte in fine, quelle que soit la position de leurs auteurs actuels sur les principes pédagogiques actuels. Une remarque : la «table des matières» que proposait le parti pris chronologique de 1938, au-delà du bourrage de crâne, ne concourait-elle pas à la formation dans les esprits dune profonde cohérence idéologique ?
Une constatation : la représentation que se font de lhistoire la plupart de nos concitoyens ne continue-t-elle pas à sinscrire dans la présentation faite en 1938 ? Et pourtant, qui oserait aujourdhui énoncer sans risquer la mise à lindex les idées maîtresses qui dictaient aux pédagogues dautrefois leurs choix ? Les principes qui les ont guidés renvoient à des valeurs réputées dépassées : la construction, bataille après bataille, des fondements de la nation française ; les progrès continus sans discussion possible ‑ de la civilisation, acquis grâce aux efforts et à la volonté de nos anciens ; le poids, plus souvent maléfique que positif, des grandes personnalités (seuls trois rois échappent à une présentation négative : Philippe Auguste, Saint Louis et Henri IV).
Chaque lecteur jugera, en fonction de sa lecture personnelle et politique de lhistoire, de ce qui est là-dedans heureusement périmé ou valeur perdue
Finalement, lexercice mental auquel convie ce petit livre na rien dinnocent.
Jacqueline Martin-Bagnaudez ( Mis en ligne le 18/06/2008 ) Imprimer
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